Avec la venue d’Abraham, le projet divin trouve sa voie mais aussi sa voix et l’Eternel témoigne: «Je te ferai devenir une grande nation» (Genèse 12,2). Il n’est plus question d’une révélation individuelle mais bien d’une déclaration à une nation dans son ensemble. Après un long périple la pensée humaine accède à la raison indispensable pour que la communauté parvienne à consacrer le nom Divin. Cette intelligence collective et spirituelle est précisément à l’opposé du dogme chrétien. Selon lui il faut donner au Ciel ce qui appartient au Ciel et laisser à César ce qui est à César. Pour les Hébreux, disciples d’Abraham, tout peut être épargné et réhabilité : l’existence de l’âme et la fortune du corps, le devenir de l’individu et celui de la société.
Le sujet doit être pourtant élucidé : D.ieu choisit un peuple – nation pour le sanctifier, quelle fut la raison de ce choix, étant donné les nombreux sujets caducs que toutes les communautés et organisations humaines recèlent en leur sein ?
L’expression « TsiBouR », public, se compose des initiales de trois termes définissant la composition de toute collectivité humaine : les Tsadikim, les Bénoniim, les Reshaïm: les vertueux, le commun des mortels et les malfaisants. N’aurait-il pas été plus avisé de préférer l’élite éthique et morale de l’Humanité pour consacrer le dessein Divin ? Créer avec eux une alliance au-delà des peuples et des nations, celle des « preux chevaliers » du monde entier !
Avec Abraham, ils auraient collaboré et travaillé à la pleine concrétisation du Reflet divin sur le visage humain… Aujourd’hui ne serait-il pas possible d’envisager la création d’une telle association universelle, ayant pour finalité l’évolution spirituelle et juste de toute la Création ?
Fomenter l’arrivée d’êtres bienfaisants et intègres, chacun cloitré dans une tour d’ivoire, serait un premier pas relativement facile.
Néanmoins l’enjeu reste incontestablement d’engendrer un peuple intègre, pouvant gérer une destinée nationale tout en tenant compte des charges qui sont celle d’une nation : l’industrie, l’agriculture, le commerce et une armée prête à défendre les intérêts du peuple.
Le dessein Divin n’aspire nullement à générer des humains corrects, dissociés de la communauté nationale et de l’Histoire du peuple.
Consacrer l’Eternel Créateur présume d’une toute autre gageure: bâtir une nation plénière qui gouverne son existence à la lueur de l’Absolu contenu dans le Projet divin.
L’invitation de D.ieu à Abraham révèle ces concepts essentiels et c’est là que réside l’excellence de notre aventure.
Auparavant, D.ieu conviait les hommes à honorer les sept lois noachides, une institution universelle de la vertu humaine. L’Hébreu inaugure une nouvelle période dans l’Histoire: il doit devenir « le père d’une grande nation ». Il faudra dorénavant sanctifier le caractère national de la communauté, et pas simplement l’unique fortune de l’individu.
Toutefois, nous ne devons en aucun cas accepter de nous isoler dans un fanatisme stérile, suite à la promesse de devenir une grande nation, n’est-il pas écrit: « Et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre » (Genèse 12, 4) ?
Abraham ne devient pas exclusivement le fondateur de la seule Nation Hébraïque, il est pareillement la source de toute une humanité: «Tu seras le père d’une multitude de nations » (Genèse 17, 4).
Le prophète Isaïe déclara le peuple d’Israël « Lumière des nations » (Isaïe 42, 6).
Des philosophes juifs, en terre d’exil, voulurent démontrer que la permanence de la diaspora juive parmi les peuples avait pour finalité l’engagement des nations à une plus grande moralité et leur conversion au message éthique de la Bible. Il s’agit là d’une bévue incroyable!
Le devenir d’Israël ne se mesure nullement au rôle, certes important, qu’ont pu jouer des Juifs dispersés aux quatre points cardinaux.
Israël ne saurait être « la lumière des nations » autrement qu’en tant que Nation!
Payant un très lourd tribut, nous avons malgré tout participé à l’amélioration du vécu moral, politique, social ou culturel des peuples qui nous recueillaient.
Jamais l’Eternel D.ieu d’Israël ne nous convia à de telles responsabilités, c’est au sein de l’entité nationale que les Hébreux doivent gérer leur élection, et ainsi, s’élever au rang de Lumière pour les autres nations.
Le rav Kook écrit dans l’un de ses ouvrages, Ikvé Hatson, qu’il entrevoie trois sortes de pensée se rapportant à la relation du peuple juif avec les nations.
La première avec les idées conjointes: celles appartenant à l’ordre universel, qu’elles soient dispensées par Aristote ou Maïmonide.
La seconde avec les idées dont la teneur, bien qu’universelle, sera nourrie et forgée par la nature même d’un autre peuple.
Ces idées-là, analyse le rav Kook, seront au préalable assainies et prêtes à l’emploi, puis introduites dans le monde des Hébreux.
La troisième forme de pensée est plus personnelle à Israël. Le Texte biblique note à ce propos: «Ce peuple, il vit solitaire, il ne se confondra pas avec les nations» (Nombres 23,9). Il existe ainsi une différenciation et non une séparation entre Israël et les autres nations, celle-ci relève fort justement du particularisme d’Israël.
En conséquence, Abraham serait tout à la fois le patriarche d’une «grande nation», le peuple d’Israël, et celui d’une multitude de nations. Le peuple Hébreu se trouve être non seulement une nation particulière mais aussi universelle, son devenir souffrant de transformer la réalité immanente en un rêve pour l’Humanité tout entière : «Par toi seront bénies toutes les familles de la Terre.» (Genèse 12,3)