À 4 h 10, ce matin, alors que je lisais les parachiot Behar et Be’houkotaï, je pensais à la liberté et à la responsabilité sous un angle éthique. Rony Akrich

by Rony Akrich
À 4 h 10, ce matin, alors que je lisais les parachiot Behar et Be’houkotaï, je pensais à la liberté et à la responsabilité sous un angle éthique. Rony Akrich

Souvent perçu comme un code de rituels et de sacrifices sacerdotaux centré sur la pureté, le Livre du Lévitique est parfois considéré comme éloigné des préoccupations morales et sociales. Cependant, les dernières sections de ce livre, Behar et Be’houkotaï, révèlent une perspective éthique profonde sur le projet biblique. Elles mettent en évidence deux piliers essentiels à toute société juste selon la Torah : la liberté et la responsabilité. Comment le Lévitique, qui est un livre sur le culte et les rites, parvient-il à esquisser un horizon de justice sociale et de conscience collective ? Examinons ici la tension entre rite et éthique.

La paracha Behar présente deux institutions majeures : la shmita (repos de la terre tous les sept ans) et le yovel (jubilé tous les cinquante ans). Ces lois agraires, qui semblent techniques, sont en réalité des proclamations théologiques et sociales. La Torah proclame : « Car la terre est à moi, vous n’êtes que des étrangers et des hôtes sur elle » (Lévitique 25:23). Cette affirmation contredit la notion moderne de propriété exclusive. La terre et les êtres humains ne peuvent pas être possédés à perpétuité. Le système du Jubilé, qui rend aux propriétaires initiaux leur terrain et affranchit les esclaves, agit comme un cycle de redistribution. Il va plus loin qu’une simple réforme économique, puisqu’il constitue un rappel fondamental : la liberté est une condition de la dignité humaine, non un privilège. Selon Maïmonide, cette méthode éducative a pour but de tempérer l’avarice et de cultiver la bienveillance. Selon le Rav Kook, l’éducation proposée par la Torah vise la rédemption personnelle. Abraham Joshua Heschel va encore plus loin : pour lui, la religion véritable repose sur la liberté de répondre à l’appel divin. Autrement dit, sans liberté intérieure, aucune élévation spirituelle n’est possible. Ces lois remettent en question l’accumulation illimitée des richesses et imposent une régulation cyclique qui rétablit l’équité au cœur de la structure sociale. Face aux disparités économiques grandissantes, aux défis écologiques actuels et à la commercialisation omniprésente de la vie, ces lois retentissent avec force.

Be’houkotaï prononce une prophétie remarquablement clairvoyante : une série de bénédictions et de malédictions conditionnelles à l’alliance. Ces versets ne sont pas animés par une logique magique ou un système de récompense et de punition. Au contraire, ils ancrent l’histoire dans un contexte éthique. Ce n’est pas la puissance ni la chance qui déterminent le destin collectif du peuple hébreu, mais son attachement à des principes moraux.

Nahmanide considère ces versets comme des prophéties historiques : la réconciliation avec Dieu précède la réconciliation avec la terre. À l’opposé, Yeshayahou Leibowitz défend une lecture radicale : les mitsvot (commandements) ne sont pas des moyens d’obtenir une récompense, mais des fins en soi. Il se rapproche ainsi de la pensée de Kant, pour qui l’acte moral se mesure à la pureté de l’intention, non au résultat. Ces textes posent une responsabilité éthique collective. Les bénédictions ne sont pas personnelles, mais plutôt nationales. Le bien commun devient le lieu où manifester sa fidélité à l’alliance. Il faut aller au-delà de la liberté : il faut agir pour répondre à l’appel de la justice. Les deux parachiot forment un diptyque : Behar établit les conditions de la liberté, qui sont sociales, économiques et spirituelles, tandis que Be’houkotaï en dévoile le revers, c’est-à-dire la responsabilité morale, qui est nationale, historique et théologique.

Ce modèle biblique reste d’une grande pertinence, il rejette la division entre liberté et responsabilité. La liberté, ici, n’est pas un individualisme effréné, mais un espace pour choisir le bien, la responsabilité ne devrait pas être perçue comme une contrainte, mais plutôt comme une réponse libre et consciente à l’appel éthique d’autrui, de l’histoire et de Dieu. Dans un monde où la liberté est souvent synonyme de pouvoir d’agir, la Torah nous enseigne que ce n’est pas ce qui nous arrive qui est important, mais la manière dont nous réagissons. C’est en répondant avec justice, compassion et responsabilité que nous pouvons véritablement nous élever. Le Livre du Lévitique ne se termine pas par un sacrifice, mais par une vision éthique. Il enseigne que la vraie sainteté ne réside pas uniquement dans le sanctuaire, mais dans une société où les gens sont libres et responsables. Une société où chacun entend la voix du juste, au-delà de ses intérêts ou de ses peurs. Peut-être est-ce là le centre de la piété : oser construire une liberté commune et assumer une responsabilité collective. Un message qui reste d’une brûlante actualité!

Related Videos