Que sommes-nous capables de donner à notre pays ? Chacun de nos soldats répond avec simplicité, s’engage dans un quotidien où la rigueur, la fatigue, la tension du danger conduiraient naturellement au repli sur soi. Eux ont choisi de développer, au cours de longues années de formation et d’entraînement, cette capacité à agir collectivement, à s’épauler dans les épreuves, à se protéger mutuellement. Ils marchent vers la grandeur sans la rechercher. Simplement parce que leur cœur les pousse vers ce rôle qui s’inspire du meilleur de la Nation et de l’idéal d’Israël.
Tout au long des siècles, la terre d’Israël n’a été préservée puis revivifiée que parce que des Juifs ont été prêts à donner leur vie pour cette cause. La construction de notre État passe à travers le dévouement des juifs! Il ne s’agit pas seulement d’une donnée théorique. Habiter sur notre terre, c’est le fondement de notre vie, et l’unique moyen concret de reconstruire notre nation.
Servir son pays, notre soldat est confiant et se nourrit de l’exemple de ceux qui l’ont précédé. Autres temps, autres guerres, autres sacrifices, toujours avec le sentiment qu’Israël le requiert et que son avenir en dépend. Filiation de ceux qui, toutes origines mêlées, ont trouvé dans la complicité des combats le meilleur de l’âme humaine: l’abnégation, la solidarité, le goût de l’effort, l’aptitude au sacrifice, le respect et l’humilité au service de la collectivité.
Soudaine prise de conscience de ce qu’il y avait de grand dans l’engagement de nos enfants et qui nous pousse dans ces moments de deuil au recueillement total. Des Israéliens, derniers d’une longue lignée, tombés au nom de valeurs qui dépassent l’intérêt individuel! Rude rappel pour ceux qui dépriment dans un environnement miné par les petits égoïsmes et le jeu nauséabond des bassesses sectaires. La grandeur d’un peuple se nourrit de la preuve, renouvelée sans cesse, de sa capacité à payer le prix de la liberté.
Je me répète et réitère que tout au long des siècles, la terre d’Israël n’a été construite que parce que des Juifs ont été prêts à donner leur vie et il est impossible de concevoir autrement la construction d’une nation. En cas de conflit entre la vie de la nation et la vie des individus, la collectivité a le pas sur le particulier et la vie du peuple. Ainsi, les paroles de Nahmanide, loin d’être une hypothèse d’école, ont reçu confirmation au cours des cent ans de sionisme qui ont vu la création de l’État d’Israël et toutes ses réalisations.
Le don n’est pas seulement un devoir « moral », c’est encore plus radical. Le don se situe dans l’intériorité vivante, dans le rapport de soi à soi qui fait que la vie est proprement vivante au sein de sa manifestation. Le don n’est pas la représentation d’une nécessité « intellectuelle ». Le don de soi se situe en-deçà des calculs et des représentations de l’intellect, le don de soi, véritable, appartient au cœur, il découle de l’amour. C’est en ce sens seulement que le comportement idéal est fondé sur l’abnégation et l’offrande de soi. Son secret est aussi d’être une ouverture proposée à l’ego qui permet justement d’annihiler tout égoïsme.
Il est dans la nature même de la vie de toujours s’octroyer à elle-même et de quérir sa propre croissance, son élan vital. C’est indubitablement en cela qu’elle est vivante, parce qu’inlassablement s’octroyant dans cette épreuve à soi son propre devenir. C’est pour cette raison transcendante et fondamentale que donner est une joie ; car donner c’est aller dans le courant qui porte la vie, qui supporte la vie.
Un soldat s’engage pour son pays, et non pour une politique. La politique varie, son engagement reste, prêt au sacrifice suprême pour la terre et le peuple d’Israël. C’est pourquoi, quelle que soit la politique menée, l’abnégation du soldat mérite le respect. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas la critique de la politique qui a abouti à ce sacrifice, mais c’est une autre histoire, à chacun ses responsabilités. Les grandes gueules qui ont la raillerie si facile devraient examiner les choses avec un peu plus de décence; combien d’entre nous sommes disposés à risquer notre vie pour une cause qui nous dépasse.
Les arguties des sentencieux pèsent bien peu face au sacrifice volontaire d’un homme et, au fond, n’apparaissent que pour ce qu’ils sont: des loques camouflant, au choix, l’inconscience, la bêtise ou la lâcheté. Que vaut un pays pour lequel nul n’est prêt à périr ? Si l’existence de l’homme n’avait rien qui le surpasse, si l’objectif des hommes était leur continuation optimale, quel chagrin, quelle langueur, quelle consternation.
Mort donnée et mort reçue, librement acceptée. La compréhension de ce rapport à la mort est primordiale, c’est elle qui justifie cette singularité que l’on ne retrouve que dans le service de son pays par les armes. La mort de l’ennemi devient plus juste à proportion du risque accepté de sa propre vie. Ce qui ramène à la notion de sacrifice suprême. Mais le sacrifice suprême n’est lui-même possible et envisageable qu’en tant qu’il procède de ce fameux « esprit de sacrifice ». Pour le dire autrement, de même que les grandes réalisations ne sont que le fruit d’un long travail de fond, le sacrifice de sa vie pour les autres ne peut être que le fruit d’une vie déjà entièrement donnée dans le quotidien, dans les sacrifices plus petits de la mission de tous les jours. Le sacrifice résulte d’une décision librement consentie. Il est le fruit d’une acceptation de l’être, préparée par un état d’esprit du quotidien.
Si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation. (Hélie de Saint-Marc, Les Sentinelles du soir)