On pose question : l’homme est-il libre ? Celle-ci peut être prise dans un sens très relatif. Libre, oui, mais par rapport à quoi?
Par rapport à la société, son passé, son milieu, son corps? Par rapport à une contrainte? C’est une manière assez négative de penser la liberté. D’un point de vue plus positif, en quoi consiste la liberté? Est-ce que la conscience est en elle-même libre absolument?
Si c’était le cas, il faudrait comprendre comment l’individualité trouve sa place dans un univers dont la science mécaniste nous montre qu’il est très largement déterminé. Les nuages ne se déplacent pas « librement » dans le ciel. Ils vont et viennent conformément à des courants. Les animaux ne se comportent pas « librement » dans leur environnement originel, Ils suivent les lois de la Nature que leur commandent leurs instincts.
Même si nous disposons d’une liberté, de toute manière, il faudrait encore savoir quel usage nous pouvons en faire.
En quel sens peut-on dire que seul l’homme dans la nature dispose d’une liberté?
On la conçoit habituellement comme la capacité d’agir sans contrainte, ou encore comme la faculté d’effectuer des choix sans y être obligé, ni forcé. Dans son sens le plus courant, la liberté tendrait donc à se confondre avec le libre arbitre, c’est-Que faisons-nous de notre liberté? C’est à-dire, la vocation à nous déterminer par nous-mêmes, spontanément et volontairement.
Or cette notion de libre-arbitre paraît difficilement compatible avec le principe de causalité, résumé ainsi: tout ce qui se produit dans l’univers a une, plusieurs, voire une infinité de causes.
En d’autres termes, tout événement survenu à un moment donné dans le réel peut être rattaché à des phénomènes antérieurs (des causes dites antécédentes) qui en furent les causes ou, tout au moins, les conditions. Ainsi, par exemple, notre personnalité, nos goûts, nos aptitudes, seraient la conséquence d’un ensemble de facteurs : caractères innés et acquis, milieu familial, circonstances de notre enfance… Ces facteurs les auraient déterminés -c’est-à-dire causés-.
Mais si ma personnalité est le produit de mes gènes et de mon éducation, alors mes décisions le sont aussi. Comment puis-je encore soutenir que je suis libre si le principe du déterminisme s’applique à mes actes? Le principe du déterminisme, c’est-à-dire tout ce qui existe dans le monde est régi par le principe de causalité, semble donc incompatible avec le postulat de la liberté. Nos expériences indiquent que nous avons le libre arbitre! En accomplissant une action particulière, nous avons le sentiment de l’avoir choisi parmi un éventail d’alternatives. Cependant, il existe des raisons théologiques, philosophiques et scientifiques de penser autrement, ce sens du choix serait illusoire.
L’idée que Dieu contrôle le Monde, déterminant la trajectoire et les détails de son histoire, est importante dans le Judaïsme, c’est l’une des questions théologiques qui contribuent au problème juif du libre arbitre.
Au début de la Bible, par exemple, Dieu dit à Avraham que ses descendants seront opprimés comme esclaves dans un pays étranger, cependant, Dieu punira leurs oppresseurs, et les enfants d’Avraham partiront avec une grande richesse pour retourner au pays de Canaan (Genèse 15).
Dans la chronologie biblique, Dieu annonce l’inévitabilité de ces événements des siècles avant qu’ils ne se produisent, transformant les humains qui mettent finalement en œuvre ce plan en une sorte de marionnettes. Ceci est un exemple de Dieu déterminant des événements généraux, mais la Bible a aussi des exemples plus extrêmes de déterminisme Divin.
Dans le livre de l’Exode, Dieu endurcit à plusieurs reprises le cœur de Pharaon afin qu’il ne libère pas les Israélites de l’esclavage. Fait intéressant, cet incident de « durcissement » n’est pas unique.
Dans Deutéronome 2:30, Sih’on, le roi de H’eshbon, aurait refusé le passage aux Israélites parce que Dieu « endurcit son esprit ».
Dans Yeochoua 11:20, Dieu aurait endurci le cœur des soldats cananéens. En plus de déterminer des événements spécifiques et des actions humaines, les sources juives traditionnelles affirment souvent que Dieu veille sur le monde, fournissant des soins Providentiels.
Par exemple, le Talmud raconte que Dieu « nourrit le monde entier depuis le buffle cornu jusqu’à la couvée de la vermine (BT Avodah Zarah, 3b) ».
Outre l’apparente contradiction entre libre arbitre et providence Divine, les philosophes du Moyen Âge étaient troublés par la contradiction entre libre arbitre et prescience Divine.
Si nous croyons que Dieu est tout-puissant et omniscient, nous devons croire que Dieu a la capacité de prévoir l’avenir. Si Dieu a la prescience de nos actions, alors ces actions sont prédéterminées avant même que tout choix ne se présente. La modernité a inauguré des défis nouveaux et uniques à l’idée de libre arbitre.
Aujourd’hui, les notions de déterminisme biologique et psychologique prédominent dans le discours scientifique. Sigmund Freud a suggéré que nos comportements sont guidés par des pulsions inconscientes, et non par une agence consciente. Plus récemment, la science génétique a montré à quel point nos vies et nos penchants sont programmés dans notre constitution biologique. Au fur et à mesure que nos personnalités, et les éventualités impliquées, sont découvertes ou considérées comme organiques, l’importance et la possibilité du choix humain diminuent. Il faut noter qu’une vision déterministe du monde n’est pas nécessairement problématique. L’absence éventuelle de libre arbitre pose problème une fois la présomption de responsabilité avérée. En ce sens, les théories qui nient le libre arbitre sont des obstacles pour toutes les sociétés punissant la déviance morale. En plus des responsabilités morales, cependant, les Juifs ont aussi des responsabilités religieuses, les Mitsvot, les commandements.
La tradition juive soutient que Dieu a ordonné aux Juifs de se conformer à certaines lois. Ceux qui les respecteront seront récompensés et ceux qui ne les respecteront pas seront punis. Ce système suppose que les gens ont la possibilité de choisir de se conformer ou de ne pas se conformer. En fait, cette présomption est confirmée par la tradition juridique juive. Les personnes qui ne peuvent être considérées comme responsables de leurs choix, par ex. les mineurs, les déficients mentaux, ne sont pas punis pour avoir enfreint la Loi juive.
Pour le Judaïsme, le problème du libre arbitre découle donc de la contradiction entre le déterminisme Divin et physiologique et la responsabilité morale-religieuse mandatée par la tradition.
Établir une règle générale selon laquelle l’homme jouit du libre choix, même dans les circonstances les plus oppressives, revient à ignorer les faits fondamentaux de la nature humaine. Même le partisan le plus extrême du libre choix devra tenir compte de l’existence de facteurs incontrôlables, qui déterminent nécessairement le cours de l’action humaine…
Nous ne pouvons pas imaginer qu’une personne, en panique, agissant sous la pression de la terreur, sera qualifiée de criminelle et son acte considéré comme méritant une punition… Il est plus correct de voir le choix comme un état de conscience final, résultant de la fusion mutuelle d’un certain nombre d’états conscients et inconscients (psychologiques) qui, lorsqu’ils se rejoignent, se traduisent par l’accomplissement une action ou son évitement.
La solution la plus radicale au problème du libre arbitre est peut-être celle du Rabbi hassidique Izbitzer qui a déclaré: en fait, les humains n’ont pas la capacité de choisir leurs actions. Dieu est la Source de toutes les actions humaines. Cependant, les humains peuvent contrôler leurs pensées et leurs intentions, et c’est de cela qu’ils sont responsables.
À l’ère moderne, les penseurs juifs ont continué à se débattre avec le problème du libre arbitre.
Hermann Cohen a reconnu que les actions humaines peuvent être influencées par des forces extérieures, mais a néanmoins affirmé qu’il est nécessaire de croire en un domaine éthique de l’être dans lequel les humains peuvent choisir.
L’existentialisme, une tendance philosophique générale soulignant l’importance du choix humain, a influencé plusieurs penseurs juifs.
Martin Buber, le grand existentialiste juif, a écrit « le péché chez l’homme est l’absence de décision ». Pour lui, le choix est fondamental dans les expériences humaines/religieuses, mais les vraies décisions ne peuvent être prises que dans le contexte d’une relation Je-Tu, une relation de vrai dialogue et de réciprocité. Dans une relation Je-Ça, où les gens se rapportent les uns aux autres de manière détachée, d’autre part, les humains n’ont pas une liberté totale.
Peu de penseurs juifs ont explicitement répondu aux problèmes de déterminisme génétique et psychologique. Cependant, la plupart d’entre eux rejetteraient toute théorie qui dépouillerait les humains de toute responsabilité, mais ne nieraient probablement pas la possibilité que notre constitution physique et psychologique nous incline vers certains comportements.