Voici une leçon qui peut sembler étrange: dénombrer des êtres humains pourrait conduire à une catastrophe, pourtant et de prime abord, rien de moins anodin que de recenser le peuple des Hébreux!
L’objection sera d’un à propos et d’une évidence élémentaire.
Impossible de chiffrer la créature humaine. A cet effet, il faudrait que les éléments soient numéraux, c’est à dire identiques, mais voilà, la personne n’est ni une chose ni une quantité.
L’individu est une création incommensurable.
Nos maitres expliquent que le premier homme, Adam, à l’origine de toute Humanité, fut conçu solitaire et singulier aux seules fins d’une éduction concernant la valeur unique de la vie.
Celui qui assassinera son prochain sera considéré comme ayant commis un crime contre l’Humanité.
Mais celui qui sauverait un être humain, serait comme le bienfaiteur de l’Humanité.
Chaque homme est une entité à part entière, un infini, et on ne peut mesurer des infinis. Raison pour laquelle, il est préférable que chaque homme d’Israël donne une pièce de monnaie et ainsi pouvoir être comptabilisé comme citoyen d’Israël.
L’argent est un avoir quantitatif, contrairement à la nature qualitative des êtres humains, les dénombrer obéit à une déshumanisation, or chaque individu possède une nature exclusive.
Convertir les êtres en matière numérale conduit inévitablement le dessein Divin de l’Homme à perdre toute sa substance, en fait à la ruine du projet. La transmission de ce gène décadent affecte indifféremment le juste et le malfaisant, ils sont ensemble dans un face à face avec cette pathologie de l’Homme.
Elle dédaigne les individus car quantité négligeable, elle provoque à moyen et long terme une véritable pandémie, une catastrophe à visage humain.
La société de l’image altère la vocation de la beauté, la raison avérée de l’instant et le souvenir de la pureté. Qui plus est, elle falsifie insidieusement l’appréciation du quantitatif contre le qualitatif :
Une traversée est interprétée en temps de navigation, en nombre de repas, en plaisirs festifs ;
Le sport, une performance et une prouesse ;
L’amour, un partenariat chiffré ; Un film, un nombre d’entrées et un profit financier etc…
On veut sournoisement nous donner l’impression que l’existence ne peut être vécue sans une inscription au livre des records. La contestation bat son plein au sein de notre pensée, de sérieuses querelles tiennent le haut du pavé quant aux deux conceptions de la nature de notre Humanité.
Le manichéisme paraît insurmontable: une dichotomie profonde entre les Anciens et les Modernes se fait jour, une rupture au sein de la modernité où jubile une société Mécaniste et d’Avoir.
Impossible de faire marche arrière, pensons-nous !
Les valeurs d’antan paraissent puériles, et pourtant nous leur gardons, au recoin de notre mémoire, une valeur émotive.
D’autre part, le modèle mécaniste de la nature, au sein duquel le savoir actuel se développe, reste absolument inadapté et surtout insuffisant. Il divise totalement le sentiment d’un cœur sensible à la raison rigide du système. Il s’appuie, qui plus est, sur une approche déterministe tout à fait rassurée au vu et su du matérialisme moderne militant.
L’idée mécaniste, que l’on veuille ou non, en appelle, de manière perfide, à une dévastation de notre milieu naturel, ce qui non seulement nous terrifie mais nous révolte tout autant.
Altérer la Création c’est encore et toujours le vouloir plus, c’est aussi ce besoin de consommer en jouissant quantitativement le plus possible.
Un être arraché à ses racines, des savoirs qui succombent au bénéfice de produits de grande consommation.
Un idéal postmoderne pour les masses populaires: acheter et acquérir d’une manière compulsive et obsessionnel.
Toute une tradition disparaît dans les méandres du marché, mais l’essentiel n’est-il pas que de Rio à Tokyo, partout dans le monde, nous puissions nous bâfrer au fastfood, picoler le même tord boyau et enfiler la même fringue !
En conclusion, notre être humain exprime peu d’optimisme quant au devenir de l’Homme si celui-ci persiste dans son amour du « Chiffre et non du Nom ». En ce moment même, il se débat pour rester sur le haut de la vague, tenter de sur-vivre, on lui avait néanmoins promis la sécurité de l’emploi, la santé et surtout une vie « fun ».
Il est totalement perdu au milieu de cette quantité qu’il ne possède toujours pas, cela le déstabilise, le rend fou furieux devant tant d’illusions perdues.
Le voilà donc spectateur de son propre, mais bien triste, quotidien, d’une vie qui s’écoule bon an mal an et bien malgré lui.
Une inertie paralysante génère en lui une atrophie de son être pensant, elle l’infirme face au devoir du challenge sociétal, elle l’initie lentement à la passivité et à l’indifférence.
Cette dernière l’entraine vers l’individualisme et déplace son centre d’intérêt vers des divertissements parallèles.
Sa passivité exprime une totale abdication face aux aléas de la vie, aucune revendication ni aucune manifestation.
Tant de promesses qui ont entrainées tant de rancunes, tant d’attentes mystifiées pour un nouveau monde devenu si mélancolique.
Si le défaitisme environnant accepte d’abandonner la planète à elle-même, il le fait dans une insouciance intégrale et afin de disculper son auto suffisance. Nous devrions savoir que la créature humaine est un être de culture, nous devrions ainsi pouvoir affirmer qu’il appartient d’abord et surtout à la volonté de son Créateur. L’Éternel ne voulait pas que l’on numérote les hommes mais il désirait voir les hommes être capables de se nommer, c’est-à-dire de donner un sens et une finalité à leur existence.