C’est l’un des premiers exemples de code de construction de l’Histoire humaine, précurseur des restrictions sur l’isolation à l’amiante et des exigences en matière de disjoncteurs.
À une époque où les maisons avaient des toits plats, la Torah nous dit :
« Quand tu bâtiras une maison neuve, tu établiras un appui autour du toit, pour éviter que ta maison soit cause d’une mort, si quelqu’un venait à en tomber. » (Devarim 22,8)
C’est un principe simple : un toit plat, où la famille et les amis peuvent se réunir et apprécier des barbecues, est un endroit intrinsèquement dangereux. Nous devons anticiper ce danger et construire une balustrade pour que personne n’en tombe.
C’est une proposition intuitive, mais nous ne devons pas manquer de noter une implication innovante. L’exigence d’un parapet fournit une application pratique du principe plus abstrait :
« Ne va point colportant le mal parmi les tiens, ne sois pas indifférent au danger de ton prochain: je suis l’Éternel. (Vaykra 19:16) ».
Désormais, la Torah interdit concrètement le péché d’omission en plus d’exiger de nous de ne pas commettre de fautes de commission les uns envers les autres : (Ne pas faire ce qui est commandé ou recommandé).
Il ne suffit pas de s’abstenir de pousser quelqu’un du haut d’un toit, il faut anticiper et se protéger proactivement contre ce danger.
Il n’est pas radical d’appliquer le principe de manière plus générale : si nous pouvons facilement prévoir si une chose que nous possédons peut causer un danger, nous devons prendre des mesures de précaution pour atténuer le danger. Dans l’esprit de ce verset, la loi américaine a jugé bon de réglementer certains des détails les plus banals de la propriété résidentielle. A savoir :
Les propriétaires doivent dégager leurs trottoirs de la glace et de la neige afin que les employés des postes ne glissent pas et ne tombent pas.
Les propriétaires de piscines sont tenus de les couvrir lorsqu’elles ne sont pas utilisées pour empêcher les enfants errants de tomber et de se noyer.
Ce sont des précautions judicieuses, elles représentent une approche raisonnable pour attribuer la responsabilité et l’obligation de rendre des comptes.
Maïmonide, cependant, élargit considérablement le principe. Dans son commentaire juridique sur ce verset, il écrit:
« Le toit et tout autre objet potentiellement dangereux, par lequel il est probable qu’une personne pourrait être mortellement blessée, nécessitent que le propriétaire prenne des mesures… tout comme la Torah nous ordonne de faire une clôture sur le toit… et de même, concernant tout obstacle qui pourrait causer un danger mortel, l’individu, et pas seulement le propriétaire, a le commandement positif de l’enlever… si l’on ne l’enlève pas, si on laisse ces obstacles constituant un danger potentiel, on transgresse un commandement positif et on nie un commandement négatif « Tu ne verseras pas de sang » » (Mishneh Torah, Lois du meurtrier et protection de la vie, 11:4).
Ici, Maïmonide s’appuie sur la mesure radicale déjà prise par la Torah. En plus d’être responsables des actes d’omission comme de commission, nous sommes désormais responsables de nos propres biens, mais pas seulement, responsables aussi de « tout autre objet potentiellement dangereux ».
Notre univers d’obligations englobe désormais tout le monde, même les personnes invisibles à nos yeux, et nous sommes tenus d’anticiper les dangers potentiels, de protéger les gens contre eux – pauvreté, violence, maladie, faim.
Les applications potentielles de ce principe sont innombrables.
Prenons le paludisme… La maladie transmissible la plus répandue dans le monde ! Chaque année, le paludisme provoque plus de 300 millions de maladies aiguës et plus d’un million de décès.
En Afrique subsaharienne, l’Organisation Mondiale de la Santé a documenté une baisse de 20 % de la mortalité infantile chez les familles qui utilisent des moustiquaires imprégnées d’insecticide sur leurs zones de couchage. Selon la logique de Maïmonide, un moustique porteur du paludisme semble une extrapolation parfaite d’un toit non clôturé. Nous devrions donc être tenus de fournir des moustiquaires à toutes les personnes vivant dans les régions touchées par le paludisme.
Mais où s’arrêterait une telle responsabilité ?
Si nous poussons le principe à son extrême logique, nous courons le risque d’être paralysés par la fatigue de compassion – le sentiment de notre inadéquation par rapport aux besoins écrasants auxquels nous sommes confrontés dans le monde.
Est-il possible que la Torah et Maïmonide nous entraînent dans un tel exercice de frustration!
La tradition propose une solution à ce dilemme à partir d’un passage talmudique bien connu:
« Celui qui peut empêcher sa famille de commettre un péché, mais ne le fait pas est responsable des péchés de sa famille ; s’il peut empêcher ses concitoyens de commettre un péché, il est responsable des péchés de ses concitoyens ; s’il peut empêcher le monde entier, il est responsable des péchés du monde entier. (Shabat 54B) »
Quand nous observons le monde, tous les toits laissés sans surveillance, tous les dangers qui mettent les gens en péril, les implications sont décourageantes. Alors que nous entamons la période de réflexion personnelle des fêtes de Tichri, la question de la part de responsabilité de chacun d’entre nous devient primordiale. Nous devons réfléchir profondément afin de savoir si nous avons agi pour empêcher les méfaits des autres et nous devons commencer à construire des parapets, à institutionnaliser des précautions contre la destruction, volontaire ou accidentelle. C’est un travail difficile, mais si nous voulons vraiment éviter de « rester les bras croisés devant le sang de notre prochain », nous devons le faire !