Les coupables sont parmi nous: Manifeste sur les crimes de négligence et une souveraineté brisée. Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Les coupables sont parmi nous: Manifeste sur les crimes de négligence et une souveraineté brisée. Par Rony Akrich

Le Hamas préparait depuis longtemps la plus grande entreprise d’extermination de Juifs depuis la Shoah. Ce n’était ni une surprise, ni un secret, ni un surgissement soudain du chaos. Tout était visible pour qui voulait voir. Les discours génocidaires n’étaient pas des métaphores; les entraînements paramilitaires n’étaient pas des parades folkloriques; les tunnels creusés sous Gaza n’étaient pas des exercices techniques; les financements iraniens n’étaient pas des rumeurs ; les signaux faibles n’étaient pas faibles: ils étaient éclatants. La barbarie se préparait à ciel ouvert, méthodiquement, obsessionnellement, religieusement. Et pourtant, Israël, dans sa structure politique, militaire, parlementaire, diplomatique, stratégique et sécuritaire, n’a pas réagi.

Les hommes chargés de protéger ce peuple ont abandonné leur poste moral. Les services de renseignement ont cessé de penser. Les chefs militaires ont cessé de douter. Les responsables politiques ont cessé de surveiller. L’État tout entier s’est endormi sur son prestige, sur ses mythes, sur ses routines, sur ses illusions. Il a confondu technologie et vigilance, puissance et lucidité, statut régional et sécurité réelle. Le Hamas aiguisait sa haine; l’État aiguisait ses slogans. Les assassins se préparaient; les dirigeants se rassuraient.

Ce n’est pas seulement un échec: c’est un effondrement, un effondrement total, transversal, moral, intellectuel. Hannah Arendt aurait immédiatement identifié le mécanisme: la banalité du mal n’est pas qu’une théorie sur les bureaucrates du meurtre, elle concerne aussi les bureaucrates de la sécurité, ceux qui répètent les mêmes analyses sans plus rien voir, ceux qui croient agir alors qu’ils ne font que reproduire des procédures mortes. La catastrophe surgit lorsque la pensée se fossilise. Lorsque les hommes du pouvoir cessent d’interroger leurs catégories. Lorsque l’institution se referme sur sa propre inertie.

Levinas aurait dit que nous avons commis le péché le plus grave d’une nation: l’oubli du visage. L’oubli de la vigilance devant la vulnérabilité de l’Autre. L’oubli du devoir inconditionnel de protéger la vie. Le 7 octobre n’est pas né dans le camp de l’ennemi: il est né dans notre incapacité à regarder notre propre peuple, celui que nous avions la charge de défendre. Une société qui se replie sur ses modèles perd l’instinct éthique. Le visage de 1 200 Juifs a été effacé par ceux-là mêmes qui devaient le préserver.

Raymond Aron aurait diagnostiqué le drame avec sa précision habituelle: une nation meurt lorsqu’elle remplace l’analyse par l’idéologie. Israël s’est raconté une fable: que le Hamas était “rationnel”, “domesticable”, “stabilisé”, qu’un fanatisme religieux pouvait être géré par des valises de billets, du ciment et des arrangements tacites. C’est cela, l’aveuglement tragique. Ce n’est pas l’ennemi qui nous a trompés: c’est nous qui nous sommes trompés nous-mêmes.

Carl Schmitt, que l’on cite rarement mais qui reste l’un des plus lucides sur l’essence politique, affirmait qu’un État qui ne sait plus nommer son ennemi abdique sa souveraineté. Israël a désarmé son esprit en renonçant à dire ce qu’est le Hamas. On a transformé une organisation messianique théophile en acteur social. On a nommé des meurtriers “partenaires de gestion”. On a voulu croire que l’idéologie pouvait être neutralisée par le pragmatisme. Mais l’histoire n’a jamais confirmé un tel mensonge.

Simone Weil nous avertissait: le mal n’est pas spectaculaire. Il est mécanique, obstiné, répétitif. Le Hamas n’a rien inventé: il a recommencé ce que les ennemis d’Israël refont depuis toujours, et que les nations oublient dès qu’elles goûtent un peu de paix apparente. Steiner ajoutait que la barbarie n’est jamais morte, qu’elle vit dans l’ombre de nos villes éclairées. On l’avait oubliée. Elle est revenue. Avec des cris, des flammes, des couteaux, des corps mutilés, des maisons brûlées, des femmes violées.

René Girard aurait identifié le nœud mimétique: Israel s’est perdu dans des querelles internes pendant que le vrai ennemi observait. Pendant que nous nous imitions dans la haine fratricide, le Hamas aiguisait sa haine méthodique. Une société divisée cesse de voir ce qui la menace réellement. La crise mimétique nous a aveuglés; le sacrifice est tombé sur nos enfants.

Nietzsche aurait été implacable: un peuple sans conscience tragique est un peuple vulnérable. Israël a cru que le confort démocratique suffisait à conjurer le chaos. Mais l’histoire n’obéit pas à la “démocratie des illusions”. Le tragique revient toujours.

Dès lors, il faut dire les choses avec la précision d’un jugement:

Les responsables sont connus et les coupables sont reconnus.

Les criminels ne sont pas seulement ceux qui ont tué, ce sont aussi ceux qui ont permis qu’on tue.

Ceux qui ont laissé entrer l’argent du Qatar.

Ceux qui ont accepté le ciment pour les tunnels.

Ceux qui ont réduit le Hamas à un “fichier”.

Ceux qui ont transformé l’alerte en statistique.

Ceux qui ont préféré la carrière au devoir.

Ceux qui ont confondu gouverner et se maintenir.

Ceux qui ont laissé un peuple entier dépouillé de son droit premier : la sécurité.

Il existe une faute par omission qui relève du crime. Une faute par aveuglement qui relève de la culpabilité. Une faute par abandon qui relève de la justice d’exception. Car le 7 octobre n’est pas seulement l’œuvre du Hamas: il est le résultat d’un État qui n’a pas exercé son autorité protectrice.

C’est pourquoi seul un tribunal d’exception, dans la tradition des juridictions qui jugent les crimes contre l’humanité, peut répondre à la hauteur du désastre. Le 7 octobre est un crime contre le peuple hébreu, commis directement par l’ennemi, mais rendu possible par des dirigeants israéliens dont la négligence souveraine a atteint un niveau criminel.

La justice d’exception devra juger les responsables politiques, militaires, parlementaires et des renseignements. Non pas pour donner une catharsis à la nation, mais pour restaurer l’ordre du juste. Pour établir que ce qui s’est produit à l’intérieur de nos frontières est d’une gravité civilisationnelle. Pour signifier que la souveraineté n’est pas un privilège, mais une responsabilité sacrée.

La perpétuité est la sanction minimale.

Parce que le 7 octobre n’est pas seulement un traumatisme : c’est une trahison.

La trahison de la vigilance.

La trahison de la pensée.

La trahison de l’éthique.

La trahison du peuple hébreu par ceux qui avaient juré de le protéger.

Et parce qu’une nation ne survit que si elle désigne clairement ce qui, en elle, a permis sa perte, le manifeste affirme ceci : l’avenir d’Israël ne pourra être reconstruit que sur les ruines purifiées de cette culpabilité reconnue et condamnée.

Nous ne nous relèverons que lorsque la justice d’exception aura dit les mots justes, les mots historiques, les mots irréversibles : coupables de crime contre le peuple hébreu.

C’est ainsi que renaissent les nations tragiques.

C’est ainsi qu’Israël reprendra sa place, debout, lucide, souverain.

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