Datlashim: la grande évasion. Par Rony Akrich

by Rony Akrich

Elisha ben Aboya, pourrait être le prototype du phénomène ‘datlash’ (renoncement au ‘religiosisme’), ou le cas unique d’un génie devenu fou?

Peut-être non moins accablant, un autre phénomène de ceux qui marchent à contresens et s’éloignent de la religion.

En d’autres termes, si vous ne l’avez pas ressenti dans votre environnement immédiat, vous pouvez apprendre ceci: en Israël, il y a deux tendances à s’éloigner du Judaïsme, la Torah et les Mitsvot, au lieu de s’en rapprocher, et il n’est pas du tout certain que l’une soit la réaction de l’autre. Contrairement aux nouveaux religieux, les négateurs de la religiosité (datlashim), que vous soyez laïcs ou religieux, vous seront beaucoup plus difficiles à identifier.

À l’exception de quelques penseurs qui rationalisent le raisonnement, les autres n’essaient pas de transmettre leur message au monde et entretiennent généralement une sorte de relation compliquée d’amour-haine avec le monde d’où ils viennent. En raison de ces relations complexes, il est difficile d’appeler tous ceux qui s’éloignent de la religion des apostats.

Ils enlèvent souvent la Kippa, mais veillent à ne pas mélanger la viande et le lait.

Ils peuvent allumer un ordinateur le Shabbat mais s’abstenir d’allumer un feu.

Ils ne mettent pas de Tefillin et ne prient pas régulièrement mais insistent pour que leurs enfants reçoivent une éducation mixte et maintiennent un lien avec le Judaïsme.

Pour le dire plus précisément, une grande partie des ‘Datlashim’ souhaitent que leurs enfants restent également non religieux, mais pas complètement laïcs non plus.

Il est impossible de vraiment comprendre ce qu’est un repentir, quel est son but et quelle est son essence si l’on ne demande pas et n’enquête pas sur les motifs du phénomène « datlashi ». La tendance simpliste est de voir la majorité de ceux qui s’éloignent du Judaïsme comme un public à la recherche d’une vie plus facile, fatigué des Mitsvot, du communautarisme torride et de la pression environnementale, ayant donc décidé de se faciliter un peu la tâche.

Contrairement peut-être aux apostats venus de loin, des fiefs ultra-orthodoxes, la majorité, mais pas la totalité, des ‘DTL’ n’est apparemment pas préoccupée par un constant examen de conscience, par la question de leur place, vis-à-vis de la Torah et de la foi. Il semble qu’une telle tendance interprétative fragilise le phénomène et diminue le pouvoir de discernement et l’engagement théorique des ‘Datalshim’ à analyser leur vie.

D’une manière générale, on peut dire qu’il est aussi difficile pour une personne religieuse d’enlever sa Kippa que pour une personne laïque de mettre la Kippa.

Ce  phénomène socio-religieux est long et difficile.

Il inclut en son sein un douloureux processus de colère face à la coercition des parents et de l’environnement. Ces forces, attribuées au système conformiste et tribal, font, selon la Kabbale, partie d’une force de foi que l’on retrouve en chaque personne d’Israël, partie d’un héritage ancestral éclatant à des moments précis. Je veux dire, la recherche d’une vie plus facile et plus libérée peut être le résultat final, mais derrière tout cela, il y a une raison profonde et fondamentale qui lutte et confronte des sentiments mitigés envers la religion et ses origines. Au-delà du phénomène grégaire, de la rébellion des parents et de la communauté, de la recherche d’une vie plus confortable et moderne, la Torah orale prétend fournir en plusieurs endroits la cause profonde de l’éloignement de la religion. Ce serait dû a une perte de la foi en dieu, c’est-à-dire au créateur tel que le Judaïsme rabbinique le présente, et non point suite aux découvertes de pas mal de contradictions dans les canons religieux.

Elisha ben Aboya sert, on le sait, d’archétype à l’apostasie.

C’était un ami de Rabbi Akiva, un grand érudit et un orateur éloquent, quand il parlait, tout le monde s’empressait pour écouter ses paroles avec une grande attention, puis lui baisait les mains en signe d’appréciation (Ruth Raba, Parasha 6).

Il était l’un des quatre à être entrés au Paradis, et quand il en est sorti, il était une toute autre personne, « différente », il remettait tout en question! (Yerushalmi, Hagiga 2, 1).

Le Talmud donne plusieurs raisons pour lesquelles il est devenu un apostat, lui qui était si bien versé dans la Torah.

La première: il aurait perçu qu’il n’y avait pas de lien direct et positif entre la mitsva et sa récompense (Kidoushin, 99 verso). À son grand étonnement, les promesses de longévité du Créateur dues à l’observance de diverses mitsvot ne sont pas nécessairement tenues.

La deuxième: son attirance pour la philosophie et la culture de la Grèce (Hagiga 15, verso), les sujets qui le préoccupaient, portaient sur la relation entre l’étude de la Torah en tant que système conceptuel et théorique, et l’obligation d’observer ce qui est dit dans la Torah en pratique (voir par exemple: maxime des pères 4, 20). Ces questions qui tracassaient Ben Abuya peuvent être encore d’actualité dans le discours concernant l’apport de divers courants religieux traitant de l’enseignement ésotérique tout en mettant en évidence le côté mystique des choses.

Il existe ici une réelle omission du sens littéral de la Torah et des écritures prophétiques, comme tout ou partie essentielle des idées Divines, afin de réaliser le projet du Créateur dans ce monde.

 « Homme, on t’a dit ce qui est bien, ce que le Seigneur demande de toi : rien que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu! » (Michée 6,8)

La troisième: sa manière d’étudier et son éducation. Le roi Salomon souligne que:

« Donne au jeune homme de bonnes habitudes dès le début de sa carrière ; même avancé en âge, il ne s’en écartera point. » (Proverbes 22:7)

Le ‘Baal Hatania’ apporte ce verset dans son introduction au chapitre sur l’unicité et la foi et le considère comme une règle essentielle de l’instruction. Ben Abuya illustrera, avec son savoir éminent, comment cette règle peut être appréhendée dans les deux sens.

« Il n’a pas dévié de son chemin, et c’est parce que dès sa jeunesse, il a étudié la Torah non pas pour elle-même, mais dans le but de gagner le respect et de s’élever au rang d’érudit (Yerushalmi, Hagiga 21). »

La quatrième raison de l’apostasie de Ben Abuya fut son étude de l’ésotérisme qui l’a amené à reconnaître l’existence de deux autorités et non un seul Dieu. Par conséquent, s’il y a deux autorités, toute la croyance monothéiste juive pourrait être nulle et non avenue.

Rabbi Avner, un étudiant du Ramban s’était converti au christianisme et devint célèbre. Comme Ben Abuya, ce dernier s’est éloigné de la religion parce qu’il y trouvait des contradictions. En général, il semble que les objections et les incohérences soient le facteur numéro un qui éloigne les gens du culte. Le trouble peut leur être transmis, non seulement par un examen logique des idées et de leur faisabilité mais, aussi, par le comportement de leurs parents ou rabbins, qui disent une chose avec leur bouche et une autre avec leur comportement ou leur cœur.

L’attitude envers la religion rappelle la controverse dans le domaine de la philosophie des sciences. Karl Popper, l’un des philosophes des sciences les plus importants du XXe siècle, estime qu’au lieu de rechercher constamment la confirmation de l’ordre naturel, le chercheur doit s’efforcer de le réfuter. Le bon chercheur devrait rechercher des cas dans lesquels ses théories ne fonctionnent pas, et ne pas tomber amoureux de la théorie et chercher à en trouver la confirmation, et ainsi parfois violer également les découvertes.

En ce sens, Popper a fait de chaque théorie, de chaque découverte scientifique, une réalité seulement provisoire, jusqu’à preuve du contraire.

La structure du monde cachant la réalité de Dieu, ceux qui veulent connaître le Créateur doivent effectuer une recherche constante. On est chargé de découvrir dans chaque événement et chaque occurrence la volonté du Créateur dans le monde. Sinon nous sommes assurés de trouver les contradictions et de nous éloigner de Son enseignement.

Mais le problème n’est pas le Créateur et Ses enseignements, mais l’homme et sa traduction.

Il oublie de faire partie de la Volonté créatrice et met l’accent sur son « Je », qui n’est guère satisfait d’une réalité contraire à sa volonté.

Le fossé s’accentue entre la parole rabbinique et la sagesse sociétale prophétique, cette distorsion aux jours d’aujourd’hui devient de plus en plus insupportable pour la nouvelle génération, non seulement consciente et critique, mais aussi souveraine et indépendante.

En conséquence de quoi, nous voici entrainés au sein d’une énorme remise en question et en cause d’us et coutumes subordonnés à la seule survie individuelle en temps d’exil.

L’abandon, le renoncement et la désertion ne peuvent en aucun cas être le fruit, ex nihilo, d’une apostasie sans foi ni loi, mais bien l’effet pondéral d’une véritable quête de la rigueur ontologique du message biblique aux grandes heures du retour.

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