Au vu et su de son loyalisme animé d’une intelligence curieuse et critique, Yossef demeurera l’un de ces rares personnages de l’Histoire à savoir garantir la réserve économique, politique et culturelle du peuple d’Israël au grand moment de sa réunification nationale. Cette dualité doit être expliquée, il ne suffit pas de la présenter comme deux manières distinctes d’être Hébreu, d’une double face particulariste et universaliste de la tradition d’Israël, faut-il aussi, bien sûr, éviter toute préférence de l’une au profit de l’autre.
En vrai, originalité et exhaustivité sont toutes deux finalement idéales à Israël en tant qu’adhérent à la société des nations. Porteur d’espoirs moraux universels, le peuple juif possède pareillement ses habitudes propres et un devenir au sein d’une histoire toute singulière.
Toutefois le projet de l’être Hébreu ne passionne pas encore, il estime être le socle porteur de la «Sainteté supérieure», celui par qui les champs immanents du temps et de l’espace de l’épopée humaine seront transcendés vers une rédemption finale et totale.
En conséquence la coexistence, nécessaire de ces deux dimensions, dans la constitution et l’engagement d’Israël n’est pas seulement doctrinale.
Voici une valeur gravée dans son aventure où l’incapacité d’accorder ces deux essences sera source de scissions dans le peuple et probablement même de véritables tragédies nationales.
Apres l’éclatement du royaume d’Israël en deux royaumes distincts, ces derniers auraient dû chercher à résoudre leurs nouvelles relations de frères ennemis, non pas en poursuivant une unité factice mais bien en coopérant.
Que Yossef guide Yehuda sur les artères de la stabilisation nationale, sur les chemins conduisant la société humaine vers un vécu appréciable.
Et qu’en retour Yehuda octroie à Yossef l’élan supérieur propice au peuple Hébreu qui, par l’omniprésence des Prophètes, aurait la capacité de sanctifier toute matière.
L’histoire juive dans son ensemble manifeste cette dichotomie entre Yehuda et Yossef, elle sera prétexte à de longues et incessantes séries de malaises et de souffrances.
Épisodiquement le besoin d’affirmation de la puissance nationale et de l’universel humain occuperont le devant de la scène, quelquefois au contraire, on sera témoin du renouveau et de l’épanouissement des vertus clairement juives, tout autant que d’un nouvel intérêt à l’étude de la torah et de ses idéaux.
Au lieu d’une contribution réciproque, indispensable, chacun aspire à grandir séparément et entérine une situation conflictuelle.
La faculté de réunir et de rassembler est loin d’être probante, ce manque d’engagement empêche de concéder à chacune des tendances ainsi qu’à leurs représentants, une juste place. Cet éparpillement des volontés, source de désordre et de confusion, est ce que l’on dénomme les « douleurs de l’enfantement de la délivrance », les contractions à la venue du Messie, des deux Messies, ajoute le Rav Kook.
Les agissements du Messie fils de Yossef sont particulièrement touchés par un conflit interne. D’une part ils sont salutaires et de l’autre, limités à une spontanéité qui leur est spécifique, ils ne savent pas comment atteindre le but par eux mêmes, ils sont promis à un cuisant échec. Un peuple juif oubliant son caractère original, détaché des vertus qui incarnent sa destinée, est pour le moins inconcevable.
Les faits et gestes du Messie fils de Yossef sont essentiels, mais soumis aux seules lois du monde immanent, ils n’auront aucune chance de supporter à eux seuls les tourbillons de l’Histoire.
Tous, ensemble nous devons prendre conscience d’une telle évidence, la scission est dévastatrice, elle découle d’une profonde ignorance et nous mène inexorablement au drame et à la tragédie.
La catastrophe de la mort du Messie fils de Joseph procurera l’essor indispensable à la mise en place de nouvelles conjonctures, l’affliction n’est pas uniquement tournure de chagrin, elle est aussi prise de conscience.
Ceux dont la préoccupation principale seraient le redressement politique de la nation et ceux qui braqueraient leurs regards vers les vertus fondamentales d’Israël, ceux-là mêmes, tous ensembles, trouveront les solutions pour une action commune et un programme commun.
Le schisme a entraîné des échecs, mais l’unité pourrait être encore plus funeste si jamais l’une des deux parties venait à s’annihiler devant l’autre.
Le danger serait qu’au lieu de se séduire mutuellement tout en préservant leurs spécificités, les voies de Yehuda et de Yossef se désagrègent dans une uniformité sans relief.
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