Qu’est-ce que l’intégrisme religieux? Il ne peut s’identifier ni à la religion, ni à la spiritualité. Le fondamentalisme est le spectre de la fascination au sein de la foi, il se propage et contamine la partie faible des ouailles en quête de passion. Il aspire à un durcissement des principes, à un retour d’âge au mode de vie premier, c’est à dire retrouver l’ancienne version d’une confession purifiée de toutes les contributions de l’Histoire et de la modernité. Cela s’appelle, radicalisme. L’intégrisme n’est pas l’exclusivité d’une croyance spécifique, bien qu’il soit encouragé dans les religions reposant sur un rituel, il peut s’exprimer en chacune. Il ne captive qu’une tranche de la population, celle qui est singulièrement portée au fanatisme et non la communauté entière des croyants. Le fanatisme lui, jaillit de l’incertitude par un sursaut aveugle dans la foi. Il se came à la frénésie d’une conviction qui ne suspecte rien, le visage de l’illuminé rayonne de par la certitude de posséder l’authenticité souveraine et prétend, dur comme fer, l’infliger de toutes les manières, y compris par la violence. Son engagement à la foi est entier, fidèle, borné et dénué de toute conscience d’opinion, c’est l’ardeur de celui qui est convaincu de disposer de la certitude et non pas l’ardeur de celui qui la quête, ni la modestie de celui qui sait pertinemment que la vérité ne lui appartient pas en propre. Le fanatisme spirituel déverse aisément à qui veut entendre des répliques emportées, résolues, lapidaires et intransigeantes. Le fanatique ne réfléchit qu’au travers le prisme du dualisme là où n’existe qu’une dualité rigide et manichéenne: il y a le bien et le mal, les envoyés de D.ieu et les maudits, le peuple musulman et le grand satan occidental, les braves et les lâches, la droite et la gauche etc… En amont d’un tel état d’esprit, nous rencontrons souvent une certaine raideur intellectuelle, un manque total d’adaptation à des conceptions et conditions de vie nouvelles et parfaitement indéchiffrables pour notre homo sapiens. L’intégriste s’appuie sur un tableau agressif, sans jamais arriver à épurer la subjectivité de son jugement, répétons le il partage la nature d’une façon manichéenne. Son caractère affecté, déclamatoire, pompeux et emphatique veut légitimer ces faits et gestes au travers une morale exacerbée, protégée par des principes qui ne réclament aucune restriction. Cette inaptitude à appréhender la complexité empêche nos fanatiques, de réaliser que bien et mal sont partie intégrante de la réalité relative et donc présents chez autrui comme chez eux-mêmes. Convaincu de ce qu’il pense, il affirme ses opinions de manière provocante, et peut commodément se cacher derrière l’obsession de justice et ce aux seules fins de pouvoir utiliser la violence. Au vu des religions elles-mêmes, l’intégrisme est considéré comme un ultimatum, une remise en cause de l’intégration sociale, du pouvoir, des succès acquis durant l’Histoire. Il inocule au sein de la société religieuse l’énergie des querelles, conduisant ainsi et inexorablement à une totale dichotomie d’avec la société politique. Le Talmud confirme nos propos: les Ecritures ont traité avec considération trois personnes de peu d’envergure, pour t’enseigner que Jerubaal (Gédéon) pour sa génération est semblable à Moïse pour la sienne, Bedan (Samson) dans sa génération est comme Aaron pour la sienne, Jephté dans sa génération comme Samuel dans sa génération, afin de t’enseigner que même l’infime parmi les infimes qui a été nommé chef de la communauté, est semblable au puissant parmi les puissants, car il est écrit: «Et tu te présenteras auprès des prêtres et des lévites, et du juge qui se trouvera à cette époque » , et aurait-il pu te venir à l’esprit de consulter le juge qui vivrait à une autre époque, mais pour te dire: « Tu n’as que le juge de ton époque», et ne dis point: «les temps passés valaient mieux que le présent». La force intégriste accuse et condamne la communauté religieuse dans ces rapprochements avec la société politique, nonobstant le fait qu’une nation aspire à se façonner de manière libre, pluraliste et démocratique, comme un État de droit. La religion s’en distingue parce qu’elle applique strictement les devoirs et les interdits inscrits dans le Livre de la Loi, tentant naturellement de phagocyter le pouvoir politique au sein du pouvoir religieux. L’intégriste notifie sa pleine appartenance au mouvement des « purs », des « fidèles » tout en accusant les « impurs » et les « infidèles », ceux qui ne vivent pas en accord avec les préceptes. L’intelligence avec la modernité politique est l’expression, selon eux, d’une dégénérescence de l’esprit de la religion, une impossibilité ontologique de deux couronnes sur un même trône et cela malgré le sens primaire qu’il est aisé de comprendre. Bien sur, le corps et l’esprit comme le cœur et la raison cohabitent ensemble, il ne viendrait à l’idée de nul être d’en douter, il peut donc y avoir deux autorités séparées, celle de l’État et celle de la religion même si l’Autorité divine est reconnue comme suprême. Les tenants du Judaïsme traditionnel ne prétendent pas incarner la perfection, laquelle n’est pas de ce monde. «Il n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir» (Ecclésiaste, VII, 20). Tout individu qui entend œuvrer pour le peuple juif, sait que ce n’est possible que dans le cadre national. Maïmonide explique: «Tout homme a son actif de bonnes et de mauvaises actions. Si ses mérites l’emportent, c’est un juste. Si ses fautes l’emportent, c’est un méchant. Moitié, moitié, c’est un être moyen. Il en est de même pour une nation: si les mérites de l’ensemble de ses citoyens l’emportent sur l’ensemble de leurs fautes, c’est une nation juste, sinon elle est méchante. Et il en est de même pour l’ensemble de l’humanité» (Lois sur le repentir 3,2. 7). Le Judaïsme est confronté à nombre de tourments et parmi eux il y a ce nouvel et incessant surcroît de religiosité que s’attribuent plusieurs milieux dits «ultras religieux», avec lesquels la tradition et le renouveau national d’Israël se trouvent mis en porte à faux et doivent ainsi se défendre à tout moment d’actes l’accusant de laxisme, de réforme ou de déviationnisme religieux. Son chemin n’est ni un renoncement pédagogique, ni une approximation de la Torah, ni un passage éphémère dont le résultat trouverait sa plénitude dans le mode de vie de ces castes dites «strictement observantes». La religion est synonyme d’embarras, de soins minutieux, de dévotion anxieuse. Dans ce cas, le terme invite assurément à l’exercice du culte, à l’observance rituelle, qui adjure la pratique à être conforme et la ferveur soucieuse et vigilante. Si religion égale finesse de conscience, contemplation soutenue, prudence émue et minutieuse, on conçoit clairement pourquoi ce terme s’est attaché hâtivement et sans équivoque à l’expérience et à la manipulation du sacré. Ceci n’était pas le sens premier d’une Torah qui signifiait «enseignement », c’est-à-dire une constitution pour la nation d’Israël où le culte et le rituel n’en étaient qu’une partie mais où l’on retrouvait les autres aspects tout aussi importants si ce n’est plus. De l’éthique à la morale d’être, du social, de l’économie, du politique, du militaire au législatif, Israël porteur de ce projet se devrait pour lui-même puis pour l’Humanité d’acquérir un supplément d’Ame. Le Talmud évoque formellement l’activité de «justes sans foi», car le Judaïsme est un composite de deux choses: la foi et les actes. De même qu’un Judaïsme de foi sans pratique est taré, à plus forte raison un Judaïsme d’actes sans foi est miné dans son fondement. L’orale nous prévient qu’au terme des temps on remarquera un accroissement de l’athéisme, et une réduction de la quantité des fidèles, ce que nous obs
ervons d’ailleurs de nos jours. Le Talmud ajoute que cette carence de la foi trouvera sa place même parmi les justes et les pieuses personnes. «Qu’est ce qui a gaspillé la part au Monde futur des justes? Leur petitesse (de foi. ¬Rachi) de n’avoir pas cru en D.ieu » (traité de Sota). La formule de «justes sans foi» peut s’avérer curieuse, mais il nous faut distinguer entre la piété, qui intéresse les pratiques de la vie juive, et la foi en D.ieu de ces justes qui se rapetissent aux quatre coudées de la Loi tout en oubliant l’essentialité du Projet divin pour Israël, cette «petitesse de foi» qui ne prend pas en considération que D.ieu est le Maître du monde et de l’Histoire et en particulier de l’Histoire des Hébreux. Voici le verset cité comme illustration par le Talmud: «Qui mépriserait le jour des petits commencements ». Cette formule est celle qu’employa le prophète Zacharie, contemporain de la délivrance du peuple juif à l’époque d’Ezra, lorsqu’il proclama avec fougue à cette multitude de Juifs, y compris les sages – qui doutaient de cette rédemption parce qu’elle se dévoilait de façon modeste, par des voies naturelles sans miracles surnaturels et spectaculaires. Et il flétrit ceux qui «condamnaient les petits jours». A notre époque, comme à l’époque d’Ezra, nous sommes confrontés au même phénomène de justes, de gens pieux, fervents du rituel et du culte, se reconnaissant dans une orthopraxie mais non dans une confiance sans faille pour le nouvel état Hébreu et le rassemblement des exiles pour exemple. Petits en foi, qui ne croient pas que c’est D.ieu qui conduit l’Histoire, et qui ne perçoivent pas en la création de l’Etat d’Israël, l’Œuvre divine du début de la Rédemption tant espérée. Ce sont pourtant des Juifs truffés de foi mais peu pieux qui ont soutenu Ezra, reconstruit la nation Judéenne, le Temple, et non les pieux sans foi restés en Babylonie. L’intégrisme religieux se permet de diffamer les autres parties du peuple juif et de bafouer l’honneur des Sages qui n’appartiennent pas à leur faction. L’intégriste accuse la société dont il dépend, de corruption, car éloignée de la doctrine des Ecritures saintes. Ce qu’il exige, c’est un bouleversement de nos habitudes dans le respect des interdits et des prescriptions du code religieux. L’intégriste est un réformateur dont l’utopisme ne s’adapte pas à une conception judicieuse et de portée universelle, il l’extrait d’une interprétation approximative de ce qu’il pense être «la religion» et dont il réclame un rétablissement des plus catégoriques. La religion s’attache à la piété, son concept est d’établir et d’entretenir des relations avec la Divinité, elle indique le lien ou la dépendance quand nous transformons un rattachement en attachement, un lien effectif en lien affectif. La valeur spirituelle de l’homme propriétaire d’une âme divine se dévoile par son verbe, celui qui faute par la parole, faute par ce qui fait l’homme, homme. D’où le sérieux de la calomnie, qui est la dévastation même de l’être Moi. Le Gaon de Vilna manifeste contre le dénigrement du peuple juif, même s’il est constitué de pécheurs, et, «D.ieu hait celui qui dénigre ses enfants, même si c’est un homme saint». Et Maïmonide dans sa célèbre lettre sur le Kiddouch Hachem, nous offre un répertoire ahurissant de personnalités spirituelles qui furent rudement châtiés pour avoir diffamé le peuple Hébreu, par exemple: Moïse, Elie et Isaïe. Citons le cas de cet homme pieux qui relatait à tout un chacun et en termes très crûs, que le Judaïsme national-religieux est un milieu d’indécence et de relâchement moral entre jeunes gens et jeunes filles. Il faut empêcher toute généralisation qui imputerait et dénigrerait tout un groupe, dans son ensemble. Ce qui est sûr, c’est que les propos de cet homme, dit pieux, constituent une faute pire que toutes les dépravations morales possibles et imaginables qui pourraient exister au sein d’un Judaïsme pas très comme le sien. Un de nos sages Hassidiques avait pour habitude de mettre en garde ses élèves contre une attitude trop fondamentaliste, il leur disait: «Cessez de prêter garde à ce que chacun met en bouche mais faites donc plutôt attention à ce qui en sortira » Le Talmud relate pareillement que des hommes de la Cour, certainement des «bigots» se plaisaient à avilir le roi David par des paroles pleines de sous entendus quant à son épisode avec Batsheva, David leur répliqua un jour: «Mieux vaut encore pénétrer dans le doute d’un adultère que d’offenser son prochain en public … car celui qui commet un adultère est passible de mort, mais a droit au monde futur; alors que celui qui couvre de honte son prochain en public, n’a pas de part au monde futur». Il importe donc de se débarrasser des «critères conventionnels de piété» qu’emploient ces gens «pieux» qui, statuent de la piété d’un individu ou d’un groupe en fonction d’un certain nombre de bonnes ou mauvaises actions arbitrairement choisies, et en leur affectant des coefficients d’importance contraires à ceux que les Sages leur ont donnés.
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