Le temple fut l’espace de cérémonies sacrées : le culte sacrificiel, bruler les encens, les chants liturgiques, Les solennités étaient emplies de principes et leur mise en œuvre adjurait la soumission et la minutie. Pour quelle raison, ce haut lieu de la spiritualité, avait-il été abattu et dévasté ? Etait-il délaissé, mal considéré ? Les cérémonials étaient-ils mal exécutés, lui manquait-on de respect, avait-on profané sa sainteté ?S
La réponse des prophètes bibliques est d’une part vindicative et d’autre part non moins inquiétante. Le temple ne fut pas détruit du fait d’un quelconque abandon mais bien au contraire, il le fut parce qu’il était devenu une finalité et non plus un moyen de servir le projet Divin.
Appréhendons ce paradoxe en écoutant le discours passionnant du prophète Jérémie :
« Ne vous fiez pas à cette formule trompeuse : « C’est ici le sanctuaire de l’Eternel, le sanctuaire de l’Eternel, le sanctuaire de l’Eternel ! » Car si vous corrigez sérieusement vos voies et vos œuvres, si vous pratiquez une justice sévère dans vos relations réciproques ; si vous vous abstenez d’opprimer l’étranger, l’orphelin et la veuve, de répandre du sang innocent en ce lieu, et de suivre des dieux étrangers, pour votre malheur, [alors seulement] je vous laisserai résider ici, dans le pays que j’ai donné à vos ancêtres, de siècle en siècle. » (Jérémie 7: 4-7)
Jérémie tente d’informer les masses car elles sont les premières victimes d’un endoctrinement erroné propagé par les milieux religieux du pouvoir :
« Le Temple de Dieu Le Temple de Dieu Le Temple de Dieu. »
C’est une propagande fallacieuse qui endort la nation, lui offre une perception factice de la réalité où tout irait pour le mieux, nul drame nationale en prévision, la ruine n’est pas une option crédible. Le peuple croit, pieusement, que le temple devenu complaisant, il n’a pas su se remettre en cause, n’a guère corrigé son chemin et ne put empêcher la tragédie.
Les prophètes d’Israël exprimaient, lors de leurs harangues réitérées, une requête stratégique. Contre un échec militaire ou une sérieuse crise économique, la prérogative de toute société constituée est sa capacité à prévenir tout dommage grâce a une réelle politique de justice sociale. Ils ont tenté de ramener la population vers des vérités plus terre à terre, plus pragmatiques, moins mystiques, moins extatiques. Vos tragédies seront justement conséquentes de ces croyances fondamentalistes et de ces fantasmes radicalisés.
« Mais quel hommage offrirai-je au Seigneur ? Comment montrerai-je ma soumission au Dieu suprême ? Me présenterai-je devant Lui avec des holocaustes, avec des veaux âgés d’un an ? Le Seigneur prendra-t-il plaisir à des hécatombes de béliers, à des torrents d’huile par myriades ? Donnerai-je mon premier-né pour ma faute, le fruit de mes entrailles comme rançon expiatoire de ma vie ? » (Michee 6, 6-7)
Ce qui nous protègera, ô peuple d’Israël ! Le souci de l’orphelin, de la veuve et de l’étranger.
L’orphelin est nu face aux menaces extérieures sans parents pour le protéger. La veuve est démunie face à l’exploitation et aux abus, sans mari pour la protéger. L’étranger est une minorité exposée à la servitude et à l’injustice, sans communauté sociale, politique ou religieuse pour le protéger.
L’injonction prophétique est claire et catégorique : les sans noms, les laissés pour compte doivent être protégés. Leur équation est aussi primaire qu’acérée : seule une société capable de soutenir ses petites gens sera défendable.
« Homme, on t’a dit ce qui est bien, ce que le Seigneur demande de toi : rien que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu! » (Michee 6, 8)
La foi dogmatique, aux puissances métaphysiques du temple et aux forces protectrices des cérémonies et des sacrifices, égarait la cognition populaire et engorgeait ses priorités. En lieu et place de devenir une société à même de protéger les faibles, ils sont devenus une société protégée par des cultes rituels. En d’autres termes, leurs convictions ont mélangé les priorités des valeurs sociétales. Ils ont instauré le culte sacrificiel au sommet de la vie religieuse et la sensibilité sociale au bas de la hiérarchie religieuse. Le sacrifice devenait plus essentiel que l’identité morale. Le bémol dans cette histoire est que Dieu, selon les prophètes, n’aspire nullement aux sacrifices.
« Ecoutez la parole de l’Eternel, magistrats de Sodome ; soyez attentifs à l’enseignement de notre Dieu, peuple de Gomorrhe ! Que m’importe la multitude de vos sacrifices ? Dit le Seigneur. Je suis saturé de vos holocaustes de béliers, de la graisse de vos victimes ; le sang des taureaux, des agneaux, des boucs, je n’en veux point. Vous qui venez, vous présenter devant moi, qui vous a demandé de fouler mes parvis ? Cessez d’y apporter l’oblation hypocrite, votre encens m’est en horreur : néoménie, sabbat, saintes solennités, je ne puis les souffrir, c’est l’iniquité associée aux fêtes ! Oui, vos néoménies et vos solennités, mon âme les abhorre, elles me sont devenues à charge, je suis las de les tolérer. Quand vous étendez les mains, je détourne de vous mes regards ; dussiez-vous accumuler les prières, j’y resterais sourd : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, écartez de mes yeux l’iniquité de vos actes, cessez de mal faire. Apprenez à bien agir, recherchez la justice ; rendez le bonheur à l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. » (Ésaïe 1:10-17)
Un fossé existe entre ce que les individus croient que Dieu veut et ce que Dieu veut vraiment. Les sacrifices sont perçus comme une œuvre de Dieu, mais Dieu les abhorre. Il ne les aime pas parce qu’ils révèlent un profond décalage entre son projet originel et celui, falsifié, des hommes. Le peuple place l’esprit dévot, la foi d’un charbonnier illuminé, au sommet de la croyance, mais Dieu a une hiérarchie renversée, la justice sociale est au pinacle comme le prophète Amos le dit succinctement :
«Je hais, j’ai en dégoût vos fêtes, je ne prends nul plaisir à vos assemblées. Quand vous m’offrez des holocaustes et des oblations, je ne les agrée point ; je n’ai point de regard pour votre tribut d’animaux gras. Faites-moi grâce du bruit de vos cantiques, que je n’entende plus le son de vos luths ! Mais que le bon droit jaillisse comme l’eau, la justice comme un torrent qui ne tarit point ! Est-ce donc que vous m’avez présenté sacrifices et oblations au désert, durant quarante années, ô maison d’Israël ?» (Amos 5, 21-25).
Il est de coutume pour les prophètes de déclarer la suprématie de la morale et de dévaluer le culte sacrificiel, cette chose qui n’est pas souhaitable devant Dieu. Ainsi, le culte est-il perçu comme un cérémonial, dépourvu de tout contenu réel, tandis que la principale exigence divine demeure un comportement décent entre les hommes et au sein de la société en général.
Même aujourd’hui, il est courant de penser que la consécration la plus raffinée de la religion est la ferveur et le zèle, et plus une personne intensifie les rituels, plus elle se rapproche de Dieu.
« Ainsi parle l’Eternel-Cebaot, Dieu d’Israël : « Joignez vos holocaustes à vos autres sacrifices et mangez-en la chair. Car je n’ai rien dit, rien ordonné à vos ancêtres, le jour où je les ai fait sortir du pays d’Egypte, en fait d’holocauste ni de sacrifice. Mais voici l’ordre que je leur ai adressé, savoir : « Ecoutez ma voix, et je serai votre Dieu et vous serez mon peuple ; suivez de tout point la voie que je vous prescris, afin d’être heureux. » » (jeremie 7, 21-23)
Si la parole est au culte, le silence à la morale sociale, le mutisme à l’éthique sociétale, nous voilà plongés au sein même du système de défense exilique. Une protection quotidienne contre tout écoulement de l’identité juive. En Israël on ne peut être confronté à un tel dilemme, l’importance spirituelle de l’État exige une rencontre tripartie, une synchronie formidable. Le sionisme politique sera l’accomplissement des rêves prophétiques, il offre l’opportunité de renouer avec l’essence du projet Divin exprimé par la voix de ses messagers. Israël est l’État-nation du peuple Hébreu, son postulat est de pouvoir mettre en exergue l’identité morale d’Israël et déployer l’étendard de la moralité au-dessus du culte.
73 ans après la création de l’État, la diaspora devient de plus en plus une peau de chagrin, voici l’instant tant attendu pour sortir le Judaïsme de l’exil, retrouver notre Hébreu caché depuis trop longtemps.
« Samuel répondit « Des holocaustes, des sacrifices ont-ils autant de prix aux yeux de l’Eternel que l’obéissance à la voix Divine ? Ah ! L’obéissance vaut mieux qu’un sacrifice, et la soumission que la graisse des béliers ! » (Shmuel 1, 15, 22)