Aujourd’hui, nombre d’entre nous installent leur relation dans le salon pour avaler, autour d’un match de football, des infos aux propriétés marchandes, tout en surfant ensemble sur internet avec autant de smartphones que d’individus dans la salle.
Puis, le match terminé, ils se rendront au centre commercial pour prendre, dès jeudi soir, les devants pour un déchaînement d’achats au jour dit du : « Black Friday ou Soldes »
A mon avis, peu de choses sont plus dégradantes que de regarder ces êtres humains, soi-disant adultes, se disputer des biens de consommation à prix réduit sur le sol d’un centre commercial, comme des bêtes affamées et agitées. Cela m’amène toujours à me demander : « comment notre civilisation humaine est-elle passée de la pensée et de l’esprit à cela ? »
Comment l’Humanité a-t-elle réussi à s’égarer si loin ?
Notre espèce a toujours convoité des objets inanimés tels que l’or, les diamants, les peintures à l’huile ou à peu près tout autre signe de richesse inutilisable sur le plan fonctionnel. Mais il s’agit là d’une convoitise forcenée qui fomente ces bagarres du Black Friday, du premier jour des soldes, phénomènes récents de ces dernières années.
Foncièrement, le consumérisme est un prototype socio-économique échafaudé sur la nature du désir. Cette appétence matérialiste est, selon le capitalisme, une pulsion originelle de la ‘bête’ humaine, elle a toujours existé dans la psyché humaine.
Au début du XXe siècle, l’industrie de la publicité commença à utiliser des techniques psychologiques pour jeter de l’huile sur le feu du désir ardent, ce qui nous rendait plus avides que jamais.
Si l’objectif liminaire du consumérisme est, éventuellement, d’encourager la croissance économique en stimulant, plus encore, les clients à débourser plus. Il est très tôt devenu un instrument de contrôle social.
La manipulation lucide et subtile des us et coutumes, les préjugés suggérés pour la populace, restent un principe cardinal de la démocratie. Ceux qui manœuvrent cet appareil imperceptible de la société forment un régime invisible, une direction authentique mise au pouvoir dans le pays.
Nous sommes régentés, notre conscience est façonnée, nos saveurs forgées, nos pensées soufflées, très souvent par des individus dont nous n’avons jamais entendu parler.
Résultat logique de la manière dont la société démocratique est organisée : les êtres humains doivent collaborer ainsi pour vivre ensemble comme société fonctionnelle et harmonieuse.
Le consumérisme garantit la bonne marche de la société, car il soustrait, à la vigilance, la férocité qui vibre aux abysses de la psyché humaine, suscitant et tentant l’individu en quête d’une proie-récompense. Si beaucoup ont un emploi qu’ils exècrent, c’est aux seules fins d’empocher une monnaie sonnante et trébuchante et pouvoir, ainsi, acquérir des choses qui plaisent.
Faire des emplettes nous alimente d’hormones de plaisir bon marché.
Gagner de l’argent crée le sentiment de l’ouvrage accompli.
Avoir travaillé, avoir mérité un prix, un trophée concret conséquent de l’effort ?
C’est une impression de victoire bon marché et aisément abordable qui nous fait brièvement jouir.
Les indices de déchéance culturelle sont multiples. Certains sont insidieux et esthétiques, d’autres révoltants et difficiles à ignorer. Mais pris ensemble, ils posent la question :
Pourquoi ?
En d’autres termes, pourquoi la culture occidentale corrompt-elle de manière si déterminante ?
Quel en est le ressort?
Si le capitalisme est à condamner, quelle en est la réponse ?
Politiquement et socialement, beaucoup de gens dénoncent le capitalisme mondial du marché libre. Selon ce point de vue, l’Occident errait dans une friche culturelle parce qu’il adoptait un système fondé sur la cupidité, une efficacité irréfléchie, une production effrénée et une consommation agitée.
J’ai bien peur que la manie du capitalisme pour l’individualisme radical et les économies de marché ne le conduise à briser les communautés et les familles, les déracinant des réseaux relationnels de soutien et les poussent vers les grandes villes à perdre contact avec le monde naturel, leurs proches et, éventuellement, eux-mêmes. Si le capitalisme est le principal responsable de la dégradation culturelle, comme le suggèrent certains. Une solution évidente consisterait à le rejeter et à opter pour une économie hautement planifiée, dans laquelle le gouvernement réprimande l’avidité de la population par une redistribution périodique et agressive et, dans le scénario plus extrême, possède ou contrôle les moyens de production. Cette approche a une plausibilité superficielle à propos de cela : éloignez les gens ordinaires de la tâche sordide consistant à accumuler des richesses et de tout ce commerce sans fin, et trouver des fonctionnaires consciencieux, au sein du gouvernement, qui se chargeront de répartir équitablement les richesses, libérant l’homme pour une bonne journée de travail, élever ses enfants et profiter d’un peu de temps libre.
Une solution simple et séduisante.
Malheureusement, elle a échoué partout où elle fut essayée.
Ce libéralisme a besoin d’une voix prophétique de ses meilleurs critiques culturels ; mais surtout, il a besoin du sol spirituel dont il est issu. La conception hébraïque, à mon humble avis, reconnaît le libre arbitre et la responsabilité de l’homme, elle valorise la dignité humaine et la liberté humaine, qui prend en compte à la fois le mal humain et le pouvoir innovant de l’homme à l’image de son Créateur, fondement ultime du bien, du vrai et du beau.
Cette approche affirme que nous devons être créatifs, poursuivre l’excellence et servir de justes moyens à une meilleure nature. Il ne faut pas envisager le futur avec l’éphémère bon marché et insignifiant, ni maintenir un sens par le seul biais de la consommation.
Ceci nous aide à confesser que le matérialisme n’est pas essentiellement mauvais, ni le plus grand des bienfaits.
Cela soutient la démarche affirmant qu’il y a là deux extrêmes destructeurs: d’une part, le mépris du socialisme à l’ancienne pour la beauté matérielle et, d’autre part, l’hédonisme du consumérisme.
Ce qui nourrit la décrépitude culturelle qui nous entoure n’est pas la liberté économique mais une vision du monde laïc, et essentiellement matérialiste, qui marginalise, ou même nie, l’esprit et le spirituel, un déni qui se manifeste dans un flot d’architecture, d’art, de littérature, de film et de musique qui abusent la vérité, la bonté et la beauté.
Le sens de notre vie en Israël est devenu le seul « profit », nos avoirs de chair et d’os estiment que leur raison de vivre réside dans le glanage de toutes choses que la société doit leur fournir. En Occident, profiter c’est consommer, comme le consommateur qui bénéficie des soldes pour abuser au maximum des rabais. Profiter exprime le profit, le business, ou bien gagner beaucoup d’argent avec très peu de travail, en boursicotant, en spéculant. Profiter c’est aussi pouvoir jouir au mieux de la situation, savoir traire une vache pour en tirer le maximum de lait. Profité du système, Profité des soldes, Profité des autres, Profité de la vie, le concept subordonné, ici, appartient au matérialisme ambiant. Ce dernier relève d’une exploitation exacerbée des divertissements, du paysage, des installations, de l’environnement, de la Nature, etc. En avoir pour son argent, reste un leitmotiv.
Le consommateur est le bénéficiaire de base du capitalisme, élevé dès sa plus tendre enfance à l’avidité du consumérisme, mais jamais cultivé au don. Pour se donner, pour octroyer de soi à autrui, il faut savoir aimer. Lui ne sait guère se satisfaire sans que la cupidité s’en mêle et l’entraine à vouloir toujours plus. Il faut remplir le caddie et être sûr d’avoir fait de bonnes affaires.
La convoitise ne diffère point de la consommation et le souhait de jouissance est la consommation elle-même. Le conditionnement le plus accompli surgit ainsi quand la raison de vivre s’identifie à la consommation et que le consumérisme parvient à reproduire indéfiniment des individus insatiables dans sa propre matrice. Quand cette forme de jugement circule en fond sonore au creuset de la conscience collective, il serait judicieux d’affirmer que la principale raison de vivre soit … le cumul de monnaies sonnantes et trébuchantes. L’argent est le seul moyen d’y parvenir et l’unique voie menant vers l’univers du sens, celui de la consommation.
Pourquoi se poser des questions existentielles quand le mode de vie est aisé ? Ils baignent en permanence dans un univers d’avenir où se réfléchit éternellement l’image des affiches, des magazines, des publicités, des clips, des jeux vidéo et des écrans pluriels. Voici donc l’autorisation officielle, éternelle, de notre collaboration à l’univers de la consommation et c’est ce que tout le monde souhaite. Il est superflu de réfléchir et de vouloir donner un sens, il suffit de rester en surface, car moins l’on pense et plus l’on dépense et les asservi(e)s adorent ça !
Rony Akrich