Solidarité en cas de crise ou de changement à long terme : l’unité sociale subsistera-t-elle même une fois la guerre terminée? Habituée aux temps de crise, la société israélienne se mobilise surtout pendant les jours de bataille, et les initiatives citoyennes volontaires pour aider les plus défavorisés de la société déferlent sur le pays. La grande question est: l’esprit populaire de volontariat et de mobilisation disparaîtra-t-il avec la fin de la guerre? Cette énergie se transformera-t-elle en une conscience selon laquelle la solidarité devrait être institutionnalisée?
La société civile en Israël est toujours mobilisée. Qu’il s’agisse du quotidien ou en temps de guerre, vous pouvez facilement trouver des organisations, ou des citoyens, qui accepteront de prêter main-forte en cas de besoin et d’aider une personne dans son environnement. Mais faire face à la guerre a obligé les initiatives civiles et l’esprit humain à « calculer un nouveau cap », alors qu’en un instant la façon dont nous étions habitués à nous soutenir les uns les autres a complètement changé.
L’implication sociale a stimulé les options de soutien traditionnelles et de nombreuses organisations ont vu le nombre de bénévoles fortement augmenter. Tous ressentent un besoin fort et profond d’être des partenaires
à part entière dans l’effort national. Mais la solidarité a ses propres voies. De nombreuses organisations ont trouvé des solutions rapides leur permettant de continuer à fournir une aide immédiate aux plus défavorisés,
accompagnées d’initiatives civiques ad hoc qui ont balayé tout Israël. Ainsi, en soutien au « système de santé » qui opère dans tout le pays, un grand nombre de jeunes ont décidé d’aider les personnes âgées, des groupes
WhatsApp de quartier, des initiatives d’aide aux entreprises et bien plus encore. La société civile en Israël est habituée à agir en temps de crise, mais sera-t-il possible de faire de la solidarité particulière, à ces moments-là, un élément permanent de la société israélienne, avec une action encore plus intense en temps de paix ?
Cette crise soulève des questions philosophiques sur la solidarité méritant d’être posées dès maintenant. Lors d’une crise, nous constatons une entraide interpersonnelle qui ne dépend pas d’une structure ou d’une autre, mais elle est le résultat d’une bienveillance entre les personnes.
Dans cette période, on le ressent beaucoup plus: Quand un agriculteur se retrouve coincé avec des marchandises – ils l’aident. Quand une personne qui n’a rien à manger – ils lui cuisinent.
Il y a des groupes WhatsApp dans les bâtiments et ils aident les personnes âgées. On observe une solidarité instinctive qui risque de disparaître dès la fin de la guerre, si cette énergie ne devient pas une conscience selon laquelle la solidarité devrait être structurelle.
Nous avons plus que jamais besoin de solidarité !
Nous constatons que cette guerre a fait du mal à tout le peuple, pauvres, riches, enfants et adultes. Nous ne voulons abandonner personne même si nous ne parvenons pas à faire face aux angoisses et aux difficultés de tous.
Il y a aussi un élément égoïste dans la solidarité, et cette période le montre clairement : nous voulons que notre environnement soit sain, également pour ne pas être infectés. Les guerres et le terrorisme nous montrent la
vulnérabilité humaine qui n’est pas liée aux classes sociales, l’âge et la situation économique. Ainsi, lorsque nous réalisons que nous sommes tous vulnérables, nous prenons conscience que nous aurons tous besoin de
solidarité sociale, à un moment donné. J’aimerais que nous profitions de la crise actuelle, tragique et dramatique, pour dialoguer et nous poser des questions qui nous permettront de remettre en question notre mode de vie
et de renforcer notre résilience sociale et communautaire.
Les questions intéressantes aujourd’hui se situent au niveau interpersonnel : Qu’est-ce qui motive cette entraide?
dans quelle mesure peut-elle réellement conduire à un changement profond à long terme ?
Peut-être que cette rencontre avec la détresse fera naître la compréhension de l’impossibilité à maintenir une société viable ici, sans solidarité institutionnelle.
Dans quel genre de société voulez-vous vivre ? Dans celle où la personne souffrant à côté de vous n’a aucun soutien social, elle ne vous intéresse pas, mais elle et toute sa famille sont en train de mourir !
Est-ce moral et juste ? Nous pouvons relier les questions morales et utilitaires. Un homme a travaillé pendant des années dans un hôtel, aujourd’hui ils ont fermé l’hôtel et il n’a pas de travail. Que va-t-il se passer maintenant? Voulons-nous qu’il n’y ait qu’une solidarité d’en bas qui dépend d’associations volontaires de personnes ? Voulons-nous donner à une personne le sentiment d’un citoyen honorable, qui a des arrangements sociaux lui permettant de survivre à cette période?
Regardez l’Histoire….L’État-providence a atteint son apogée en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. Vous avez vu combien les bombardements ont meurtri tout le monde. Soudain, il y a des orphelins
partout! Les pauvres ne sont pas les seuls à perdre leur maison. La guerre a créé la compréhension et l’infrastructure de l’État-providence, mais il y avait des agents sociaux qui étaient capables d’agir en tant que médiateurs et de le formuler d’une manière qui illustre la nécessité d’un État-providence.
Je ne sais pas ce qui se passera en Israël – la solidarité se traduira-t-elle par un système plus structurel ? La compréhension sociale, dans la conscience et l’intériorisation d’un système, sera-t-elle plus inclusive et plus
compréhensive? La conscience ne se produit pas d’elle-même. Elle a besoin de quelqu’un pour l’aider dans l’orientation du devenir. Quand il y a des agents politiques qui traduisent les choses en haine, alors les limites de la solidarité sont dépassées.
Aujourd’hui, nous devons discuter précisément de ce sujet : Qu’est-ce que la solidarité, pourquoi est-elle importante, comment peut-elle se traduire pour une société plus saine, qui aurait pu mieux traiter cette tragédie en gestation également ? En Israël, même en temps normal, j’estime que le niveau de volontariat, de bénévolat, est élevé. Nous sommes très souvent solidaires au quotidien, au sein de nos communautés. Au milieu de notre colère et de notre peine, je constate qu’à partir du moment où l’ordre de mobilisation a été donné, l’ensemble de la population s’est mobilisé. Pour la première fois, le public ultra-orthodoxe, concernant Tsahal et surtout parmi sa jeunesse, souhaite également se mobiliser et se joindre à l’effort national israélien.
Deux mille d’entre eux ont rejoint les rangs de Tsahal pour servir en 2eme ligne.
Dans la situation actuelle, la guerre place Israël dans une position de victime réclamant la justice. La valeur de la vie humaine en Israël, quelle que soit la communauté, est très, très élevée. Notre système médical est en guerre pour maintenir les gens en vie, et bien plus important encore, il est une réussite sans nom par rapport au reste du monde. Notre lutte pour la vie humaine est une finalité, la société israélienne est solidaire, aider son prochain est tout ou partie de la nature essentielle gravée au sein de la société israélienne.
Le discours de haine en Israël est l’une des choses qui fragilisent la solidarité, et nous en payons le prix social. Nous devons changer notre propos, mais à l’heure actuelle, les partis au pouvoir n’ont qu’un seul but: anéantir définitivement l’ennemi et ramener tous les captifs à la maison!
Quel changement significatif la guerre actuelle peut-elle apporter? L’écrivain philosophe Ernest Renan est sans équivoque: ”la nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des grands sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposés à faire encore. Elle (la’nation) suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours”.