Le système électoral israélien naquit, dans un moment critique, au creuset de la renaissance nationale.
En octobre 1948, la guerre d’Indépendance fait toujours rage. Le président du comité électoral, David Bar-Rav-Hai, rend compte à la Knesset provisoire des préparatifs de la première élection générale en Israël:
La commission a passé peu de temps à explorer des solutions théoriques, même si certains membres ont plaidé pour un système régional… presque tous les membres ont conclu que, lors de ces élections, dans les circonstances actuelles, de guerre et de mobilisation à grande échelle, ce débat théorique n’était pas important. Si nous voulons procéder rapidement à une élection, nous n’avons d’autre choix que d’opter pour un système national proportionnel. Tout autre exigerait des préparatifs beaucoup plus complexes et impossibles à mettre en œuvre dans un laps de temps si court.
Ce bref paragraphe nous informe succinctement sur les comment et les pourquoi des fondements du système politique israélien, improvisés dans des conditions singulières. Alors que le jeune État Hébreu défendait son droit à l’auto détermination et à l’indépendance souveraine, le devoir d’entériner rapidement sa nouvelle autorité en élisant son premier parlement l’emportait.
Aucune autre préoccupation concernant les mécanismes du système politique israélien ne pouvait être examinée. Ce n’était ni le lieu, ni le moment de débattre du sujet constitutionnel et de ses chapitres exhaustifs, comme dans la plupart des démocraties modernes.
Conçu à l’origine sous le mandat britannique, pour élire la communauté juive pré-étatique dans la Palestine sous mandat britannique, le système proportionnel israélien imposait aux partis politiques de gérer des listes de candidats sur une liste nationale, sans représentation locale. Quoi qu’il en soit, dans les circonstances antérieures à 1948, il s’agissait d’un dispositif raisonnable. Le Yishuv était minuscule, ses représentants élus n’étaient pas souverains. La représentation d’une myriade d’idéologies et de communautés, comme le permettait le système proportionnel, semblait à la fois juste et pratique. Cependant, l’histoire ultérieure a vite prouvé que la méthode était inadéquate.
Le premier homme d’État israélien à avoir, explicitement, mis en garde sur les défauts inhérents au système proportionnel, et préconisé son remplacement, n’était nul autre que David Ben Gourion, qui tenta dès octobre 1948 d’adopter une résolution du cabinet favorable à des élections représentatives. Il considérait la représentation proportionnelle comme source de déboires au vu du trop grand nombre de partis politiques. Aucun ne serait jamais assez important pour constituer la majorité de la Knesset, et il serait donc obligé de partager un pouvoir handicapé.
Pire encore, le système entretiendrait sa propre instabilité, dans la mesure où il autoriserait – et même encouragerait, les petits partis à mettre le gouvernement au service de leurs propres intérêts partisans. Les inquiétudes de Ben Gourion se révèleront, plus tard, prophétiques. Néanmoins, sa proposition de réforme fut catégoriquement rejetée par les membres religieux du gouvernement, convaincus, avec raison, de perdre leur pouvoir politique et leur influence dans un système basé sur la représentativité.
Au cours de sa longue carrière, Ben Gourion essaya, maintes et maintes fois, de modifier le système électoral israélien.
En septembre 1954, les dirigeants du parti Mapai, au pouvoir avec David Ben Gourion, votèrent par 52 voix contre 6 en faveur de l’inclusion de la réforme électorale dans son programme. Toutefois, la décision finale fut prise, suite au décompte des 47 autres membres, abstentionnistes, qui ne partageaient pas le zèle réformiste de Ben Gourion et s’additionnèrent au six refus.
En 1964, un an après sa démission du poste de Premier Ministre, Ben Gourion estima nécessaire de créer un mouvement, fer de lance du multipartisme, uniquement affecté à la question de la réforme électorale. À cette fin, il s’associa au parti libéral et rencontra Ari Jabotinsky, fils de son célèbre rival, Ze’ev Jabotinsky, ainsi qu’un ancien chef d’état-major des FDI et célèbre archéologue, le professeur et général Yigal Yadin. Cependant, Ben Gourion sut très tôt que le Premier Ministre, Levi Eshkol, avait rendu ses efforts vains en promettant à divers petits partis de bloquer toute tentative de réforme électorale pour les huit années suivantes. Enfin en 1965, lors de la création du parti Rafi par Ben Gourion, la réforme électorale était au cœur de sa plate-forme, mais à son arrivée au gouvernement, Levi Eshkol, pressentant le conflit imminent à la veille de la guerre des Six jours, écarta tous les sujets étrangers à la sécurité nationale.
Des projets de loi appelant à des élections régionales furent déposés devant la Knesset une dizaine de fois entre 1958 et 1988 par divers auteurs, notamment des personnalités politiques influentes à droite, à gauche et au centre. Certains furent adoptés en première lecture, reflétant ainsi une nouvelle prise de conscience politique et la désillusion populaire à l’égard des effets néfastes et paralysant du système électoral en Israël.
Malgré cela, toutes ces tentatives de réforme furent sommairement torpillées par l’ensemble des petits partis, qui contrairement au reste du lobby anti-réforme, étaient, presque toujours, partiellement représentés dans les nombreux gouvernements israéliens, et donc en mesure de faire obstacle à toute législation de réforme.
Une seule fois, la réforme électorale parut être à portée de main.
En 1984, alors que l’économie était au bord de l’effondrement, la Knesset divisée pratiquement en deux, entre les blocs travailliste et le Likoud, des membres haut placés des deux parties entamèrent des pourparlers qui aboutirent finalement à la formation d’un gouvernement d’union nationale. Ils purent ainsi résoudre la crise dramatique de l’hyperinflation.
L’une des questions sur lesquelles ils amorcèrent un débat fut effectivement la réforme du système électoral.
Tous venaient de vivre directement l’amère expérience d’une réalité, emplie de carences révélatrices, aussi désastreuse pour le système politique que l’hyperinflation le fut pour l’économie. Ce forum se réunit pendant plusieurs mois et commença à élaborer un projet de loi appelant à des élections régionales partielles.
Cependant, cette tentative fut une nouvelle fois avortée par les partis religieux, qui menacèrent de ne plus soutenir le Likoud et de ne plus honorer leur alliance, si ce dernier soutenait la réforme électorale. Le dirigeant syndical Shimon Peres ne montra également aucun enthousiasme ni état d’âme pour l’idée qu’il avait défendue en tant que cofondateur du parti Rafi, de Ben-Gurion.
Aux élections générales suivantes, tout tomba à l’eau et le projet de loi fut une nouvelle fois enseveli.
Dans les années 90, la plupart des rénovateurs étaient découragés.
Nul ne souhaitait plus remettre en cause l’establishment religieux et tous se rangèrent autour de l’idée novatrice d’une élection directe au poste de Premier Ministre. Activée pour la première fois en 1996, cette loi se matérialisa à trois reprises avant d’être annulée en 2001, cette dernière démarche souilla le concept même d’élection directe à la représentativité. On décida de couper la poire en deux: donner aux électeurs la possibilité de voter pour un candidat au poste de Premier Ministre et dans un même temps poursuivre des élections législatives selon l’antique modèle. Ainsi cette demi-réforme incita davantage les électeurs à voter pour les plus petits partis. Hormis cette expérience pitoyable de changement, la seule réforme électorale réussie par Israël sera l’augmentation du seuil d’entrée à la Knesset à son niveau actuel de 3,5%.
Les nombreux projets de loi de réforme politique dont la Knesset est actuellement saisie ignorent largement les questions de la réforme électorale. La plupart des députés, sont nommés selon les choix des appareils de partis (listes bloquées).
Le peuple, quant à lui, vote mais sans jamais élire ses représentants.
Les membres de la Knesset considèrent le système existant comme acquis, que ce soit par désespoir, par ignorance ou par opportunisme. Il est manifeste que la tension exercée par le lobby anti-réforme est si efficace que le souffle réformiste premier de Ben Gourion, et les essais de la génération suivante pour le réaliser, ont pour ainsi dire disparu. Nul ne peut ignorer le déclin de la démocratie Israélienne, preuves en sont les élections de 2019, un système dans l’impasse, un pays en attente et un long pourrissement de la situation sociale, économique et sécuritaire.