La Torah se nomme également « Etz Chayim », arbre de vie, une manière de nous transmettre les valeurs, l’éthique et les lois inhérentes à l’invite Divine exhortant les Juifs à choisir la vie. Toutefois notre façon de mourir est aussi tout ou partie de notre façon de vivre.
Ainsi, lors de notre face à face avec la grande faucheuse, nos ancêtres bibliques peuvent servir de modèles référents à notre propre position, à l’approche de la fin de vie. Je pensais à quelques exemples symboliques rencontrés lors de mes lectures bibliques :
Existe-t-il une bonne mort ?
Aujourd’hui, une grande partie de la recherche autour de cette question dit oui, et cela ressemble à ceci :
1)Décès à domicile ou dans un lieu de son choix
2)Une fin de vie entourée d’êtres chers ou désirés
3)Une fin de vie libérée de tous les carcans relationnels insignifiants
Les organismes de soins palliatifs, les équipes soignantes et les membres de la famille constatent que ces éléments peuvent soulager l’anxiété, la souffrance et offrir un état de paix en fin de vie.
Yaakov Avinou sait, non seulement, que sa mort est imminente, mais il a la clarté d’esprit d’appeler chacun de ses enfants à son chevet pour les bénir et leur donner des conseils pour les lendemains sans lui. (Genèse 47 :28) Il réprimande ceux qui en ont besoin et raconte sa propre vie. Le Patriarche demande même à ses enfants de l’enterrer aux côtés de ses ancêtres.
En termes contemporains, il modélise une révision de son existence, un travail d’héritage, et prouve une volonté éthique. Toutes ces choses que les professionnels de la santé, les thérapeutes et les hommes et femmes de religion doivent si souvent encourager.
Yaakov n’eut guère la vie à laquelle il aspirait, ainsi s’en épanche-t-il devant Pharaon :
« Et Yaakov répondit à Pharaon : “Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations.” » (Genèse 47 :9)
Mais il eut la mort à laquelle il aspirait.
Il rassembla la pluralité de ses enfants et s’assura que tous soient présents et entendent sa parole. Il s’offrit le luxe de faire tout cela dans le confort de son foyer.
Certes, au seuil de la mort, ce cas de figure n’est pas toujours possible.
Certains décès sont inattendus et imprévus.
Certains décès surviennent à l’hôpital, le seul endroit où une personne peut obtenir les soins dont elle a besoin.
Quelquefois, l’agonisant n’est plus conscient ou cognitivement capable de transmettre ses souhaits. Ne sachant guère à quoi ressemblera notre propre mort, il est important de s’y préparer le plus tôt possible, avant même d’être malade.
Dire à ses êtres chers que nous les espérons à nos côtés
Quelles sont les mesures médicales acceptables ou non,
Comment voulons-nous que l’on se souvienne de nous, tout cela peut être fait à tout âge.
Si ces conversations sont inconfortables, elles sont néanmoins l’expression ultime de l’amour.
Je trouve beaucoup de sagesse, pour nous tous, dans la mort de Yaakov. Il y a même un célèbre enseignement (Rashi sur Genèse 49 :33) :
« Il expira, il fut réuni ».
Le terme de « mort » n’est pas employé à son sujet, de sorte que nos maîtres ont enseigné : « Notre patriarche n’est pas mort ! » (Traité de Ta‘anith 5b).
A mon humble avis, la leçon de ce commentaire est claire : laisser derrière soi un héritage spirituel, un patrimoine culturel et la grâce d’une image, nous évite de vraiment mourir.
Peut-on mourir d’avoir le cœur brisé ?
Dans la Genèse, Sarah semble répondre, oui, très certainement.
Après des années de souffrances et de questions face à la stérilité de son couple, Sarah est enfin enceinte, l’espoir d’un enfant devient finalement réel et elle accouche d’un fils bien-aimé, Itzhak. Mais un drame se trame, Dieu ordonne à son mari, Avraham, de sacrifier cet enfant chéri comme épreuve de sa Foi. Lorsque Sarah découvre le pot aux roses, son fils est déjà prêt pour son sacrifice:
« Le récit de la mort de Sarah fait immédiatement suite à celui du sacrifice de Itzhak. Quand elle apprend que son fils avait été ligoté sur l’autel, prêt à être égorgé, il s’en fallut de très peu qu’il ne soit immolé. Le choc subit fut si énorme qu’elle en est morte. (Pirqé deRabi Eli‘èzèr 32). » (Rashi sur Genèse 23 :2)
Bien qu’Itzhak ne soit finalement ni blessé ni tué, le texte dans lequel Sarah meurt s’appelle « Chayei Sarah » ou « La vie de Sarah », soulignant que la façon dont elle est morte en dit long sur la façon dont elle vécut et comment nous souvenons nous d’elle.
Que pouvons-nous apprendre de la mort de Sarah ?
Le rabbin Kalonymus Kalamish Shapira, connu sous le nom d’”Aish Kodesh”, mourut dans le ghetto de Varsovie, il nous enseigne que la mort de Sarah est un appel à Dieu et un plaidoyer pour que nul ne soit tenu de souffrir et de s’angoisser indéfiniment. Si Sarah, l’une des personnes les plus vertueuses, généreuses et fidèles de notre tradition, ne put supporter une telle douleur, personne ne peut, ni ne devrait avoir à le faire. L’histoire de sa mort est une supplique à Dieu d’intervenir et de nous préserver, de nous réconforter et de nous sauver quand il devient impossible de poursuivre plus loin notre chemin.
Lorsque nous sommes confrontés à un chagrin insupportable dans notre propre vie, peut-être en faisant face à notre propre maladie, à la mort ou à celle d’un être cher, pouvons-nous penser à Sarah. Pouvons-nous l’imaginer, assise avec nous dans notre douleur, nous tenant la main et peut-être même pleurer avec nous. Quand nous n’avons rien à dire à Dieu, Sarah est notre voix, exigeant qu’il rende nos vies et nos morts meilleures que la sienne. Apprenons de son histoire et exprimons haut et fort :
« Dieu, cela suffit ! S’il te plaît, donne-moi la force de surmonter cela. S’il te plaît, que la mort de Sarah ne soit pas pour rien. S’il te plaît, guéris mon cœur brisé. »
« Il ne t’incombe pas de terminer l’ouvrage mais tu n’es pas non plus homme libre pour t’en décharger. » (Pirkei Avot 2 :16)
Nous pensons souvent que nous devons tout faire nous-mêmes, si nous ne le faisons pas, cela ne se fera pas.
À la fin de sa vie, Moshe – un leader habitué à tout faire – apprend que cette façon de penser est contre-productive.
À ce jour, nous disons que personne ne ressemblera jamais à Moshe ni dans le caractère ni dans sa relation avec Dieu. Cependant, il demeura humain et mourut. Si l’Hébraïsme avait pris fin avec Moshe, si notre foi cessait avec lui, nous ne serions pas ici aujourd’hui. Si la Torah n’existait que dans la vie d’une seule personne, elle ne serait pas éternelle.
Et ainsi, au cours des derniers instants de sa vie, Dieu dit à Moshe de se concentrer sur la transmission de son leadership à Yehoshoua. (Devarim 31 :14) Il doit accepter qu’il n’entrera pas de son vivant en terre d’Israël. Lors de cette approbation, il apprend que la transmission de la tradition est le meilleur moyen de la garder.
Notre travail n’est pas de terminer l’œuvre, mais d’être un maillon de la chaîne.
Souvent nous l’admettons, face à la mort, et donc face à la perte du temps, des opportunités et de nos rêves, mais cette prise de conscience reste difficile même si le dessein reste source d’espérance.
Tout va bien au-delà du seul présent, nous faisons partie d’une plus grande histoire, nous n’avons pas à nous soucier de tout terminer puisque l’œuvre se poursuivra grâce aux générations futures.
Cette vérité est humiliante et libératrice, elle nous permet de lâcher prise.
En fin de vie, une personne se sent parfois attachée à ce monde, inquiète pour ses enfants ou son conjoint, incapable de lâcher prise sur les choses qu’elle voudrait terminer ou s’occuper. Un être cher ne quittera peut-être pas le chevet, ne pratiquera pas les soins personnels de peur que personne d’autre ne s’occupe du patient.
Dans de telles situations, c’est un cadeau sage et compatissant pour nous-mêmes, et nos proches, de donner la permission de se laisser aller et d’accepter de l’aide.
En ce moment, dans votre propre vie, pensez à vous détacher et à accepter de voir votre travail inachevé soit poursuivi par d’autres.
Quel est ton ressenti lorsque tu te dis : (à toi-même ou à un proche en phase terminale), tu n’as rien abandonné, tu as transmis et tu l’as fait à chaque instant de ton existence, tu as pris soin de tous et tu les as tant aimés ?
Tu n’as guère besoin de terminer l’œuvre de ta vie, tu n’as guère besoin de tout faire par toi-même, ton héritage se poursuivra, ton histoire continuera. Offre-toi la permission de lâcher prise et reste libre !
Dans la mort nous perdons la vie dans ce monde, mais nous gagnons, en échange, le don d’un héritage, d’une histoire bien plus grande que nous-mêmes.
En transmettant son leadership, Moshé s’est assuré que nous puissions faire de même.
On conçoit habituellement la liberté comme la capacité d’agir sans contrainte, ou encore comme la faculté d’effectuer des choix sans y être obligé ni forcé. Dans son sens le plus courant, la liberté tendrait donc à se confondre avec le libre arbitre, mais où en sommes-nous de cette liberté, c’est à-dire, une la capacité à s’auto-déterminer spontanément et volontairement ?