Les soldats qui ont pris d’assaut le Mur et qui l’ont libéré de ses dix-neuf ans de solitude, de captivité, ont éclaté en sanglots au moment où ils l’ont atteint. Un cœur s’entrouvrait à eux derrière les pierres qu’ils embrassèrent. C’est face à lui que les combattants endurcis ont éclaté en pleurs, comme des enfants candides qui retrouvent une mère dont ils ont été séparés.
Comment expliquer l’empressement de centaines de milliers de Juifs à venir devant le Mur, quand ils ont appris la nouvelle, pour y prononcer une prière, pour y verser une larme, pour y déposer un baiser? C’est la preuve irréfutable du caractère surnaturel de l’histoire d’Israël et de Jérusalem. C’est le phénomène d’Israël, s’exprimant par le phénomène de Jérusalem, c’est l’expérience vécue de l’événement longuement attendu, patiemment préparé, et même passablement négligé.
Aujourd’hui notre présence est une réalité, vouloir convertir cela en une expérience aux lendemains douteux, serait quelque chose de plus grave que de renoncer à une exceptionnelle chance politique. Plus grave même que de renier son propre passé millénaire, ce serait refuser la réalisation d’un beau rêve, ce serait piétiner les premières fleurs du printemps de la liberté.
Ce qui frappe, précisément dans les rues de Jérusalem, c’est que des versets bibliques comme ceux de la prophétie de Zacharie se réalisent de manière vivante et quotidienne, non pas comme une idylle ou une image pieuse, mais comme une œuvre patiente, une tâche de tous les instants, un devoir que rien ne saurait arrêter et qui est, lui aussi, irremplaçable.
« Dans le sourire des enfants, garçons et filles, remplissant de leurs jeux les rues de Jérusalem, sous l’œil amusé des grands pères et des grands-mères, chacun appuyé sur son bâton, dans les rues de Jérusalem … » (Zacharie, 8, 4-5).
Sans doute y a·t-il de quoi être émerveillé de ces images cueillies au coin de chacune des rues de Jérusalem. Mais Dieu ne prévient-il pas, précisément, dans cette vision de Zacharie, que si les hommes ont quelque raison d’en être étonnés, Dieu Lui-même ne l’en est pas moins? « Si tout cela vous paraît merveilleux, eh bien, à Mes yeux aussi cela est pure merveille!» (Zacharie, 8, 6).
Dieu Lui-même n’en croit pas Ses yeux! Comment l’homme pourrait-il douter, à capter un tel spectacle et à y participer, de la nécessité et de la fécondité messianiques d’un tel devoir?
Dans un passage émouvant des ‘frères Karamazov’, Dostoïevski raconte comment le petit Ilioucha, qui va mourir, propose à son père, le capitaine Sniéguiriov, une ultime consolation: « Quand je serai mort, prends un bon garçon, un autre; choisis le meilleur d’entre eux, appelle le llioucha et aime le à ma place …» Mais Sniéguiriov s’écrie d’un ton farouche, en éclatant en sanglots : ‘Je ne veux pas de bon garçon, je n’en veux pas d’autre … Si je t’oublie, Jérusalem, que ma langue reste attachée …’ Ainsi l’auteur russe, nourri de Bible, a t il admirablement exprimé l’idée qu’aucune chose au monde ne saurait évoquer le thème de l’Irremplaçable autant que Jérusalem.