Le président de Degel HaTorah, dont les rabbins ont fermé les portes de nombreuses institutions éducatives après que des élèves séfarades y ont été inscrites, a lancé aux dirigeants du Shas : « Ouvrez vos propres établissements ».
Réponse du Shas : « Yshar Koah’, tu as clarifié que le public séfarade ne peut compter sur aucun autre parti ».
Yediot Aharonot / Shilo Freid | 01.09.25 | 12h25
Le président de Degel HaTorah, Moshe Gafni, n’a pas hésité à mettre la vérité à nu. Sans masque, sans échappatoire : « Ouvrez vos propres établissements ». Une phrase simple et tranchante, dans laquelle le chef d’un parti ultra-orthodoxe ashkénaze admet ouvertement que les portes de ses institutions sont fermées aux élèves séfarades. Pas une erreur, pas un cas isolé, mais un principe. Ce n’est pas seulement du racisme, c’est un crime moral.
Car Gafni n’est que le dernier symptôme d’un phénomène ancien. De l’ashkénazisme laïc du Mapai jusqu’à l’ashkénazisme ultra-orthodoxe de Degel HaTorah, il existe un fil conducteur: un racisme infectieux à l’égard des Juifs d’Orient. Autrefois, cela s’appelait le « creuset », abandonne ta langue, tes poèmes, tes sages et deviens un nouvel Israélien ashkénaze. Aujourd’hui, cela s’appelle la « sauvegarde du caractère », abandonne ton nom, ton origine et ta tradition, et deviens un nouveau haredi ashkénaze. Toujours la même exigence: t’effacer pour être accepté.
Mais Gafni est allé plus loin: il n’a pas seulement fermé les portes, il a aussi jeté la clé. « Allez ouvrir vos propres établissements ». Autrement dit: vous ne nous appartenez pas, vous ne faites pas partie de nous, vous êtes des étrangers. Il ne se contente pas de se détourner des Séfarades, il proclame ouvertement qu’Israël est divisé en races. Ce n’est pas une déclaration politique, c’est un crime anti-juif.
Et voici la véritable insolence: ces mêmes Ashkénazes, les libéraux comme les orthodoxes, tiennent les positions les plus extrêmes vis-à-vis des Séfarades et des Orientaux, sans jamais les lâcher, alors même que leur propre passé proche-oriental demeure historiquement incertain. Descendants de communautés depuis longtemps éloignées du cœur géographique et culturel du peuple juif, installées dans l’Europe froide, ils se permettent de juger, de classer et de diviser ceux qui ont conservé la proximité avec les racines, avec les poèmes, l’accent et les coutumes qui respirent encore l’air de l’Orient. C’est un paradoxe criant: ceux qui se sont enracinés au cœur d’une culture européenne aliénante se permettent de donner des leçons d’« authenticité » aux autres.
Et en vérité, sans l’hégémonie de la laïcité ashkénaze des années 1950-60, qui a utilisé les institutions sionistes pour imposer un seul modèle d’« Israélien nouveau », l’hégémonie arrogante du judaïsme ashkénaze ultra-orthodoxe n’aurait pas tenu longtemps. Car sans cette laïcité contraignante, l’ashkénazisme traditionnel aurait rapidement révélé sa pauvreté culturelle et son absence d’originalité hébraïque proche-orientale. En d’autres termes: si le sionisme ashkénaze-laïc n’avait pas écarté de force la culture des Juifs d’Orient, l’ashkénazisme religieux n’aurait eu aucun socle « hégémonique » pour continuer à se poser en supérieur.
Et il n’est pas étonnant que de ce même camp ashkénaze soient sortis aussi les cris les plus virulents de l’anti-sionisme. Les Neturei Karta, hassidim lituaniens extrémistes, se sont retrouvés à défiler à Téhéran aux côtés des ayatollahs et des négationnistes de la Shoah. L’ashkénazisme ultra-orthodoxe a transformé la haine du sionisme en idéologie au service de nos ennemis. Et de l’autre côté, l’ashkénazisme laïc académique, qui prétend parler au nom de « l’universalité », est devenu la pointe de la post-sionisme en Israël et à l’étranger. Ici comme là, ce sont des Juifs ashkénazes qui fournissent la munition intellectuelle à l’anti-sionisme mondial. Ainsi se révèle la dualité: de l’ashkénazisme est sorti le meilleur comme le pire. Il a enfanté de grands maîtres de la Torah, des poètes et des philosophes, et il a aussi enfanté un racisme institutionnel, une discrimination ethnique et un anti-sionisme criminel. Gafni n’est qu’une figure contemporaine, mais il porte sur son dos une longue tradition de paternalisme, d’exclusion et d’arrogance.
La réaction du Shas – « Yshar Koah, tu as clarifié que le public séfarade ne peut compter sur aucun autre parti » – est à la fois juste et douloureuse. Car elle proclame au grand jour ce que beaucoup pressentaient depuis longtemps : il n’y a plus rien à attendre d’une alliance véritable. Le rideau est tombé. Moshe Gafni a scellé le divorce, sans appel : les Séfarades ne sont pas les bienvenus dans les institutions haredi ashkénazes. Il est temps de rompre avec l’illusion. Temps de se libérer des oripeaux empruntés, de ces costumes noirs, de ces chemises blanches amidonnées, de ces chapeaux grotesques qui ne sont pas les nôtres. Ces signes extérieurs d’appartenance n’ont jamais reflété la vérité de nos racines. Ils ne sont que le masque d’une domination qui nous a imposé ses codes, ses hiérarchies et ses humiliations. Il faut revenir aux sources. Aux sources de l’hébreu oriental, à l’élan des ancêtres qui n’ont jamais cessé de porter en eux l’Orient d’Abraham. Cet Orient n’est pas un folklore ni une nostalgie : c’est la chair vivante de notre identité. C’est une sagesse enracinée, une fidélité à la fois biblique et prophétique, une manière d’être juif qui ne demande l’autorisation de personne pour exister. Assez de supplications aux portes closes. Assez de quémander des places subalternes, de quémander reconnaissance dans des structures qui n’ont jamais voulu de nous. Assez d’intérioriser le mensonge d’une prétendue infériorité. Si Gafni ferme ses portes, ouvrons les nôtres. Ouvrons de larges portails, fiers, séfarades, rayonnants. Des portails qui donnent sur l’héritage immense du Rambam, de Rabbi Yossef Karo, de Yehouda Halevi, de l’Arizal. Des portails qui n’excluent personne mais qui affirment sans trembler la grandeur d’une tradition millénaire.
Car cette tradition n’est pas une variante secondaire : elle est l’essence de l’âme d’Israël. Elle a donné au peuple d’Israel son souffle philosophique, sa musique mystique, sa poésie et sa loi. Elle a traversé les siècles sans courber l’échine devant les empires, sans renier son accent ni sa mémoire. Aujourd’hui, face à l’arrogance des uns et à la résignation des autres, il nous revient d’assumer notre vocation. Non pas pour singer, non pas pour mendier, mais pour redevenir ce que nous avons toujours été : une lumière d’Orient au sein d’Israël. Qu’on le sache : nous ne demandons plus à entrer par la petite porte. Nous proclamons notre propre maison. Une maison ouverte, enracinée, universelle. Une maison qui, fidèle à Abraham, saura dire à nouveau : « Va, pars, vers toi-même ».
Et le message est clair : le véritable criminel n’est pas la fillette séfarade rejetée, mais le dirigeant ashkénaze qui l’a rejetée. Le crime n’est pas dans le manque de « caractère », mais dans la violation du commandement divin le plus simple : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Tant que des personnages comme Gafni continueront à diriger, l’ashkénazisme ultra-orthodoxe se dévoile comme une maison close, un club sélectif qui proclame ouvertement : un seul Israël à l’intérieur – et deux Israëls à l’extérieur.
Mais l’histoire enseigne autre chose. Celui qui a fermé des portes est resté enfermé en lui-même. Et celui qui a ouvert des portes a transformé la Torah en patrimoine de tout un peuple. Les Séfarades n’ont pas besoin des clés de Gafni. Ils tiennent entre leurs mains la clé du Sinaï – une clé de vérité, d’universalité, une Torah pour tout Israël.