À une époque où le mot « sainteté » résonne parfois comme un lointain souvenir ou un idéal déconnecté de la réalité, on trouve intéressant de découvrir qu’il n’a pas toujours pour but de nous éloigner de la vie, mais au contraire de nous appeler à y entrer les yeux ouverts.
La Paracha Nasso et la haftara qui l’accompagne, l’histoire de la naissance du héros Samson, nous invitent à repenser qu’est-ce que la vraie sainteté ? Quel est le rôle des religieuses dans un monde d’incertitude?
La tradition parle de Samson comme d’un « nazir de Dieu dès le sein maternel ». Une figure presque céleste, annoncée par un ange, destinée à racheter Israël des mains des Philistins. Et pourtant, Samson évite de s’isoler au sommet d’une montagne, de jeûner et de se retirer dans le désert. Il vit, aime, se bat, fait des erreurs, fait face.
D’un point de vue religieux et philosophique, on peut trouver fascinante cette démarche : le monachisme n’est pas une retraite, mais une présence active, morale et audacieuse dans la réalité.
Le nazir, tel qu’il apparaît dans la Torah et dans la figure de Samson, est une personne qui prend ses responsabilités, et non une personne qui fuit le monde. Il se définit des limites intérieures, non pas pour s’éloigner de la vie, mais pour y être véritablement présent.
Le Ramban voyait le nazir comme un idéal moral, tandis que Maïmonide le voyait seulement comme une «correction temporaire » pour une personne aux prises avec un matérialisme excessif.
Mais peut-être sont-ils tous deux d’accord sur une chose : la sainteté n’appartient pas seulement à la synagogue, elle commence par les petits choix, dans la vie quotidienne.
Le rabbin Abraham Yehoshua Heschel, l’un des plus grands penseurs juifs du XXe siècle, a écrit dans son livre « Dieu en quete de l’homme » : « La vie elle-même doit devenir une prière ».
Ce n’est pas un appel au désengagement, mais une invitation à une vie consciente et morale, une vie qui porte du sens dans chaque action, dans chaque relation. Martin Buber ajoute une autre couche : la sainteté ne se trouve pas dans la solitude, mais dans la rencontre humaine, dans la responsabilité envers les autres, dans le dialogue sincère avec les autres. Et celui qui approfondit le plus cette idée est le Rabbi de Kotzk : « La lutte est absente de toute sainteté. » Pour Kotzker, la sainteté ne naît pas de la perfection, mais d’un cœur qui lutte, d’une vérité sans compromis et de la capacité d’affronter la contradiction sans la fuir. Dans une société où tout est banal, immédiat, rapide et bruyant, l’idée d’un « moine temporaire » n’est pas ancienne.
C’est plus pertinent que jamais. C’est un appel à l’homme moderne pour qu’il s’arrête un instant, fixe des limites, revienne à lui-même et choisisse de vivre une vie de profondeur et pas seulement une vie de consommation. La sainteté n’est pas une question de rituel, mais de morale. Ce n’est pas une question de vêtements, mais de résistance à la tentation, au pouvoir, à la colère, à l’arrogance.
Samson a peut-être échoué, mais son histoire est gravée dans les pages de l’histoire comme celle de quelqu’un qui a choisi d’entrer dans la réalité avec l’intention de se corriger. De même, nous ne sommes pas jugés sur notre ascetisme, mais sur notre volonté d’assumer nos responsabilités. La sainteté n’est pas une échappatoire au chaos, mais une décision d’y apporter de la lumière. Et dans ce sens, un vrai nazir est toute personne qui refuse d’abandonner le monde au cynisme, qui préfère l’honnêteté à la popularité, qui est prête à payer un prix pour rester fidèle à ses valeurs.
Ce n’est pas monastique, c’est de l’héroïsme
Roni Akrich est un penseur qui enseigne l’historiosophie biblique. Il a fondé « l’université populaire gratuite » à Jérusalem et à Ashdod. Activiste social et écrivain insatiable, il s’intéresse à l’identité, à la moralité et à l’avenir de la réalité judéo-hébraïque contemporaine.