Je t’écris avec une gratitude qui dépasse les mots, en mon nom, et au nom du peuple hébreu.
Ce soir-là, sur une plage lointaine d’Australie, des familles juives célébraient Hanoucca. Elles chantaient, elles souriaient, elles tenaient leurs enfants par la main. Et soudain, le crime abject a surgi : des hommes ont tiré sur des innocents, comme on tire sur une fête, sur une lumière, sur une simple joie d’exister. La haine a voulu faire de la célébration une cible, de la joie une humiliation, et de la vie une proie.
Et au cœur de cette nuit, tu t’es levé.
Tu es un Syrien, arabe et musulman. Tu n’es pas né dans notre histoire, tu ne pries pas comme nous, tu n’appartiens pas à notre peuple. Tu es un homme ordinaire : un vendeur de fruits, un père de famille, un travailleur. Et c’est précisément cela qui donne à ton geste une grandeur bouleversante : tu as rappelé au monde que l’humanité peut précéder toutes les appartenances, et que la dignité est plus forte que les identités.
Quand les balles ont claqué, tu n’as pas discuté. Tu n’as pas hésité. Tu n’as pas regardé ailleurs. Tu as couru vers le danger.
Une vidéo montre ton audace : on te voit penché entre des voitures, comme si tu cherchais une ouverture dans le chaos. Puis, d’un seul mouvement, tu te précipites sur l’un des tireurs qui te tourne le dos. Tu l’agrippes, tu le maîtrises, et tu lui arraches son arme. Ce que des policiers entraînés redoutent parfois, toi tu l’as fait à mains nues, sans protection, au péril de ta vie.
Mais il faut dire plus encore, parce que c’est là que ton geste devient une leçon morale : tu as pris l’arme des mains de l’ordure, tu l’as mis en joue… et tu n’as pas tiré. Tu as su, dans l’instant le plus violent, rester plus grand que la violence. Tu as compris qu’il existe une forme de force plus haute que l’exécution : la maîtrise. Neutraliser sans devenir soi-même meurtrier. Arrêter la mort sans épouser la mort.
Tu as fait reculer le tireur. Tu l’as contraint à fuir. Tu as protégé, sans te transformer en juge et bourreau. Ce sang-froid, cette retenue, ce choix lucide au milieu des cris et des tirs, voilà ce qui force le respect. Car il y a un courage qui frappe, et il y a un courage plus rare encore : celui qui domine l’instinct, qui tient la rage à distance, et qui demeure humain quand tout pousse à devenir une bête.
Et pourtant, tu as payé. Tu as été blessé, deux fois dit-on, et tu es aujourd’hui hospitalisé, grièvement atteint. Ton corps porte la trace de ce que tu as empêché. Ton sang est devenu, malgré toi, un rempart. Tu as risqué de ne plus revoir tes deux petites filles, et tu l’as fait pour sauver des inconnus, simplement parce que tu as reconnu en eux des êtres humains.
C’est pour cela que je te remercie.
Je te remercie pour ta bravoure, bien sûr. Mais je te remercie aussi pour ce que ton geste dit au monde : que la fraternité n’est pas une idée, c’est un risque. Que les étiquettes mentent, et que l’âme d’un homme se révèle dans l’épreuve. Que la vraie frontière ne passe pas entre Juifs et musulmans, entre Arabes et Hébreux, entre nations et religions, mais entre ceux qui profanent la vie et ceux qui la défendent.
Tu as été appelé “héros”. Oui. Mais au-delà du mot, tu es un signe. Un rappel. La preuve vivante qu’il existe encore, dans ce monde saturé de discours, des hommes capables de se dresser contre la barbarie, non pas pour briller, mais pour sauver.
Que ta guérison soit rapide et complète. Que ta maison soit entourée de respect, de soutien, de chaleur. Et que tes filles grandissent en sachant cette vérité immense : leur père, un soir de Hanoucca, a fait reculer la mort à mains nues – et, au milieu du chaos, a choisi de rester un homme.
Merci mon frere, Ahmed Al-Ahmed.
Que tu Sois beni parmi les peuples et les nations, toi le juste!
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