« Quand l’étranger, qui n’est pas de ton peuple d’Israël, viendra d’un pays lointain, à cause de ton nom, car on saura que ton nom est grand, ta main forte, et ton bras étendu, quand il viendra prier dans cette maison, -exauce-le des cieux, du lieu de ta demeure, et accorde à cet étranger tout ce qu’il te demandera, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom pour te craindre, comme ton peuple d’Israël, et sachent que ton nom est invoqué sur cette maison que j’ai bâtie! » (1 Rois 8:41-43)
La question des réfugiés est une question difficile.
Je peux comprendre ceux qui les voient comme une menace…et je comprends ceux qui les voient comme une grande complexité sociale.
Mais nous devons nous souvenir que l’autre est confronté à une énorme détresse humanitaire.
J’en ai assez d’entendre ces réflexions xénophobes, prononcées depuis quelques jours, par des Juifs amnésiques, ici, en Israël.
Les réfugiés sont l’image miroir de nos parents et grands-parents fuyant les pays d’accueil, de recueil et surtout de cercueil.
Permettez-moi de chercher, encore et toujours, le Rav capable d’endosser l’habit du Rav Avraham Yehoshua Heschel zatsal, qui défila avec Martin Luther King au nom des droits civiques pour les noirs américains. Ce Rav marcherait avec un rouleau de la Torah dans les mains, et appellerait à garder ce qui y est écrit: « Et tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Notre ancêtre Yaacov s’était enfui devant son frère Essav qui menaçait de le tuer. En termes de droit international, Yaakov est un « réfugié ».
« Un réfugié est une personne qui se trouve en dehors du pays dont il a la nationalité et qui, en raison d’une crainte fondée d’être persécuté, ne peut pas retourner dans son pays dont il a la citoyenneté. » (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 1951).
En tant qu’être Hébreu, fidèle au projet de la Torah, je mentionne régulièrement la sortie d’Egypte, je ressens le besoin de ramener la mémoire du passé au présent. La mémoire historique de l’Exode m’oblige, ici et maintenant, dans l’amour de l’étranger, ce qui signifie – une attitude morale envers lui. La Torah nous ordonne d’aimer l’étranger, et nous interdit formellement, d’en abuser.
En 1938, l’Europe fut inondée d’essaims de réfugiés juifs fuyant, affolés, les mâchoires du prédateur nazi. Ces dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants frappèrent aux portes des états-nations, malheureusement celles-ci restèrent closes. Les gouvernements firent valoir qu’ils ne pouvaient pas supporter ce fardeau ni devoir absorber plus de réfugiés…. Alors ils les renvoyèrent vers leur pays d’origine, comble du crime, vers l’Allemagne, entre autres.
Cette même année, un poète protestataire nommé Whiston Auden, furieux contre l’opacité des gouvernements, écrivit une chanson intitulée « Refugee Blues ». C’est l’histoire d’un Juif qui raconte à sa partenaire les turpitudes qu’il a dû traverser.
Trois ans plus tard, le poète Nathan Alterman écrivit une chanson de remerciement au gouvernement suédois qui, contrairement à d’autres pays européens, ouvrit ses frontières! (Swedish Language, 1942)
« Ne livre pas un esclave à son maître, s’il vient se réfugier de chez son maître auprès de toi. » (Devarim 23,16) Ce code moral de la Torah nous oblige en tant qu’État Hébreu à offrir l’asile aux réfugiés.
Rashi: « Tu ne livreras pas un serviteur comme le rend le Targoum Onqelos. Autre explication: Même le serviteur kena‘ani d’un Israël qui s’est enfui en Erets Israël venant d’un autre pays (Guitin 45a) »
Les persécutés (esclave, serviteurs…), sont des victimes innocentes, elles prennent la fuite en quête d’un havre de paix. Dans son célèbre ouvrage, le ‘Guide des égarés’ livre 3, Chapitre 39, Maïmonide déclare que le devoir de sauvegarder l’esclave fuyant la terreur de son maître est à notre avantage et au sien.
« En plus de la miséricorde en cela, il y a un grand avantage dans ces commandements, et c’est que nous nous adaptons à ce degré exalté, c’est-à-dire que nous donnons la protection à ceux qui nous la demande, on le protégera et on ne le renverra point vers ceux dont il a fui. Et il ne suffit pas que vous protégiez celui qui veut votre protection, vous avez le devoir de veiller à ses besoins, de lui accorder le mieux et le meilleur, et de ne pas le blesser par vos propos. »
« L’étranger » dont parle la Torah n’est pas celui qui choisit de rejoindre le peuple d’Israël, et d’accepter son destin et sa destinée.
L’étranger dont parle la Torah est celui qui vit ici parmi nous, lui, qui est facilement, vulnérable, ajoutant ainsi la souffrance à sa douleur.
Certes, ce réfugié est également engagé envers la société et la communauté qui le reçoit, mais plus que lui-même ne doit à la communauté – celle-ci doit veiller à son bien-être. (Le résident biblique a le devoir de respecter les sept commandements de Noa’h, fondements moraux de la bonne existence humaine et sociale)
La Torah exige de nous un traitement juste et humain des étrangers et des faibles, mais il me semble que nous ne traitons pas le sujet avec suffisamment d’humanité et de moralité.
« Laisse-le demeurer chez toi, dans ton pays, en tel lieu qu’il lui plaira, dans telle de tes villes où il se trouvera bien; ne le moleste point. » (Devarim 23,17)
L’engagement envers la Torah et les mitsvot exige de nous un comportement et une attitude complètement différents. Nous devons garantir l’existence digne des réfugiés et, en même temps, nous devons défendre les droits des citoyens israéliens et les protéger.
Certes, il y a une priorité pour nos concitoyens mais il existe aussi d’autres exigences:
« Si un étranger vient séjourner avec vous dans votre pays, vous ne l’opprimerez point. Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène du milieu de vous; vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte. » (Vaykra 19, 33-34)
L’interdiction sérieuse de verser le sang sous-tend la conscience morale humaine. La réponse et la plainte de Caïn qu’il n’est pas le gardien de son frère (Genèse 4:9) a suscité la difficile question:
« Dieu dit: Qu’as-tu fait! Le cri du sang de ton frère s’élève, jusqu’à moi, de la terre. » (Bereshit 4:10).
Le Midrash de Rabbi Nathan nous dit:
« Cela nous enseigne que le sang de ses enfants, petits-enfants et tous ses descendants jusqu’à la fin des temps étaient présents et criaient à Dieu. Cela nous dit qu’une personne est égale à toute la création. »
Dès que Noa’h sortit de l’Arche, toute l’espèce humaine reçut l’ordre avec force et sévérité de veiller à ne pas nuire :
« Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car Dieu a fait l’homme à son image » (Bereshit 9, 6).
Au second siècle de notre ère, Rabbi Meir a affirmé la double portée de ce commandement. Il n’y a pas seulement un avertissement contre le mal, il y a aussi un accent sur la valeur de l’assistance, de l’aide, du soutien:
« Adam a été créé (homme) unique, pour t’enseigner que celui qui fait périr une seule âme, l’Ecriture lui en tient compte comme s’il avait fait périr un univers entier, et celui qui a sauvegardé une seule âme, l’Ecriture lui en tient compte comme s’il avait sauvegardé un univers entier. Et c’est aussi pour assumer la paix entre les Créatures… » (Mishna, Sanhédrin 4 :5).
Dans la Mishna, la reconnaissance décisive de la singularité de chacun en a fait la source d’inspiration des principes de l’individualisme dans le libéralisme du 18eme siècle.
Aujourd’hui aussi, celle-ci affirme non seulement les droits avec lesquels chaque personne est née, mais aussi l’obligation qui incombe à chaque être humain de tendre la main à son prochain pour le sauver en son heure de détresse.
Chaque individu, y compris un réfugié, est une âme unique.
L’amour de l’autre qui nous amène à partager la douleur d’autrui et à venir en aide à l’autre est l’une des valeurs véhiculées par le Judaïsme.
Ainsi, il est tout à fait juste et approprié de se porter volontaire pour aider une personne dans la peine et, immanquablement, d’offrir de l’aide à un groupe de personnes souffrantes, y compris les réfugiés et les communautés de réfugiés au sens large.
Une telle contribution est l’expression des attributs de Miséricorde et de Paix, caractéristiques attribuées à Dieu auxquelles une personne doit aspirer afin de s’en inspirer.
« Si l’asile n’était pas accordé à ces réfugiés, cela serait considéré comme « blasphématoire »» déclara le Rav Avraham Ibn Ezra.
Pouvoir distinguer entre le devoir d’agir, au nom de l’Hébreu, en accueillant les réfugiés, et la désagrégation de l’Etat Hébreu par une politique, sans bornes, d’ouverture et de franchissement des frontières reste la grande difficulté.
Une chose est sûre: il est impossible de gérer une telle situation, critique d’une part et dramatique d’autre part, sans une ligne socio-politique clairement définie.
La Bible exige preuve de sensibilité envers les secteurs les plus faibles de la société, comprenant les esclaves, une philosophie issue des centaines d’années pendant lesquelles le peuple d’Israël a été asservi en Égypte, comme cela est décrit dans le livre de Shemot. Les Hébreux ne pouvaient ignorer le sort des esclaves au sein de leur communauté, alors qu’eux-mêmes avaient commencé leurs pérégrinations nationales en tant qu’esclaves nouvellement libérés.
À la lumière de cette histoire, la communauté juive contemporaine ne peut rester indifférente au traitement des victimes dans toute société civile au niveau national ou mondial.
Les années d’esclavage en Égypte avec ses souffrances et ses durs labeurs et l’exode de cette terre ont donné naissance à l’identité collective Hébraïque.
L’impératif de se préoccuper des éléments souffrants et dans l’affliction au sein des sociétés humaines est soutenu par l’argument moral, cardinal: vous aussi, vous y étiez!
Vous, l’Israël moderne, ambassadeur du patrimoine, comprenez certainement, mieux que quiconque, la nature de la souffrance et, avant tout le monde, vous pouvez identifier la portée des crises humanitaires.
Vous avez traversé les méandres de l’Histoire envers et contre toutes les solutions finales, vous voilà dans l’obligation morale d’agir avec sensibilité et sollicitude. Pour cette raison, Dieu t’a fait sortir d’Égypte, et c’est pourquoi il t’a été commandé:
« Souviens-toi que tu as été esclave au pays d’Égypte » (Devarim 5, 15).
Cet argument s’ajoute à la littérature actuelle sur l’absolue éthique envers les réfugiés. La discussion sur l’esclavage dans la tradition juive, cependant, fournit une analogie pour les devoirs envers le réfugié.
Au nom de la Torah et des mitsvot, nous devons nous affirmer, et garantir, l’interdiction sévère de toute xénophobie.
Menachem Begin sut comment recueillir les réfugiés du Vietnam. Il croyait que c’était aussi le destin de l’État d’Israël.
Quiconque a recueilli des réfugiés en mer, aurait sûrement traité différemment les réfugiés arrivant sur nos terres. Nous avons besoin d’un leadership intelligent et moral qui sache comment nous orienter vers une solution morale pour l’Etat Hébreu, et non vers une solution empressée et irréfléchie.
Rony Akrich