Parashat « Chayei-Sarah » commence avec la mort de Sarah et se termine par une surprise: l’annonce d’un mariage. A 140 ans, Abraham se remarie et devient le père de six autres fils (Genèse 25: 1):« Abraham a pris une autre femme, qui s’appelait Ketura. »Un successeur pour Sarah, une belle-mère pour Itshak, une autre lignée de parenté descendant directement d’Abraham, étrange n’est-ce pas? C’est une grande nouvelle! Pourtant nous n’avons pas plus d’informations sur Ketura, à part la liste de sa progéniture.A travers un imaginaire étonnant, la légende rabbinique identifie la nouvelle épouse d’Abraham comme étant Agar, son ex-femme. La dernière fois qu’Abraham et Agar étaient ensemble, il avait accepté, qu’avec leur fils Ismaël, ils soient bannis dans le désert vers une mort presque certaine. Comment pourrait-on imaginer qu’ils se réconcilieraient?Le commentateur médiéval Rashi fait valoir son cas sur la base d’un jeu de mots. Ketura a la même racine (k-t-r) que le mot hébreu pour l’encens et le verbe araméen «lier». Il fait tourner cela en une exégèse qui décrit Agar comme une femme agréable restée fidèle à Abraham et qui, par ses bonnes actions, a gagné la dénomination de Ketura.Cette interprétation met à mal la croyance. Le petit-fils de Rachi, Rashbam, déclare sans ambages: «Au sens littéral du texte, Ketura n’est pas Agar.»Pourtant, de nombreux commentateurs, éminents, sont d’accord avec Rachi et trouvent de nouvelles justifications à propos de ce lien. Est-ce que Ketura est Agar? Je ne suis pas sûr que ce soit important. Ce qui m’intéresse, c’est voir certains rabbins vouloir retrouver Agar dans l’Histoire et donner à son personnage de nouvelles dimensions et possibilités. Le mot Agar signifie «l’étrangère». À sa première apparition, Agar est considérée par Sarah et Abraham comme l’étrangère opprimée au sein de leur triangle d’amour et de fertilité.Cependant, les rabbins se torturent l’esprit pour relier Agar à Ketura, créant ainsi un nouveau pan à l’Histoire. Agar devenue Ketura offre l’opportunité de panser les blessures du passé tout en soulevant de nouvelles questions:Comment la réconciliation d’Agar et d’Abraham a-t-elle pu se produire?Réponse: Itshak s’est chargé de ramener Agar et Ismaël, depuis « Beer Leh’aye Roii » dans le giron familial sans même assister aux obsèques de sa propre mère! Comment leur relation a-t-elle pu se re-conjuguer?Cette fidélité envers Ketura donne une ampleur et une densité au texte, il nous encourage à percevoir une nouvelle facette d’Agar. Cela offre un modèle de lecture qui ouvre d’autres possibilités créatives au-delà de l’exégèse biblique traditionnelle.Je me souviens de cette histoire chaque fois que je lis, ou entends, dans les médias des nouvelles dramatiques ou bienheureuses dans le monde d’aujourd’hui. Jamais je n’oublie qu’il y a des êtres humains derrière les gros titres de la tragédie et de la souffrance.Mais comment accéder à leur réalité personnelle?Durant mes voyages, j’ai rencontré des gens qui témoignaient de la plénitude de leur vie, une plénitude qui transcendait les graves privations qui étaient les leurs au quotidien.J’ai du mal, malgré tout, à me connecter aux problèmes mondiaux et à empêcher les statistiques de masquer l’humanité des gens dans le monde.Parmi tout ce que nous pouvons faire, j’ai trouvé une aide substantielle: je me suis mis à la lecture de romans écrits par des auteurs autochtones.Sans se substituer à la réalité sur le terrain, la littérature est un outil puissant pour comprendre bien mieux que les catastrophiques articles de journaux.Les œuvres de fiction peuvent offrir un large éventail de savoir sur les tenants et les aboutissants d’évènements, de personnes, trop souvent ignorés, ou dépersonnalisés, dans les rapports académiques ou politiques, sans pour autant compromettre la complexité, les implications politiques , ou la lisibilité des sujets.La fiction nous invite dans la vie des gens, des pays, de toute part. Tel Khaled Housseini, les romanciers rendent l’étranger familier et immédiat. Ils élargissent notre capacité à comprendre, à nous soucier de lui et ce de manière plus significative.N’est-ce pas la finalité des interprètes de la Torah? Agar est-elle Ketura ?La Torah, en elle-même, ne le dira pas.Avec le Midrash, la lecture traditionnelle préserve la dynamique de ces textes, le silence du verset biblique se remplit d’alternatives. L’exégèse et la fiction littéraire élargissent notre sens du possible et nous encouragent à nous identifier à l’étrangère.La façon dont nous lisons peut-elle faire une différence?En imaginant pleinement l’autre et son monde, notre plaidoyer et notre action seront plus efficaces.Comme l’écrivait la romancière, George Eliot, au XIXe siècle:«Une image de la vie humaine telle qu’un grand artiste peut donner, surprend même les triviaux et les égoïstes dans cette attention à ce qui est en dehors d’eux-mêmes, ce qui peut être appelé la matière première du sentiment moral. »De toute évidence, les gens ne sont pas tous les mêmes. Nous ressentons différemment la propreté de nos chambres, ce que nous mangeons et les activités que nous aimons. Il est facile de s’attarder sur les différences, mais il existe de nombreuses similitudes fondamentales que nous partageons et nous devons nous concentrer sur elles.Itshak et Ismaël étaient les deux fils d’Abraham. Ils étaient des demi-frères de mères différentes et, eux-mêmes, très différents par leur âge, leur tempérament, leurs expériences, leurs manières et leur caractère. Pourtant, la partie de la Torah de cette semaine, Haye Sarah, souligne que le moment venu d’enterrer, et de pleurer, leur père Abraham, Itshak et Ismaël l’ont fait ensemble. Itshak et Ismael ont même pu mettre de côté leurs distances et leurs divergences pour se concentrer sur ce qui les unissait.Pouvons-nous mettre nos différences de côté pour le bien commun?Tout le monde ne peut, ou ne devrait, pas être pareil et nous avons souvent le sentiment qu’une autre personne a tout à fait tort. Mais nous avons tous beaucoup en commun. Nous devons être réalistes et reconnaître nos différences, mais, également, nous concentrer sur nos points communs: la famille, les valeurs, la communauté et les intérêts, et chercher des moyens de travailler ensemble en harmonie.PARLEZ À VOS ENFANTS du respect des différences entre les membres de la famille.CONNECTEZ-VOUS À LEUR VIE:· Donnez un exemple d’une différence insignifiante entre vous et un autre membre de la famille.· Donnez un exemple d’une différence majeure entre vous et un autre membre de la famille.· Qu’avez-vous en commun avec cette personne et comment pouvez-vous travailler ensemble?· Pourquoi est-ce important?C’est aussi en réaction contre les totalitarismes, que la pensée contemporaine en est venue à admettre que la connaissance d’autrui devait être fondée sur la reconnaissance de la différence. Confrontés au quotidien au problème du racisme, nous sommes devenus très susceptibles quant au respect de la différence. L’autre, l’étranger, a droit de cité parmi nous et il est hors de question d’introduire un quelconque jugement qui instaurerait une ségrégation fondée sur la couleur de peau, la race, la langue, la culture, les manières de vivre etc. La différence doit être acceptée pour ce qu’elle est, admise comme un fait, de la même manière que nous acceptons comme un fait la différence au sein de la Nature. Après tout, dans un bouquet, l’œillet est différent de la rose ou le mimosa. C’est la diversité qui donne à l’unité sa richesse, son abondance, sa gaieté et sa vie. Or, dans le monde humain, il semble que la diversité d’emblée fasse problème. Il nous est étrangement difficile d’accepter la diversité humaine comme telle…..Et pourtant Itshak et Ismael iront ensemble à la mémoire de leur père!https://youtu.be/_2HT1SxAKV8ECOUTEZ GILBERT BECAUD…!