La semaine dernière, en compagnie des étudiants de « l’Université Populaire Gratuite », nous avons effectué un voyage d’études à Jérusalem-Est. En cette veille de Yom Yerushalaim, j’avais envie de partager avec vous mes entendements!
Au cours des 56 dernières années, Israël a évité d’exercer une véritable souveraineté sur Jérusalem-Est. La partie orientale de la ville est coupée de l’électricité, des transports publics, de l’éducation et des services de santé israéliens – les habitants ont le statut de résidents temporaires.
Cet échec n’augure rien de bon quant à une réelle gouvernance souveraine de l’État d’Israël !
Le froid intense de l’hiver a considérablement augmenté la demande d’électricité, et la compagnie Hevrat Hashmal, incapable de faire face à la charge et provoque des coupures de courant.
Plus précisément, l’entreprise – qui se targue d’être l’une des plus fiables au monde en matière d’approvisionnement – fait face à la charge!
C’est la compagnie d’électricité de Jérusalem-Est qui ne s’y conforme pas. Elle achète l’électricité à la Compagnie israélienne et la distribue aux résidents arabes de Jérusalem.
56 ans après la “réunification” de Jérusalem, il s’avère que le courant ne passe pas comme il se doit : du côté ouest de la ville, il traverse les lignes de transmission de la Compagnie d’électricité israélienne, et du côté est de la ville – par les lignes de transmission de la « East Jerusalem Electric Company ».
Ce n’est pas le seul écart d’infrastructure étrange entre les deux parties de la ville!
Les transports publics à Jérusalem-Est sont exploités par sept compagnies de bus privées. Fondamentalement, chaque quartier à l’est de la ville a sa propre compagnie qui ne partage presque jamais les lignes entre eux. Aucune des lignes de Jérusalem-Est n’atteint l’ouest de la ville et, de ce fait, il n’y a pas de liaison de bus entre l’Est et l’Ouest.
Ces entreprises privées n’acceptent pas non plus les paiements via la carte de transport israélienne.
En termes de services de santé, les caisses d’assurance maladie israéliennes fournissent des services de santé aux résidents de Jérusalem-Est, mais pas directement. Ils communiquent avec des sous-traitants qui exploitent leurs dispensaires dans l’Est de la ville.
La différence entre les deux parties de la ville est particulièrement évidente dans le domaine de l’éducation – le système éducatif de Jérusalem-Est est toujours le système éducatif palestinien. 95% des étudiants étudient le programme palestinien, tout en étant résidents de Jérusalem, subordonnés au ministère israélien de l’Éducation pour beaucoup d’entre eux.
L’absence quasi totale de l’enseignement de l’Hébreu dans le programme palestinien est l’une des causes des données sociales difficiles des habitants de Jérusalem-Est :
le taux d’abandon scolaire atteint 30 %, le taux d’acceptation aux études universitaires est inférieur à 10 %, l’emploi des femmes s’élève à un taux honteux de seulement 25%, et le taux de pauvreté est le plus élevé d’Israël, il atteint 75% (le dernier chiffre de l’Assurance nationale est de 59%, mais il est controversé).
Nous pouvons poursuivre et mentionner que la loi foncière israélienne ne s’applique pratiquement pas à l’Est de la ville, et les appartements à Jérusalem-Est ne sont pas répertoriés au cadastre. En l’absence d’enregistrement légal, pour vendre ou acheter légalement un appartement, les habitants de Jérusalem-Est sont contraints d’utiliser la « procédure du Mukhtar », qui désigne un maire de village au Proche-Orient. Celui-ci a reçu la reconnaissance de l’État, et lui seul est autorisé à déterminer si l’appartement a changé de propriétaire.
Il va sans dire que ce manque de gouvernance, comme cette étrange méthode d’enregistrement, entraîne inévitablement malversation et corruption!
56 ans après l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, les signes de la souveraineté israélienne à l’Est de la ville sont plus que précaires. La partie orientale est encore et toujours sous un statut de « ne pas absorber, ne pas expulser ».
Ses 340 000 habitants de la partie orientale de la ville, ensemble, constituent la troisième plus grande ville d’Israël, ils détiennent une carte de résident, mais n’ont pas la citoyenneté israélienne.
La différence entre la résidence et la citoyenneté était censée se manifester uniquement par le droit de voter pour la Knesset et le droit de détenir un passeport israélien, mais en pratique, il s’agit d’un énorme écart de droits.
En tant que résidents, les Arabes de Jérusalem-Est ont tous les droits économiques et sociaux : éducation, santé, bien-être, prestations de sécurité sociale, maintien de l’ordre, etc.
En pratique, à l’exception des prestations de sécurité sociale et des services de santé, ils ne reçoivent pratiquement aucun service supplémentaire.
En l’absence de passeport, ils sont contraints de se contenter d’une attestation de transit, ce qui rend les déplacements à l’étranger très difficiles. Par ailleurs, les services de la Sécurité sociale sont également fournis avec parcimonie, ils vérifient chaque habitant de Jérusalem-Est, minutieusement, avant de confirmer leur éligibilité à recevoir une allocation.
L’inspection par l’assurance nationale tourne autour de la définition du « lieu de résidence », à savoir si l’individu vit à Jérusalem, ou s’il a d’autres maisons ou membres de sa famille en Cisjordanie, une menace permanente du statut de résident pour les Arabes de Jérusalem-Est. Au cours des dernières décennies, le ministère de l’Intérieur a commencé à révoquer en bloc le statut de résident pour toute personne qui osait acheter une maison en Judee-Samarie, ou qui partait à l’étranger pour un séjour prolongé, disons à des fins d’études, par exemple.
Les inspections du « centre de vie » obligent les habitants à constamment prouver qu’ils y habitent : beaucoup ont migré vers les quartiers déjà denses de l’est de la ville (où il n’est pas possible d’obtenir un permis de construire légalement – ce qui conduit inévitablement à des constructions illégales) ; ils évitent de se rendre à l’étranger et sont de fait confinés chez eux ; ils gardent les portes du seul bureau de la population (jusqu’à il y a un an) qui les servait, pour s’assurer de l’exactitude de leur inscription à l’administration de la population.
Le résultat est une charge insupportable, l’attente va parfois jusqu’à un an. Seules l’intervention de la Knesset et La Haute Cour de justice ont fait déménager le ministère de l’Intérieur et, l’année dernière, ouvrir des points de service supplémentaires pour les résidents de la partie orientale de la ville.
Le statut provisoire des habitants s’est encore aggravé avec la construction du mur de séparation – 200 000 habitants de la ville Est se trouvent à l’intérieur des limites du mur, et 140 000 sont restés à l’extérieur. Après le déclenchement de la seconde Intifada, l’affaiblissement des relations avec la Jordanie n’a pas aidé non plus.
Depuis lors, le royaume Hachémite ne renouvelle plus la citoyenneté jordanienne des résidents de la partie orientale de la ville, et en l’absence de citoyenneté israélienne, ils restent dans un statut de résidents apatrides – un statut inhabituel dans le monde et très problématique aux termes de la loi internationale.
Israël pourrait accorder la citoyenneté aux habitants de Jérusalem-Est, mais refuse de le faire. Pendant des années, le ministère de l’Intérieur a traîné les pieds dans le traitement des demandes de citoyenneté des résidents de Jérusalem-Est, rejetant les demandes sous des prétextes marginaux tels que posséder une maison en dehors de Jérusalem, ou maîtrise insuffisante de l’Hébreu.
Dans ce cas également, seule l’intervention de la Haute Cour a été utile : l’année dernière, le ministère de l’Intérieur a traité 2 500 demandes de citoyenneté, soit 3,5 fois plus que l’année précédente. La moitié des demandes ont été approuvées et l’autre moitié rejetée.
Les écarts entre Jérusalem-Est et Ouest sont si grands parfois que l’unique choix est de se demander quels signes de souveraineté Israël exerce-t-elle à l’Est de la ville. Contrairement aux déclarations solennelles des gouvernements concernant le statut de Jérusalem, Israël n’a jamais unifié la ville et n’a jamais appliqué totalement sa souveraineté ni sa gouvernance sur la partie orientale.
L’annexion de Jérusalem en 1967 était en fait une annexion du territoire – sans les personnes y vivant. Israël continue de traiter le sujet sans détermination, ni résolution véritable, tout est fait pour éviter de fournir l’ensemble des services, et bien sûr ne point leur accorder un état civil légal et égal. « Une vaine souveraineté » témoignant et affirmant, à moyen ou long terme, comment le lésé est avant tout Israël lui-même.
En 2018, le gouvernement a adopté la première décision d’investir 2,1 milliards de shekels pour « réduire les écarts socio-économiques et le développement économique à Jérusalem-Est ».
Le programme, qui tente de réduire les disparités dans une longue série de domaines de la vie, est historique dans le seul fait qu’il n’est plus possible d’ignorer les habitants de Jérusalem-Est et leur revendication légitime à l’égalité sociale (sinon civile). La prise de conscience soudaine du ministère de l’Intérieur en matière d’amélioration du service et de contrôle des demandes de nationalité s’inscrit probablement dans la même tendance.
À la lumière de l’incapacité à appliquer sa souveraineté et sa gouvernance sur les habitants de Jérusalem-Est au cours des 56 dernières années, on ne sait pas pourquoi ni comment l’État d’Israël pense avoir une chance de réussir le rattachement civil de près d’un demi-million de Palestiniens à ce jour.