Il n’y a pas d’expression plus poignante que la poésie pour épancher la nostalgie du peuple d’Israël pour Sion.
Les approches de la composition judéenne varient suivant les personnalités des poètes, leurs pays de résidence et le climat politique du temps dans lequel ils ont écrit.
A la suite des Tehilim (psaumes bibliques), les premiers poèmes, furent les kinot (lamentations) écrits pour commémorer la destruction des premiers et deuxièmes temples.
Beaucoup de ces derniers, également connus sous le nom de Sionides, ont été incorporés au service liturgique du 9 av.
Ils s’adressent au pays, souvent personnifiées en tant que femme, et expriment un désir ardent, une révérence et un amour pour le site du sanctuaire en ruine.
Eleazar Ben Kallir (env. 570 – 630) de Tibériade, poète liturgique prééminent de l’époque gaonique, décrivit Israël comme une femme abandonnée et Dieu comme le mari qu’elle appelle.
Dieu la rassure, ses prières seront exaucées :
« Mon ténébreux, je ne t’abandonnerai jamais ;
Je vais tendre la main et vous ramener à moi-même.
Votre plainte a pris fin :
Mon parfait, je ne t’abandonnerai pas et ne t’oublierai pas. «
Le poète et philosophe espagnol Salomon ibn Gavirol (1020 – 1057), l’un des plus grands poètes hébreux médiévaux, écrivit, parmi de nombreux autres types de poésies, des vers déplorant la situation du peuple juif en exil. Il y exprima son aspiration à la rédemption et à l’avènement du Messie.
L’inspiration de Ibn Gavirol est issue à la fois de la nostalgie traditionnelle de la délivrance et du destin particulier du Judaïsme espagnol.
Dans ses recueils : « Geullot » (Rédemptions) et « Ahavot » (Amours), le peuple d’Israël parle à Dieu comme une femme à son amant, racontant ses chagrins, tandis que celui-ci la réconforte lui promettant sa délivrance.
Isaac ibn Ghiyyat (1038-1089), autorité halakhique, commentateur, poète et chef de la maison d’étude de Lucena (près de Cordoue), sa ville natale, a écrit des allégories sur Israël comme une épouse délaissée, exhortant Dieu, son bien-aimé, de revenir. De la préférer. Sa réponse :
« O vous qui appelez en détresse, pourquoi devriez-vous avoir peur ?
Vous serez à nouveau transportés sur les ailes des aigles.
Je t’appellerai encore ‘Ma jeune épouse’ « .
Philosophie, poésie et Alyah : Yehuda Halevi
Sa production littéraire (environ 1085 à 1141) représente le point culminant de la créativité culturelle juive espagnole. Médecin, poète et philosophe, Halevi fut l’un des premiers théoriciens du Sionisme et du nationalisme juif, bien qu’il vive environ 750 ans avant que le mot « sioniste » ne soit utilisé.
Les conditions politiques de son époque l’ont amené à la conclusion que de nombreux futurs penseurs sionistes devraient atteindre un jour :
Cette vie dans la diaspora, aussi confortable soit-elle, était non seulement précaire, mais aussi destructrice de la créativité spirituelle juive.
Halevi est probablement mieux connu pour ses « Shirei Zion » (« Chansons de Sion » ou Zionides), au nombre de 35 environ. En elles, il a transformé un motif d’œuvres spirituelles médiévales – le sentiment d’aliénation de ce monde – en un thème proto-sioniste.
Au lieu de désirer l’existence d’un autre monde, les poèmes de Halevi considèrent Israël comme le seul endroit où un Juif peut se sentir enraciné.
Tandis que les poèmes déplorent la stérilité du pays d’Israël, ils louent sa splendeur spirituelle.
La vie en Espagne, en revanche, peut sembler plus luxueuse, mais en réalité, c’est une vie de servitude pour vaincre les tentations.
Les poèmes soutiennent qu’il n’y a pas de sécurité physique pour les Juifs dans les pays qu’ils appellent leur pays d’origine. De plus, ils ne peuvent réaliser leur potentiel spirituel qu’en Israël.
L’originalité de ces « Chants de Sion » est évidente par le sujet évoqué, peu commun, à cette époque, et plus encore par leur style varié et magnifique. Plusieurs catégories de ces poèmes peuvent être différenciées, même s’ils ont été écrits sur plusieurs décennies et contiennent des motifs récurrents et des tons similaires.
(1) Les poèmes de nostalgie d’Eretz Yisrael expriment la tension intérieure entre l’amour et la douleur, entre le rêve et la réalité et les efforts nécessaires pour établir un pont entre l’Ouest et l’Est.
(2) Il développe sa doctrine sur Eretz Yisraël dans ces discussions poétiques. Ainsi, au 12ème siècle, fut-il capable, à la suite de réflexions et d’entendement logique de comprendre et de conclure qu’il n’y a guère de solution plus sûre, pour le peuple juif, que son retour sur sa terre ancestrale.
(3) Certains des poèmes du voyage sont écrits à bord d’un navire ; d’autres sont des descriptions allégoriques composées avant son expédition, d’autres encore seront écrites bien après. L’utopie du poète Halevi dessina à travers songes et rêveries cette future traversée. Son imagination fertile et sa poésie inspirée lui permirent de surmonter ses peurs et ses angoisses, excellent élève de lui-même, il anticipa, avec bonheur et enthousiasme, les dangers de l’avenir. Ses poèmes commencent par une description du monde, mais les suivants diminuent la perspective : l’orage méditerranéen, le faible navire à sa merci et enfin le poète lui-même dans la prière.
Dans ses nombreux ouvrages, Yehuda Halevi a utilisé plusieurs voix, écrivant parfois du point de vue d’Israël, parfois de celui de Dieu :
« Mon cœur est à l’est et je suis au bord de l’ouest.
Alors, comment puis-je goûter ce que je mange, comment puis-je en profiter ?
Comment puis-je remplir mes vœux et mes engagements alors que Sion est dans le domaine d’Edom et que je suis dans les liens de l’Arabie ? *
Il me serait facile de laisser derrière moi toutes les bonnes choses de l’Espagne ; Il serait glorieux de voir la poussière du sanctuaire en ruine.»
[*Edom symbolisait les croisés chrétiens, qui détenaient la Terre d’Israël à cette époque ; L’Arabie symbolisait les musulmans, qui dirigeaient l’Espagne.]
Le plus célèbre de ses poèmes « Tzion ha-lo tishali » (« Sion, ne demandes-tu pas que la paix soit avec tes captifs ») est entonné chaque année dans les communautés du monde entier dans le cadre de la journée du souvenir au 9 du mois de Av. Le poète y déplore la destruction de Jérusalem mais attend avec impatience sa restauration dans le futur :
« Sion, ne demandes-tu pas que la paix soit avec tes captifs ? »
Qui cherche votre bien-être, que sont les restes de vos troupeaux ? De l’ouest et de l’est, du nord et du sud, de tous les côtés,
Accepter les salutations de ceux qui sont proches et lointains,
Et les bénédictions de ce captif du désir,
Qui verse ses larmes comme la rosée d’Hermon
Et aspire à les faire tomber sur vos collines.
Je suis comme un chacal quand je pleure sur votre affliction ;
Mais quand je rêve du retour de vos exilés, je suis une harpe pour vos chansons… Si seulement je pouvais errer dans ces endroits
Où Dieu fut révélé à vos prophètes et à vos hérauts !
Qui me donnera des ailes pour que je puisse m’éloigner ?
Je porterais les morceaux de mon cœur brisé sur tes montagnes escarpées … »
De nombreuses générations ont déploré la destruction du Temple et rêvent de rédemption. Tous les aspects du poème se concentrent sur Sion. Les qualités saintes du pays sont enfin spécifiées avec un sentiment lyrique qui transpose imaginativement le poète dans des lieux de révélation antérieure, de prophétie, de monarchie et vers les tombes des ancêtres.
Dans un tollé poétique unique, il exprime son chagrin face à la destruction et exprime la félicité de son espoir au travers de vers sereins qui terminent l’ode, où il bénit ceux qui auront la chance de voir la rédemption réelle dès l’aube du retour.
Passionné par l’amour de Sion, Yehuda Halevi décide d’émigrer en Eretz Israël, abandonnant finalement son foyer, sa famille et ses amis, et part pour Jérusalem en passant par l’Egypte.
Son intention d’émigrer progressivement reflétait l’aspiration la plus haute de sa vie. Cela résultait d’un ensemble de circonstances :
Pensée politique intense et réaliste ;
Désillusion quant à la possibilité d’une existence juive assurée dans la diaspora ; Intense désir d’un acte positif et rédempteur ;
Enfin, le climat messianique préexistant, qui le touchait tellement qu’il songea un jour que la rédemption aurait lieu en l’an 1130 de notre ère.
Sa décision a été renforcée par sa propre philosophie religieuse, développée dans son célèbre ouvrage « Le Kuzari » et dans beaucoup de ses poèmes.
Tout au long de son travail philosophique et poétique, comme dans sa vie, on ressent l’effort intellectuel de rendre les autres Juifs conscients de sa vision.
Le poète s’est violemment élevé contre ceux qui se sont trompés en parlant de Sion, en priant pour sa rédemption, alors que leur cœur demeurait obstrué et que leurs actions en étaient si éloignées.
De grandes difficultés l’attendaient.
Le long voyage en mer et dans le désert sera périlleux. Il sait qu’il vivra dans des conditions de vie très difficiles en Eretz Yisrael, alors sous l’autorité des croisés.
De plus, il a dû réfuter les arguments de ses amis qui ont tenté de le dissuader et vaincre son attachement à sa fille et gendre uniques, à ses étudiants, à ses nombreux amis et fidèles.
Il dut renoncer à son statut social élevé et aux honneurs atteints dans son pays natal et se débattre prestement avec son amour intime pour l’Espagne, pays des sépultures familiales. Auparavant, il avait considéré l’Espagne, avec fierté et gratitude, comme une possible patrie pour les Juifs.
En revanche, Yehuda Halevi fut encouragé à faire ce voyage par son ami Halfon ha-Levi, rencontré en Espagne en 1139.
Le 24 Elul (8 septembre 1140), il arrivait à Alexandrie. Quelques mois plus tard, il se rendit au Caire où il séjourna chez son ami. Les paysages, le bien-être, l’admiration et les honneurs dont il fut témoin comme les amitiés si chères à son cœur, lui firent prolonger son séjour en Égypte et craindre de mourir avant d’atteindre sa destination. Finalement, il monta à bord d’un navire à Alexandrie à destination d’Eretz Yisrael, mais son départ fut retardé pour cause de mauvais temps.
Les élégies écrites en Égypte et les lettres de la « Genizah du Caire » mentionnant sa mort, permettent de conclure qu’il est finalement décédé et enterré, environ six mois après son arrivée en Égypte.
Ce qui lui sera refusé dans la vie, génèrera la légende, d’abord mentionnée dans « Shalshelet ha-Kabbalah », puis par Heinrich Heine dans son « Hebraeische Melodien ». La légende raconte qu’il aurait réussi à atteindre la ville de Jérusalem, mais, alors qu’il embrassait ses pierres, un cavalier arabe qui passait le piétina au moment où il récitait son élégie, « Ziyyon ha-lo tishali » .
Alors que l’exil se poursuivait, des envies poétiques associaient la description des souffrances des Juifs de la diaspora à un souhait de retrouver la gloire d’Israël au temps du Temple.
Éphraïm de Bonn (né en 1132), dans sa « Lamentation pour le massacre de Blois », plaidait pour la restauration des fortunes du peuple juif, le retour à Jérusalem et les sacrifices du Temple. D’autres poètes ont félicité Israël d’etre resté fidèle malgré toutes ses tribulations.
L’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 a entraîné une nouvelle floraison des styles de poésie hispanique dans les communautés juives, elles aussi dispersées, comme celles de Turquie, de Grèce, d’Afrique du Nord, d’Eretz Yisrael et de Hollande, pendant une période s’étendant du 16ème au 18ème siècle.
Yehuda Aryeh Modena (1571-1648), enfant prodige, rabbin italien, érudit et écrivain, dans son « Chant pour le jour de l’expiation mineure », a lancé un appel à la rédemption :
« Et par votre grand amour, mon Roi, vous vous lèverez et aurez pitié de notre sainte Sion. Vous restaurerez votre Gloire sur votre Demeure, et nous y présenterons les holocaustes du nouveau mois. O Dieu, prie, envoie le porteur de notre honneur royal, car c’est là, à Sion, que nos cœurs aspirent à briller. »
Shalom Shabazi (1619 – après 1680), le plus grand des poètes juifs yéménites, a déploré l’exil des Juifs yéménites à Mawza, près de la rive orientale de la mer Rouge, dans ses poèmes. Vivant dans une période de persécutions et d’anticipations messianiques pour ce Judaïsme, Shabazi exprima fidèlement et poétiquement les souffrances et les aspirations de sa génération, dont il devint le poète national. Son œuvre traite principalement des thèmes religieux de l’exil et de la rédemption, du peuple juif et de Dieu, de la sagesse et de l’éthique, de la Torah et de la vie à venir. Beaucoup de ses poèmes évoquent également le passé glorieux des Juifs dans leur propre pays, dont l’auteur s’est inspiré. Il est empli de la foi et de l’espoir en une grandeur renouvelée dans un futur proche.
Dans son ode « Le Sceau », le poète se décrit comme un amant amoureux d’Israël, bien que, dit-il : « mes pieds s’enfoncent dans les profondeurs de l’exil ».
Vivant au plus fort de la controverse autour du faux messie Shabatay Tzvi, Moshe Chaim Luzzatto (1707-1747), le kabbaliste, écrivain d’œuvres éthiques et poète hébreu, a estimé qu’il était nécessaire de travailler à la rédemption. « La guérison de la présence divine » (tikkun ha-Shekhina) était le but de la « Société des chercheurs de Dieu » de Luzzatto, qui a étudié le Zohar jour et nuit afin de réaliser la délivrance. Les autorités rabbiniques du moment suspectèrent le ‘Ramh’al’ d’une certaine solidarité avec Shabatay Tzvi, en conséquence, elles l’éconduisent de Padoue, où il avait grandi, vers Amsterdam, pour finalement atteindre le pays d’Israël.
Certains considèrent Luzzatto comme le père de la littérature hébraïque moderne en raison de sa parfaite maîtrise de la langue, de son style expressif (« vivant, direct et totalement moderne ») et des idées qu’il a abordées. Son poème ‘Eretz Israélien’, « Shir al Hamei Tverya » (Chant des sources de Tibériade), contient une description graphique de la désolation régnant un peu partout à cette époque et une description minéralogique des sources de Tibériade. Le Ramhal a établi un parallèle entre les eaux minérales curatives de Tibériade, qui émergent du sol après avoir surmonté de nombreux obstacles, et le peuple d’Israël qui sortira également victorieux de ses épreuves.
Chaim Nachman Bialik (1873-1934), auteur hébreu, père de la poésie hébraïque moderne et poète prophète du nationalisme juif, il inspira les sionistes et les révolutionnaires russes, les pionniers de la Palestine et des milliers d’écoliers qui étudiaient sa poésie partout où l’on enseignait l’Hébreu moderne.
Son influence était immense.
Né près de Zhitomir en Ukraine, Bialik a séjourné à Volozhin (Lituanie), à Odessa, à Kiev, à Varsovie et à Berlin avant de s’installer à Tel Aviv en 1924.
Son premier poème publié, « El HaTzippor » (Vers l’oiseau), était une chanson convoitant ardemment Zion. En 1894, il écrivit « Al Saf Beit Hamidrash » (Au seuil de la maison d’étude), qui prédit le triomphe ultime de l’esprit d’Israël.
Dans l’hymne « Birkat Am » (La Bénédiction du peuple, 1894), qui est imprégné de métaphores complexes liées au rituel du temple, le poète a métamorphosé les bâtisseurs d’Eretz Yisrael en prêtres et en constructeurs du temple.
Bialik, plus que tout autre poète hébreu depuis Yehuda Halevi, maîtrisait parfaitement l’Hébreu.
Il était capable d’utiliser les nombreuses ressources de la langue et avait forgé un nouvel idiome poétique qui permettait à la poésie hébraïque de se libérer de l’influence écrasante de la Bible et pourtant conserver en même temps ce lien inexorable avec « la langue vernaculaire ».
En répondant au cri silencieux d’un peuple ayant besoin d’articulation dans une nouvelle ère, il a acquis sa reconnaissance permanente. En tant que poète, son génie et son esprit ont laissé une empreinte indélébile dans la littérature hébraïque moderne.