Veuillez prendre quelques secondes pour réfléchir et répondre à une question préliminaire avant d’aborder mon sujet. À cette fin, nous définirons le concept de “guerres fratricides” au sein du peuple d’Israël comme des guerres entre groupes d’Hébreux, de Juifs, avec des milliers de morts.
Je vous demande :
“Pensez-vous que la Bible parle de telles guerres ? Et si oui, à votre avis, combien de fois est ce rapporté dans la Bible ?”
La menace d’une telle guerre civile au sein de l’État moderne d’Israël est abondamment discutée par les dirigeants israéliens et dans les médias au moment où j’écris ces lignes.
La destruction du Second Temple (70 après JC) est mentionnée dans ce contexte, et je recommande d’apprendre de l’Histoire pour éviter une catastrophe similaire dans notre génération.
Au cours de leur existence, le schéma de la chute des royaumes d’Israël et de Yehouda (Juda) est en effet basé sur les événements survenus en Israël, certains datant de l’époque de la Bible, comme la division du royaume (10eme siècle av. JC). En vérité notre vue d’ensemble est assez limitée, nous avons très peu de perspective concernant l’Histoire ancienne, révélée dans notre Tanach’, appelé Ancien Testament.
La majorité du public ne craint guère une éventuelle guerre fratricide en Israël.
Cependant, peu connaissent véritablement les tenants et les aboutissants de ce type de guerre dans notre Histoire biblique.
Par analogie, on peut supposer que, depuis le début du cheminement d’un peuple, des événements dramatiques peuvent avoir un impact important sur les schémas de pensée, le comportement et le développement du collectif au fil du temps.
Concernant le peuple d’Israël, riche d’une si longue Histoire, il est à noter que la plupart de ses fêtes et commémorations se réfèrent à des événements historiques survenus durant la période biblique. On les célèbre jusqu’à ce jour : Pessah, Chavouot et Souccot, par exemple, sont ainsi mentionnées dans la Torah dans le contexte de la sortie d’Egypte, du don de la Torah, des errances dans le désert et des prémices apportés depuis l’époque du Tabernacle, avant même les différents Temples de Jérusalem (tout cela à partir de 1240 av. JC environ).
Au vu et su du clivage populaire autour de la réforme judiciaire, je perçois des signes alarmants risquant de dégénérer en violence et de consacrer une sécession.
Je m’interroge :
Existe-t-il une réelle prise de conscience, suffisante, quant au danger au sein de notre société, parmi nos dirigeants?
Je crains une sorte de déni ou d’ignorance du sujet, un « oubli » historique, une sorte d’amnésie sélective. J’ai souvent rencontré une sorte d’arrogance parmi les miens, une tendance à nous considérer comme les plus performants et les plus sages, peut-être une continuation du statut attribué par la tradition : « peuple vertueux » et « peuple élu », ce qui nous conduit à un excès de confiance, une vraie cécité et nous entraine trop souvent vers des erreurs fatales.
En tant que peuple nous souffrons, très certainement, d’un trouble narcissique de la personnalité !!
C’est pourquoi j’essaierai d’évoquer prochainement les guerres fratricides telles qu’elles sont littéralement exposées dans le Texte biblique. Le cas échéant j’essaierai aussi d’apporter des perspectives issues de la philosophie, ainsi nous serons dans une sorte de parcours psycho-historique.
J’espère que les choses que je présenterai seront matière à réflexion et source d’avertissement aux dirigeants et aux citoyens du moment et de demain. Il nous faudrait pouvoir réduire autant que possible le danger d’un déclenchement d’une guerre fratricide en Israël.
Nous traiterons des conflits entre les membres de la famille des pères dans le livre de la Genèse (Abraham et Lot, Itsh’ak-Ismaël, Yaacov-Essav, Yossef et ses frères), mais dans un autre article je ferai certainement référence à cette période de la “première enfance” du peuple d’Israël, selon ce qui est énoncé dans la Torah.
Pour l’instant, commençons par un épisode bien ultérieur, et j’aurais, à ce propos, une question pour vous, mais prenez quelques secondes avant de répondre :
Savez-vous qui était Yftah’ haGuiladi ? Et si oui, qu’avez-vous retenu du personnage ?
Le livre de Yehoshoua (Josué) décrit la conquête du pays d’Israël après 40 années d’errance dans le désert.
Le texte biblique reflète l’unité du peuple derrière son chef, la coopération entre les tribus durant les combats, l’acceptation des limites de leurs possessions et la prise en compte des dimes en faveur de la tribu de Levi. Mais tout change après la mort de Yehoshoua (Josué), et pendant toute la période des juges. Les Hébreux sont décrits comme abandonnant Dieu, “chacun faisant ce qui trouvait grâce à ses yeux”.
La punition devient alors l’oppression et la servitude, pour Israël, par ses ennemis. Comme d’habitude, après de dures souffrances, Dieu suscite un juge sauveur pour Israël, qui les libère de la soumission du tyran.
Yiftah’ haGuiladi est l’un de ces juges.
Il mène une armée, celle du peuple de Guilad, vers la victoire face aux Ammonites au-delà de l’est du Jourdain, sur le territoire de l’actuel royaume de Jordanie, où les tribus de Réouven, Gad et la moitié de la tribu de Menashé sont installées à cette époque. Cet épisode intéressant se trouve dans le livre des Juges, chapitres 11-12. La fin du récit est dans Juges 12 : 1-7.
Après la grande victoire de Yiftah’ et de l’armée de Guilad sur Ammon, les hommes de la tribu d’Éphraïm, véhéments, se rassemblèrent et traversèrent le Jourdain, prêts à en découdre avec les Guiladites. Très en colère de ne pas avoir été mobilisés, ils menacent de brûler la maison du juge. Certes les fils d’Éphraïm ont été offensés et se sentent frustrés de ne pas avoir participé aux combats. Yftah’ leur répond que par le passé il quémanda leur aide contre les fils d’Ammon mais nul n’avait réagi, alors, pour cette fois il avait décidé d’agir sans eux.
Au même moment, Yftah’ mobilisa l’armée de Guilad, et ces derniers combattirent les hommes d’Ephraïm. Le texte nous indique que les enfants de Guilad portent dans leur mémoire collective ce dédain témoigné par les enfants d’Ephraïm. Ensuite, il décrit en détails comment les hommes de cette tribu, en fuite, essaieront d’échapper au carnage espérant pouvoir retraverser le Jourdain, mais les hommes de Guilad leur tendirent une embuscade aux points de passage. Ils reconnaissaient les gens d’Éphraïm à leur défaut de langue (shibulet/sibulet), puis les massacraient près du Jourdain. Selon le texte, leurs pertes humaines s’élèveront à quarante-deux mille.
Pause méthodique :
Vous souvenez-vous de l’histoire de Yiftah ? Et si oui, vous souvenez-vous de la terrible guerre civile à la fin de l’histoire ?
La plupart de ceux qui se souviennent de Yiftah haGiladi se souviennent probablement principalement de l’histoire de sa fille, et non de la guerre fratricide.
Que s’est-il passé ?
Il est naturel que tout changement soit déstabilisant, une menace existentielle comme la guerre, provoque craintes et angoisses pour toutes les personnes impliquées. On peut supposer que, dès la fin des hostilités contre les Ammonites, les soldats de Yftah’ aient connu des résidus d’anxiété et de stress, puis un grand soulagement, une certaine fierté et euphorie qu’ils ont célébrés avec le butin de la victoire – une combinaison émotive et fragile. Menaçant de gâcher la joie et réclamant injustement une part du butin, l’apparition des Ephraïmites arrive à un très mauvais moment.
Selon le narrateur, étant le fils d’une prostituée, Yiftah lui-même a été discriminé par ses frères, les fils de son père, il a même été expulsé de la famille. Même en temps de paix, les gens de Guilad trainent probablement des sentiments d’infériorité vis-à-vis d’un Éphraïm qui maintenant les menace ainsi que leur chef. Dans l’Histoire, l’attitude de cette tribu surprend et irrite probablement le peuple de Guilad : après tout, même s’ils n’ont pas pris part à la bataille et au pillage, la victoire les libère de la menace et du joug Ammonites. Si c’est le cas, il s’en fallut d’un rien pour mettre le feu aux poudres, et une fois le feu allumé, il devint très difficile à éteindre. Les défenses culturelles et morales contre le fratricide se sont ainsi brisées et presque toutes les frontières furent franchies.
Avons-nous l’impression d’être compris ?
Lorsque nos opinions sont admises, nous admettons pouvoir comprendre autrui. Nous parvenons à recouvrir chez nous les croyances de tout autre, nous accédons au sentiment de sympathie, source première d’une raison de vivre et d’agir.
Mon prochain est alors un être humain conscient comme moi, un être que je porte en moi dans mon affection et non plus seulement l’exemplaire d’un genre.
L’entendement d’autrui est ainsi un mouvement beaucoup plus délicat que celui de l’exégèse d’une manifestation physique, car une conscience ne peut pas se limiter à une chose. “L’âme a des replis qui vont à l’infini” dit Leibniz dans “La Monadologie”. On ne peut l’appréhender tout simplement : l’esprit est une source vive de sens. Le mouvement analytique permet de révéler le savoir, mais objectiver l’autre-être, c’est le soumettre au statut d’objet, le désavouer en tant que sujet. C’est certainement ce qui arrive quand, abandonnant la valeur de la conscience, on observe les caractères uniquement sous l’angle du stimulus/réponse. On ne perçoit plus une intuition conceptrice de son univers mais un objet répondant à des interférences, conséquentes de causalités. Éprouver autrui, c’est discerner toute la clairvoyance d’un esprit, c’est identifier le sens d’un acte ou d’un comportement. La faculté d’entendre autrui est un mouvement à l’opposé de la chosification réalisée lors d’une glose objective. La compréhension se fait de l’intérieur, par participation à la conscience d’autrui.
Rony Akrich