Extra-terrestres : ceux qui refusent leur propre Terre par Rony Akrich

by Rony Akrich
Extra-terrestres : ceux qui refusent leur propre Terre par Rony Akrich

PARASHA SHLA’H

À celles et ceux qui liront ces lignes : qu’elles soient reçues avec attention, patience et réflexion.

La paracha shla’h Lekha n’est pas seulement un souvenir biblique du péché des explorateurs. Elle constitue un miroir acéré et pénétrant de la peur humaine face à la liberté, d’une trahison persistante de la foi, et d’une ingratitude profonde envers la seule terre donnée au peuple d’Israël — non comme récompense, mais comme mission éternelle.

Comme l’écrit Nahmanide (Ramban) dans son commentaire sur la Torah (Nombres 33), il s’agit d’un commandement positif de prendre possession de la terre et de s’y établir, car elle est l’héritage de nos ancêtres. Les explorateurs, au moment décisif, n’ont pas seulement rejeté la terre, ils ont renié la vocation même. Ce n’étaient ni des méchants ni des ignorants, mais des princes, des représentants du peuple, des envoyés en mission publique. Ils n’avaient pas pour rôle d’évaluer si la terre « valait la peine », mais de préparer les cœurs à sa rencontre. Pourtant, ce qu’ils ont ramené, c’est un flot d’hésitations, une peur morale de la liberté souveraine, un scepticisme contagieux. Ils n’ont pas menti : ils n’ont simplement pas cru.

Ils ont vu la terre, reconnu sa bienfaisance, « elle est bien un pays où coulent le lait et le miel » mais ils ont immédiatement ajouté : « seulement, le peuple est puissant… et nous étions à nos yeux comme des sauterelles ». Ce n’est pas la terre qu’ils ont examinée, mais eux-mêmes. Non la réalité, mais leur propre capacité à porter un idéal. La faute ne résidait pas dans leur rapport, mais dans leur interprétation. Non dans ce qu’ils ont vu, mais dans ce qu’ils ont cru que cela signifiait.

Comme l’a dit le Rav Yehouda Léon Ashkénazi (Manitou), les explorateurs n’ont pas échoué sur les faits, mais sur le sens. Ils n’ont pas compris que l’histoire ne fait pas de place à ceux qui tremblent, mais qu’elle répond à ceux qui croient. Leur échec n’était pas celui du renseignement, mais celui de la conscience.

Depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui, la calomnie n’a jamais cessé. Jadis, on parlait de « pays qui dévore ses habitants » ; aujourd’hui, on parle d’ »Israël État colonial », de « colonies, obstacles à la paix », ou encore d’ »une sionisme religieux fanatique et dangereux ». Autrefois, la peur des géants ; aujourd’hui, la peur de l’Europe. Mais la logique demeure : un manque de foi en notre identité, en notre souveraineté, en notre vocation comme porteurs du Nom divin.

Le Rav Abraham Isaac HaCohen Kook écrivait déjà : « La terre d’Israël n’est pas un élément extérieur… elle est l’essence même de notre vie ». Dès lors, toute tentative de séparer le peuple de sa terre, fût-elle enveloppée dans un discours de morale universelle et de droits de l’homme, est la continuation directe de la faute des explorateurs.

Même la voix philosophique et littéraire en répercute l’écho brisé. Albert Camus, dans « L’Homme révolté », traite de l’homme qui fuit la responsabilité de sa propre vie, tout comme les explorateurs ont fui la rencontre avec l’avenir. Ils craignaient la liberté, l’incertitude, la douleur inhérente à l’édification. Nietzsche, dans ses réflexions sur la « volonté de puissance », aurait vu en eux l’exemple vivant d’une culture épuisée, d’un homme préférant retourner à une servitude connue plutôt que d’assumer un destin manifeste. Ils ne voulaient pas porter la promesse, seulement s’en souvenir.

Au lieu de revenir à la terre, nous revenons à l’exil, dans ses habits sophistiqués: l’exil new-yorkais, enveloppé d’or; l’exil berlinois, enveloppé de culpabilité culturelle; l’exil parisien, enveloppé de littérature et de raffinement. Autant de voiles élégants pour un renoncement profond. Comme dans « Devant la loi » de Kafka, nous restons à la porte, hésitant à entrer, et ce n’est qu’après la mort que l’on découvre que la porte nous était destinée, à nous seuls, et qu’elle est désormais close.

La Bible, comme toujours, a devancé Kafka et Camus de plusieurs millénaires. Dans le « Cantique des Cantiques », la dulcinee erre dans les rues et les marchés à la recherche de son bien-aimé. Dans Le Procès, Kafka la fait errer dans les couloirs de la bureaucratie. Chez Brian De Palma, c’est dans les galeries d’un musée. Chez Woody Allen, dans les pièces d’un appartement. Mais toujours, c’est l’objet du désir qui nous échappe, cette sensation existentielle que Camus décrit dans « Le Mythe de Sisyphe ». Une quête sans fin dans laquelle l’homme, selon les mots d’Agnon, « arrive et n’arrive pas ».

À l’inverse, Josué et Caleb ne sont pas naïfs. Ils voient les géants, les murailles, les peurs, mais ils voient aussi l’alliance. Ils comprennent que la mission précède le confort, que la vocation précède la détresse.  » « Montons, montons-y et prenons-en possession, car certes nous en serons vainqueurs! » n’est pas un slogan : c’est une déclaration d’alliance, ils sont fidèles à l’esprit de la promesse. Le Rav Joseph Dov Soloveitchik l’a exprimé ainsi : « La plus grande foi n’est pas en Dieu, mais en l’homme choisi pour être Son partenaire dans l’alliance ». Autrement dit, il faut assumer la responsabilité, entrer dans l’histoire, et non la commenter de l’extérieur.

La génération des explorateurs est morte dans le désert, non comme une punition arbitraire, mais comme un choix existentiel : celui qui ne veut pas de la liberté n’en est pas digne. Aujourd’hui encore, chaque Juif, chaque Israélien, doit se demander : suis-je pour cette terre parce qu’elle m’est confortable ? ou parce qu’elle est vraie ? L’aime-je seulement lorsqu’elle prospère, ou aussi quand elle exige de moi responsabilité, sacrifice, construction ?

À la fin des chapitres de l’histoire, le peuple hébreu s’est divisé : royaume d’Israël, royaume de Juda. Après la destruction du royaume d’Israël par l’Assyrie, puis celle de Jérusalem par Nabuchodonosor et plus tard par Titus, Israël ne subsista plus comme un peuple uni, mais comme un reste rescapé. De l’identité souveraine, l’histoire hebraique est passée à une identité tribale et religieuse, réduite, protectrice, ne portant que les vestiges de son passé. Le monde entier a cessé de nous appeler « Hébreux » ou « Israéliens » et nous a nommés du seul nom qui restait : les « Juifs », du nom de Juda, l’unique survivant. Ainsi, pendant deux mille ans d’exil, ce peuple fut défini par ce qui restait de lui, non par ce qu’il était destiné à devenir.

Mais en cette génération, celle de la renaissance, nous avons le privilège d’ouvrir un nouveau portail. Ne plus nous contenter d’une identité de survivants, de réactifs, de persécutés, mais redevenir des Hébreux : porteurs d’un nom, d’une terre, d’une mission, d’un État. Ne plus être seulement le « Juif éternel » soumis aux nations, mais l’Hébreu éternel se relevant. Ne plus être un reste, mais une fondation. Ne plus faire des diasporas notre mode d’existence, mais faire de la souveraineté notre mission.

C’est pourquoi, revenir en terre d’Israël ne suffit pas. Les Hébreux, c’est-à-dire nous, doivent y bâtir une société exemplaire, fidèle à ses racines divines et historiques. Une société qui ne se contente pas de demeurer talmudique sans attaches bibliques, de prières ingrates ou de rituels magiques, mais fondée sur la loi et la justice, l’amour et la bienveillance, la droiture et l’équité. Une société alliant prophétie et souveraineté, ciel et terre, non comme un couloir vers l’au-delà, mais comme l’au-delà incarné ici-bas. Non en imitant les nations, mais en étant une lumière pour elles à partir de notre fidélité à nous-mêmes.

L’appel n’est pas adressé aux nations, mais à chaque Hébreu, où qu’il soit : reviens à la maison, à ta terre, à ton identité, à ta mission. Il est temps de cesser de rêver encore, et de commencer à croire que c’est possible — réellement, sincèrement.

« Car la terre est très, très bonne. »

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