Qu’est-ce que « l’antisémitisme de gauche » ?
Où se manifeste-t-il ?
Que faut-il faire à ce sujet ?
Il existe trois difficultés, trois confusions et obscurcissements, qui font obstacle à une discussion rationnelle sur ce que nous entendons par « antisémitisme de gauche. »
La première : l’antisémitisme de gauche se connaît sous un autre nom, plus pharisien,
« antisionisme ». Souvent, votre antisémite de gauche croit sincèrement qu’il n’est qu’un antisioniste, s’arrogeant le droit d’émettre une critique juste, mais sévère d’Israël.
La seconde : parler d’antisémitisme de gauche à un antisémite de gauche évoque normalement l’indignation, la sincérité et le simple déni de quelque chose d’autre !
« Non, je ne suis pas raciste ! Comment oses-tu me traiter de raciste ? »
Non, en effet, à part quelques cinglés atypiques ici et là, les antisémites de gauche ne sont pas racistes. Mais il y avait de l’antisémitisme avant le racisme anti-juif à la fin du XIXe et au XXe siècle.
Et il existe encore différentes sortes d’antisémitisme, longtemps après avoir vu le dégoût du racisme à l’hitlérienne et du racisme manifeste de toute sorte devenir partie intégrante du mobilier mental et émotionnel de toutes les personnes à moitié honnêtes, et peut-être particulièrement des gens de gauche.
Mon gauchisme faisait de moi l’être qui, par instinct et par conviction, se rangeait du côté des opprimés, des exclus, des privés de droits de l’homme, de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier. Je me refusais naturellement à être du côté de toute oppression : police, armée et puissance des États capitalistes.
Je suis socialement tolérant.
Contrairement à « pendez-les, déportez-les, construisez plus de prisons, etc. », j’ambitionne de changer les conditions sociales tout en éradiquant toute forme de violence terroriste ou autre, je suis de ces gens qui aspirent à une réelle justice sociale au sein d’une démocratie sans peur et sans reproche.
Mais grand mal m’en coûte, depuis quelques années, lorsque le « gauchisme progressiste » prend le pas sur la justice et le droit.
La troisième source de confusion et d’obscurcissement est l’objection : « Vous dites que je suis antisémite parce que je dénonce Israël. Je ne suis pas anti-juif lorsque je dénonce Israël, mais antisioniste. Et parfois, à ce stade, on ajoute : « D’ailleurs, je suis moi-même Juif ».
L’objecteur poursuit : « Israël mérite d’être critiqué ». Même les critiques les plus sévères de la politique israélienne en Cisjordanie et à Gaza, et du traitement à long terme des Palestiniens par Israël, sont propalestiniennes et antisionistes, et non antisémites.
Assimiler la critique d’Israël à l’antisémitisme n’est qu’une apologétique sioniste grossière et hystérique.
Non, par « antisémitisme de gauche », nous entendons très clairement, une critique politique, militaire ou sociale d’Israël comme du pouvoir exercé par ses différents gouvernements. Certes, tous les critiques de gauche, d’Israël ou du sionisme, ne sont pas antisémites… Mais, de nos jours, tous les antisémites, y compris ceux de droite, démodés et racistes, sont des « antisionistes » déclarés.
La différence entre les antisémites de gauche et les critiques honnêtes d’Israël – une catégorie comprenant un très grand nombre de Juifs et Arabes israéliens– est une simple question de politique.
Les antisémites de gauche ne critiquent pas seulement Israël, ils le condamnent catégoriquement et nient son droit à exister.
Ils utilisent des critiques légitimes et se servent de la sympathie naturelle envers les Palestiniens, pour demander réparation ? Que nenni, mon ami ! Réparer quoi me direz-vous !
Comme arguments contre le gouvernement israélien, la politique israélienne, ou quoi que ce soit de spécifiquement mauvais en Israël ? Pas du tout ! Qu’auraient-ils le droit de dire ??
Non, ils les utilisent comme arguments contre le droit d’Israël à exister !!!!
N’importe quel Israël, n’importe quel État juif dans la région, n’importe quel Israël !!! Quelle que soit sa politique… Même celle où toutes les raisons spécifiques de critiquer Israël d’aujourd’hui en soutenant les Palestiniens contre lui seraient entièrement éliminées !!!
Les antisémites de gauche disent que le problème fondamental provient de l’existence même d’Israël.
Le « crime » fondamental du Sionisme est d’avoir préconisé, et créé, l’État sioniste d’Israël.
Amèrement, et trop souvent, critiquant certaines politiques, certaines actions et tous les gouvernements israéliens, semblant défendre les Palestiniens, nos antisémites de gauche ne cherchent aucune réparation spécifique en Israël ou auprès d’Israël, exigeant seulement qu’Israël cesse d’exister ou disparaisse.
Ils s’opposent souvent aux mesures visant à améliorer la condition des Palestiniens sans détruire Israël.
Ainsi les pétitions et les slogans lors des manifestations : « Solution à deux États, pas de solution ! » Ils utilisent des slogans comme « Palestine libre » précisément parce qu’ils peuvent être compris de différentes manières, selon votre définition de la «Palestine» Ils peuvent donc accueillir ceux qui, sans avoir étudié les complexités ou l’Histoire du conflit judéo-arabe, se rangent instinctivement du côté des Palestiniens opprimés et dépassés, et pour qui cette expression signifie simplement qu’Israël doit quitter les territoires occupés.
Il peut également accueillir ceux, comme les partisans du slogan, les islamistes politiques de l’Association musulmane de Grande-Bretagne/Frères musulmans et d’autres, qui définissent la « Palestine » comme la Palestine d’avant Israël, d’avant 1948 et par « Palestine libre ».
Cela signifie tout bonnement la destruction et l’abolition de l’État d’Israël, et l’élimination d’une manière ou d’une autre de la population juive d’Israël, ou de la plupart, voire la totalité de ces habitants. Les différences politiques exposées ici sont faciles à comprendre.
Mais pourquoi la volonté et l’engagement de détruire Israël relèvent-ils de l’antisémitisme, et pas seulement de l’antisionisme?
Parce que l’attitude envers la nation juive en Israël est unique !!
Totalement différente de celle de la gauche envers toutes les autres nations, avec des conséquences, parfois dramatiques, sur les attitudes envers les Juifs en dehors d’Israël.
Hormis quelques extrémistes juifs religieux, comme Naturéi karta, pour qui la création d’Israël serait une révolte contre Dieu, et certains Juifs porteurs d’une « haine de soi », partageant les vues des gauchistes dont nous discutons ici, les Juifs en dehors d’Israël s’identifient instinctivement à Israël et le soutiennent, même de manière critique.
Pour les antisémites de gauche, ils sont donc des « sionistes » et des cibles appropriées et naturelles de la campagne visant à « écraser le Sionisme ». L’attitude de la gauche « antisioniste » à l’égard d’Israël s’accompagne d’une hostilité globale envers la plupart des Juifs du monde entier – ceux qui s’identifient à Israël et qui défendent son droit à exister. Ce ne sont pas sont seulement des gens qui ont des idées erronées, ce des « sionistes ».
Dans les universités américaines, par exemple, où la gauche antisioniste coexiste avec les étudiants juifs, cette attitude signifie souvent un antagonisme particulier envers les Juifs
«sionistes ».
Ils sont identifiés à Israël.
Ils subissent notamment des pressions soit pour dénoncer Israël, soit pour reconnaître qu’il est « raciste » et « impérialiste » et son existence est un crime contre les Arabes – soit pour être tenus directement et personnellement responsables de tout ce qu’Israël fait, a fait, ou fera.
Dans de tels endroits, où la gauche se confond avec les Juifs, la logique de l’attitude unique envers Israël prend un caractère persécuteur désagréable. Dans le passé, au milieu des années 1980 par exemple, cela a pris la forme d’une tentative d’interdire les sociétés étudiantes juives.
Les non-juifs qui défendent le droit d’Israël à exister ne sont pas classés dans la même catégorie.
Mais l’attitude des « antisionistes absolus » à l’égard d’Israël est-elle vraiment unique ?
Il existe des similitudes apparentes avec l’attitude de la gauche à l’égard d’un ou deux autres États – l’Irlande du Nord protestante, l’Afrique du Sud de l’apartheid ou la Rhodésie (Zimbabwe) dirigée par les blancs avant 1980 – mais l’attitude à l’égard d’Israël est unique, car la réalité d’Israël ne peut pas être correctement expliquée. Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid et en Rhodésie blanche, une minorité dominait la grande majorité de la population et l’exploitait.
Israël est un État majoritairement juif composé de toutes les classes sociales. La nation juive ne subsiste pas, et n’a jamais subsisté, de l’exploitation du travail arabe, ni essentiellement, d’une telle exploitation.
Le droit des Juifs à « être là » est nié dans les sections de gauche dont nous parlons.
L’organisation de l’immigration juive vers la Palestine – tel était le « crime » fondamental du Sionisme, dont le « péché » de l’établissement d’Israël n’était qu’un développement ultérieur. La « solution finale » n’est pas seulement de défaire et d’annihiler Israël, mais aussi d’inverser la « migration » juive – qui inclut désormais les personnes nées là-bas, les parents qui y sont nés – et de faire reculer le film de l’histoire du Moyen-Orient.
Rony Akrich