PEGASUS « TRAITRE COMPAGNE » – Par Rony Akrich

by Rony Akrich
PEGASUS « TRAITRE COMPAGNE » – Par Rony Akrich

En Israël, l’utilisation de Pegasus par la police israélienne pose question.
A l’heure où j’écris ce texte, elle est prévenue d’espionnage, sans autorisation juridique, sur des personnalités, des proches du gouvernement, des journalistes ou des hommes d’affaires. De manière générale, les demandes à la justice de mise sur écoutes de personnes particulières ne précisent pas les moyens utilisés.
Une affaire d’état à suivre!
« La plupart des individus confient, sans le savoir, leur vie privée à l’Etat et aux entreprises d’espionnage »… Telle est, aujourd’hui, l’hypothèse des agences de renseignement.

En conséquence, ils travaillent dur pour s’approprier les nouvelles technologies afin de servir les intérêts d’une administration méprisante, clé en mains, dans lequel le « moi électronique » devient la propriété de l’État. Plutôt que de défendre le public contre les profits des entreprises, ces offices encouragent l’anarchie, utilisant les tactiques d’exploration de leurs données à leurs propres fins. Tout ce qui bouge est désormais surveillé, de même les informations amassées et stockées à l’infini par ces officines privées et gouvernementales.
Dorénavant, les détails de notre vie quotidienne sont, non seulement pleinement exposés, mais sont également surveillés, collectés et sauvegardés dans des banques de données en attente d’être utilisés à des fins commerciales, sécuritaires ou politiques.

La façon dont le pouvoir, dans ses manifestations contemporaines, ne dépend plus de démonstrations brutes de domination, est représenté de manière saisissante dans le texte d’Orwel. Il est devenu omniscient dans un régime de répression et de surveillance dans lequel les notions les plus chères de l’agencement s’effondrent en exhibitions narcissiques éhontées et en confessions de soi.
La surveillance se nourrit des éléments titillant la peur et l’auto-illusion dans le but de produire des sujets singuliers, des modes d’identification et des désirs acceptant l’État de sécurité comme un pouvoir global légitimé par un état d’exception comparable à une « tyrannie militarisée » sans fin. Servant de fourrage volontaire pour l’état d’espionnage, le soi, dans de telles conditions, ne devient pas l’objet de la surveillance simplement, mais un participant, et un sujet, dans la culture de la surveillance.

Même « l’année 1984 » d’Orwell semble modéré à côté des paramètres actuels, des intrusions, des technologies et des appareils disciplinaires exercés par le nouvel État de surveillance des entreprises et du gouvernement.
Le contrôle est devenu plus omniprésent ! En s’immisçant, non seulement, dans les espaces et les activités les plus privés afin de collecter des quantités massives de données, mais en s’imprégnant et habitant, également, les activités quotidiennes afin d’être tenues pour acquises.
La surveillance n’est pas partout, mais sa présence s’est normalisée.

Orwell n’aurait pu imaginer les capacités intrusives des nouvelles technologies numériques de haute puissance d’écoutes et d’affichage. Il n’aurait pas pu, non plus, inventer le réseau croissant de partenariats politiques, culturels, économiques entre les modes de gouvernement et la souveraineté des entreprises capables de collecter presque toutes les formes de la communication où s’engagent les êtres humains. Au-delà des technologies puissantes utilisées par les gouvernements et les entreprises, pour espionner les gens, évaluer les informations personnelles comme un moyen d’attirer des clients prêts à l’emploi ou de vendre des données aux agences de publicité, l’émergence d’un régime de surveillance généralisé est également nouveau dans le monde post-orwellien. Les réseaux de renseignements habitent désormais le monde des grandes entreprises.

L’état, omniscient dans « 1984 » de George Orwell… est représenté par un poste de télévision bidirectionnel, installé dans chaque foyer.
Dans notre propre adaptation moderne, il est symbolisé par les téléphones portables et localisables, transportés volontiers dans nos poches avec nombre d’autres objets à puce électronique intégrée. Ces appareils peuvent être utilisés pour un certain nombre d’applications utiles et nécessaires, mais ils deviennent dangereux dans une société où les entreprises et le gouvernement ont un pouvoir, et un accès, accrus sur tous les aspects de la vie des gens.
En termes simples: « l’omniprésence de tels dispositifs menace une démocratie solide! »

Pourtant, la culture néolibérale, autorité de la modernité, a également créé un ordre social où la participation à la culture de la surveillance devient auto-générée, aidée par une pédagogie publique produite et diffusée à travers une machinerie de consommation qui encourage à transformer les rêves en « bits de données ».
Ces éléments passent ensuite de la sphère du divertissement aux sphères extrêmement sérieuses de la sécurité pour tous, grâce aux suivis des mouvements financiers, du crime organisé et du terrorisme.
Malheureusement, en général, une quantité non négligeable d’informations recueillies sont collectées et vendues à des entreprises, ou des agences gouvernementales, traquant la population à des fins commerciales, ou par crainte d’une éventuelle menace pour les industries établies et les institutions de pouvoir.

Dans ce cas, la modernité a été mise à jour, câblée, connectée et militarisée.
Avec ses immenses capacités d’exploration de données, l’État de surveillance représente une rupture historique avec les principes fondamentaux de la modernité qui mettent l’accent sur l’illumination, la raison, les idéaux de justice, d’égalité, de liberté et de démocratie, aussi imparfaits soient-ils.
L’investissement dans les biens publics était autrefois considéré comme un élément central d’un contrat social affirmant que tous les citoyens devaient avoir accès aux marchés, ressources, institutions et avantages qui élargissaient leur sens d’action et de responsabilité sociale. Mais le présent est désormais mu par les impératifs d’un système politique et économique néolibéral sauvage qui embrasse un « déficit de biens publics » où les « priorités budgétaires » sont inlassablement attisées afin de tarir l’État-providence.

Vouloir réduire drastiquement les prestations sociales dans le cadre d’une contre-révolution néolibérale plus large pour réduire les impôts des riches et des multinationales tout en bradant le bien public aux intérêts privés, est un délit social.
Les débats sur le sens et la finalité du bien public et social ont été cooptés par une politique de la peur, reléguant les notions de bien civique, de sphère publique et même du mot « public » au rang de responsabilité, sinon de pathologie.
La nouvelle modernité et son réseau de surveillance en expansion subordonnent les besoins humains, le patrimoine public et la justice aux exigences de la sécurité et du commerce. Ils œuvrent, en tandem, pour favoriser l’accumulation du capital à tout prix.
La peur a perdu ses connotations sociales et ne fait plus référence à la peur des privations telles que la pauvreté, l’itinérance, le manque de soins de santé et d’autres conditions fondamentales d’action. La peur est désormais personnalisée, réduite à une peur atomisée qui tourne autour du crime, de la sécurité, de l’apocalypse et de la survie.

Ne se contentant plus de jouer son rôle historique de panoptique modernisé, l’État moderne est devenu une source militarisée, et multicouches, d’insécurité, de divertissement et de commerce. (Le panoptique est un dispositif spatial qui permet une surveillance continue des individus. Imaginé par Jeremy Bentham, à la fin du XVIIIe siècle, le panoptique [ou « panopticon »] a été popularisé par les travaux de Michel Foucault. Il constitue depuis une référence courante pour les sciences sociales).
De plus, cette nouvelle étape de la modernité est animée, non seulement par le besoin de surveiller, mais aussi par la volonté de punir. Sous le régime du capitalisme néolibéral, l’expansion des mesures de surveillance du gouvernement et des entreprises devient synonyme de nouvelles formes de gouvernance antidémocratique et d’une intensification de la violence matérielle et symbolique. La dynamique de la modernité néolibérale, la force homogénéisant du marché entrainent, inévitablement, un affaissement vers un régime croissant de répression, l’émergence d’un État policier produisant des méthodes plus sophistiquées de surveillance et de suppression massive des outils les plus essentiels à la dissidence et à l’action démocratique.

Les opportunités ne manquent guère: la presse, les militants politiques, les défenseurs des droits civiques et les initiés consciencieux qui dénoncent les malversations des entreprises et les abus du gouvernement.
La peur, le harcèlement, l’écrasement de la dissidence et l’incarcération de masse, feront partie de cette « politique zombie » dans laquelle les machineries de la mort étendront leurs tentacules et justifieront toute nouvelle gamme d’injustices et d’inhumanité qui sévira.
Il convient de répéter que la vision d’Orwell de la surveillance et de l’État totalitaire semble maîtrisée à côté de l’émergence d’un système de surveillance d’entreprise-privé-État qui veut exploiter tous les modes de communication imaginables. Collecter des quantités infinies de métadonnées à mettre en banque dans une vaste intelligence, sites de stockage à travers le pays, puis utiliser ces données pour réprimer tout vestige de dissidence.

Les appels téléphoniques, les e-mails, les réseaux sociaux et presque tous les autres vestiges de la communication électronique sont désormais collectés et stockés par des entreprises et des organisations gouvernementales comme d’autres agences de renseignement.
L’affaire Snowden a révélé l’étendue massive de l’État de surveillance avec ses biocapteurs, ses scanners, ses technologies de reconnaissance faciale, ses drones miniatures, ses ordinateurs à grande vitesse, ses capacités massives d’exploration de données.
D’autres technologies furtives ont rendu visible la dure réalité de la disparition de la vie privée et de la diminution des libertés.
Les entreprises ont maintenant leurs propres bureaux d’exploration de données et déploient leur personnel et de nouvelles technologies de surveillance en grande partie pour espionner quiconque remet en question leurs abus de pouvoir. L’émergence de centres de fusion illustre comment le pouvoir est désormais un mélange d’agences de renseignement d’entreprise, locales, fédérales et mondiales, partageant toutes des informations qui peuvent être utilisées pour étouffer la dissidence et punir les militants.

Ce qui est clair, c’est que cette combinaison de collecte/partage d’informations se traduit souvent par un mélange fatal de pratiques antidémocratiques où la surveillance s’étend désormais, non seulement aux saboteurs potentiels, mais également à tous les citoyens respectueux des lois. En effet, l’identité politique de ces derniers, au sein d’une démocratie, s’effondre en présence des nouvelles technologies numériques avec des scanners optiques capables de réduire tout le monde à de simples objets physiques du contrôle de l’État. Plutôt que d’être définis par leurs relations avec les autres, et la société au sens large, les citoyens sont de plus en plus définis sous des régimes de surveillance par un amalgame d’informations biométriques illimitées, y compris les empreintes digitales, les scans de la rétine, les codes génétiques et d’autres données biologiques rassemblées à partir de technologies autrefois « conçues pour les criminels ».

Pendant ce temps, absorbés par des orbites privatisées de consommation, de marchandisation et d’affichage, les Israéliens, comme l’Humanité dans son ensemble, participent par procuration aux plaisirs toxiques de la culture de consommation, amusés sans relâche par des spectacles de violence et de sexe.

L’indignation publique semble disparaître, à quelques exceptions près, car l’État et ses alliés corporatifs font peu pour protéger les droits à la vie privée, les libertés civiles et une culture d’échange critique et de dissidence. Pire encore que de mettre fin à une culture de remise en question, l’État adopte des formes de terrorisme intérieur. La violence devient alors l’antidote privilégié à l’exigeant travail de réflexion, d’analyse, de dialogue et d’imagination du point de vue des autres.
Au sein de ce sinistre réseau de secret, de suspicion, de violence sanctionnée par l’État et d’illégalité, une certaine culture de l’autoritarisme prospère et constitue une menace dangereuse pour les libertés et les droits démocratiques. Derrière ce voile de pouvoir concentré et de secret se cachent, non seulement une menace pour les droits à la vie privée, mais la menace très réelle de la violence à la fois au niveau national et mondial.

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