L’éclat du règne de Salomon (environ 40 ans) a commencé sous les meilleurs auspices et s’est très mal terminé. Autant sa royauté fut entourée de gloire et de faste, autant furent dramatiques les crises qui l’agitèrent et qui encouragèrent, dès la mort de Salomon, la scission au sein de son Empire et la déchirure définitive entre l’Israël du Nord et celui du Sud. Crises d’ordre économique et social, sont la contrepartie d’une mutation trop rapide qui avait fait d’une communauté, encore souvent patriarcale et paysanne, un état féodal et absolutiste, et, d’une petite province, un empire aux proportions mondiales.
Pourquoi?
La tradition donne de nombreuses réponses à cette question. J’en développerai une en priorité : il a échoué dans le domaine qui lui est propre, celui de la justice. Non pas qu’il n’ait pas désiré la justice, mais il a été incapable de l’instaurer sur le plan intérieur, c’est-à-dire de passer de la justice individuelle à la justice sociale.
Or c’est celle-ci, la justice sociale, qui est déterminante quand on occupe la place d’un roi. Si on l’oublie, on est incapable de perpétuer son œuvre principale, qui, dans le cas de Salomon, est la paix fondée sur la justice. Salomon a perdu sa légitimité parce qu’il a échoué dans la pratique de la justice. Il faut donc soutenir l’idée que c’est son incapacité à pratiquer la justice sociale qui a condamné Salomon.
Les obligations de l’état, soudain accrues dans une proportion ahurissante (constructions militaires et civiles, fortifications des frontières, flotte, location d’équipages et de main-d’œuvre étrangère, frais de l’administration) dépassaient de beaucoup les revenus nationaux.
Mais pour construire, l’argent ne suffit pas, il faut encore de la main. La tâche la plus urgente et la plus quotidienne était d’équilibrer le budget national. Salomon s’y emploie avec constance, mais, dans chacun des domaines où s’exerce son génie inventif, surgissent des difficultés qu’il n’arrivera finalement plus à surmonter.
Salomon a recours, dès lors, aux impôts.
C’est déjà un procédé moins naturel, une solution de commodité, qu’un gouvernement équitable et juste peut néanmoins rendre efficace. Mais, dans le domaine des impôts, Salomon est très vite prisonnier de l’ordre administratif qu’il avait conçu.
Les fermiers généraux s’octroient à eux-mêmes les revenus qui auraient dû rejoindre normalement le trésor national. Ils bâtissent une fortune personnelle sur l’exploitation graduelle des citoyens taxables et sur la spoliation du trésor royal.
De citoyens libres qu’ils étaient, certains Israélites sont réduits au rang de serfs royaux, une population de nomades récemment sédentarisée, fière et indépendante, dont la religion était fondée sur le refus de toute subordination du travail, s’est trouvée obligée de se soumettre à une condition sociale qui ressemblait à celle naguère imposée par les Egyptiens.
Ces mesures restèrent insuffisantes pour sauver la crise économique.
Les problèmes qui se sont posés à lui se posent encore. Comment articuler liberté, justice, équité, amour, bonheur, avec l’autorité du Prince et le respect du peuple? S’appuyant sur l’éthique hébraïque naissante, Salomon a tenté de mettre en pratique ce questionnement. Mais il ne disposait ni des concepts ni des moyens lui permettant de leur trouver une solution stable. Salomon est le premier “gouvernant” contemporain, c’est-à-dire le premier à devoir répondre devant son peuple de la question de la justice sociale, mais où son échec, malgré tous ces efforts malheureux, entrainera le schisme entre le nord et le sud suivi d’une guerre civile sans précédent.
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