« Un jour je les déplanterai et les mettrai chacun pour soi : pour qu’il apprenne la solitude et l’obstination et la prudence » (F. Nietzsche)
Le monde traverse un état de détresse profonde.
Ce n’est pas toujours un temps aisé à supporter, il nous renvoie à nous-mêmes, nos difficultés et nos capacités à pouvoir faire face aux nouveaux défis où nous convoque l’Histoire.
Utilisons ces moments pour explorer notre isolement.
Non seulement nous sommes forcés de nous confronter à notre moi véritable mais nous pouvons aussi, simplement en apprendre un peu plus sur la manière de déjouer, en partie, la toxicité qui entoure notre cadre social.
Les défis de la solitude consistent à trouver un équilibre intérieur :
– Être à l’aise dans nos propres peaux;
– Devenir intime avec notre propre esprit;
– Prétendre à ce pouvoir qui nous traverse lorsque nous acceptons et exprimons notre vrai moi.
Bien que la simple pensée de cela puisse être intimidante.
La conjugaison peut naître lorsque nous passons vraiment du temps avec notre ombre, la partie de nous-mêmes que nous fuyons, cette partie de nous-mêmes que le psychiatre et psychanalyste Carl Jung dit être reléguée dans les profondeurs de l’inconscient.
En d’autres termes, lorsque nous réussissons à retirer notre vécu du contexte social, nous sommes mieux en mesure de voir comment il est façonné dans ces conditions.
«On désapprend ce qu’on sait des hommes quand on vit parmi les hommes»
(F. Nietzsche)
Nous parviendrons à mettre les choses en perspective quand nous cesserons de les étreindre contre notre sein.
Une grande partie de cette auto-reconfiguration se produit à travers des moments de mise en valeur de l’existence, de reflets mentaux lumineux, conséquents d’un isolement focalisé vers l’intérieur.
Lorsque de telles circonstances se conjuguent en nous, il ne faut nullement les combattre mais bien les accepter pour ce qu’elles représentent. Permettons-leur d’émerger calmement et honnêtement, ne résistons plus.
Notre temps seul ne devrait pas être quelque chose dont nous avons peur.
La quarantaine féconde nécessite un voyage interne, une forme d’activité qui, certes, peut être gênante, voire épouvantable à ses débuts.
Pourtant à force d’œuvrer pour son propre ouvrage, tôt ou tard, celui-ci se transforme et devient nécessaire et naturel. Parvenus à nous rencontrer, cette toute nouvelle relation parait étonnante et inimaginable tant et si bien qu’aucun n’aspire à s’en séparer.
Cependant, aujourd’hui, dans notre société hyper-connectée, nous avons relégué la solitude aux oubliettes de l’Histoire humaine, tout devient trop global, trop mondial. L’être seul est dévalué, mis au rencart, il lui faut se fondre au milieu du bruit généralisé des foules, des masses publicitaires pesantes et opprimantes.
De nombreux grands penseurs ont défendu les avantages intellectuels et spirituels de la retraite avec soi-même, aux confins de soi. Lao Tseu, Moshé, Nietzsche, Emerson, Woolf.
De nombreux humains modernes semblent inflexibles à l’éviter.
Chaque fois que nous avons l’occasion de courir, nous branchons nos écouteurs. Chaque fois que nous nous asseyons dans la voiture, nous nous branchons à l’écoute de tout autre.
Nos enfants aujourd’hui nous disent, le plus naturellement du monde, qu’ils ne peuvent pas aller aux toilettes sans leur portable.
Cela ne veut pas dire que la vraie solitude nécessite nécessairement une absence de stimuli. Au contraire, la valeur de la solitude dépend de la capacité d’un individu à trouver une solitude intérieure en lui-même. Chacun est différent et à cet égard disons-le, certaines personnes peuvent se promener, ou écouter de la musique, et sentir qu’elles sont profondément en contact avec elles-mêmes, tandis que beaucoup d’autres ne le peuvent point. La solitude ne consiste pas à éviter d’être avec d’autres personnes. Il s’agit d’être avec soi-même.
Pour reprendre les mots de Lao Tseu: «les hommes ordinaires détestent la solitude. Mais le Maître en fait usage, embrassant sa solitude, réalisant qu’il ne fait qu’un avec l’univers entier. »
Notre méfiance à l’égard de l’isolement a des conséquences.
Nous voilà devenus une société plus groupée, nous sommes attirés par les marqueurs d’identité et les groupes qui nous aident à nous définir [nous-mêmes]. En termes plus simples, cela signifie utiliser les autres pour remplir nos identités, plutôt que de compter sur cette reconnaissance intérieure, venue de nos profondeurs.
« C’est dans la solitude que l’homme créé, et qu’il peut se connaître et se créer lui-même.» (F. Nietzsche)
Mais son évitement pourrait faire des ravages sur notre vie dans le sens où l’extérieur exercerait un contrôle inconscient sur nos pensées, nos émotions, nos choix et nos actions. Dans la solitude, nous apprenons à nous engager avec l’ombre et nous enrichir de sa sagesse en nous montrant notre véritable essence.
La solitude est un endroit où l’esprit créatif peut s’exprimer joyeusement, et avec impatience, car lorsque vous êtes en mesure de vous désengager des exigences des autres, et du monde qui vous entoure, vous libérez soudainement un espace mental libre de se concentrer sur les sujets poursuivis et requis.
L’esprit est plus aiguisé et plus vif dans l’isolement et la solitude ininterrompue.
L’originalité se développe dans l’isolement affranchi des influences extérieures qui nous maltraitent et paralysent l’esprit créatif.
Soyons seuls, tel est le secret de la découverte.
Soyons seuls car c’est là que naissent les idées.
Il y a une grande différence entre la solitude et l’isolement, la solitude est un état négatif, marqué par un sentiment d’isolement. On sent qu’il manque quelque chose.
Il est possible d’être avec des gens et de se sentir toujours seul – peut-être la forme de solitude la plus amère. La solitude est l’état positif d’être seul sans être seul.
Ce dernier est souhaitable, un état d’être seul où vous vous offrez une présence inouïe et ravie, c’est un état d’engagement factuel et constructif avec soi-même.
Les êtres humains sont naturellement des créatures sociales et, en l’absence d’autres personnes autour de nous dès la naissance, le développement de notre personnalité serait retardé. Mais comme le montre la croissance de la santé mentale, nous pouvons être entourés de gens, tout en restant des individus séparés et isolés au fond de nous. En prenant prestement le temps de se détacher, cela nous permet de trouver notre équilibre. Les personnes extraverties vivent principalement de la vie sociale, tandis que les personnes introverties tolèrent beaucoup mieux la solitude.
Les deux ont finalement besoin d’une certaine solitude pour trouver l’harmonie. Elle nous permet de savoir que nous sommes plus que la somme de nos réactions aux autres et à nos rencontres, il s’agit donc plus d’un état d’esprit qu’une réelle conjoncture physique.
Je pense que la séparation du groupe est une chose que la société devrait faciliter davantage. C’est là qu’intervient la solitude. Une telle séparation nécessite la capacité d’être seul, vous devez la posséder, une capacité de savoir que vous survivrez, que tout ira vers le mieux et le meilleur même si vous n’êtes pas soutenu par le groupe.
Autrement dit, si vous réussissez à vivre la riche expérience de soi dans un état d’isolement, vous serez beaucoup moins susceptible de vous sentir seul quand vous serez réellement seul.
Il y a un hic à tout cela: pour que la solitude soit bénéfique, certaines conditions préalables doivent être remplies. Nous les appelons les «si»! La solitude ne peut être féconde que si elle est volontaire, si l’on peut réguler ses émotions efficacement. Quelle que soit la façon dont nous en ferons l’expérience, cela nous apprendra à devenir un meilleur témoin de notre vie et à percevoir les choses telles qu’elles sont réellement.
« Veux-tu, mon frère, aller dans l’isolement? Veux-tu chercher le chemin qui mène à toi-même? Hésite encore un peu et écoute-moi.
Celui qui cherche se perd facilement lui-même. Tout isolement est une faute, ainsi parle le troupeau. Et longtemps tu as fait partie du troupeau. En toi aussi la voix du troupeau résonnera encore. Et lorsque tu diras: Ma conscience n’est plus la même que le vôtre, ce sera plainte et douleur. Voici, cette conscience commune qui enfanta aussi cette douleur elle-même: et la dernière lueur de cette conscience enflamme encore ton affliction.
Mais tu veux suivre la voix de ton affliction qui est la voie qui mène à toi-même. Montre-moi donc que tu en as le droit et la force! Es-tu une force nouvelle et un droit nouveau? Un premier mouvement? Une roue qui roule sur elle-même? Peux-tu forcer des étoiles à tourner autour de toi? Hélas! Il y a tant de convoitises qui veulent aller vers les hauteurs ! Il y a tant de convulsions des ambitieux. Montre-moi que tu n’es ni parmi ceux qui convoitent, ni parmi les ambitieux! » (Ainsi parlait Zarathoustra – Un livre pour tous et pour personne ! Friedrich Nietzsche)
Rony Akrich