Parashat Ki Tavo, Deutéronome 26:1-29:8
On me demande souvent quelles sont les racines bibliques et rabbiniques du sionisme. On me pose des questions comme : Est-ce une mitsva (un commandement) de vivre en Israël ? ou Les Juifs n’ont-ils pas toujours vécu en diaspora ? Après tout, le Talmud babylonien, la pierre angulaire textuelle de la vie et de la loi juives, a été écrit à Babylone, n’est-ce pas ? Pourquoi est-il important de vivre en Israël ? Une autre question courante est : « Moïse » n’est jamais allé en Israël, la Torah a été donnée dans le désert, de nombreux « Juifs » religieux vivent et ont vécu en dehors d’Israël, n’est-ce pas?
Eh bien, la « parasha » de cette semaine, Ki Tavo, s’ouvre par un chapitre qui, je crois, aborde ces questions et sert donc de fondement à la pensée sioniste religieuse. La tradition juive considère ces versets, ainsi que les concepts et les sentiments qu’ils contiennent, comme si importants qu’elle ordonne à chaque agriculteur hébreu en Israël de les lire chaque année au cours d’un rituel qui se déroule dans le Temple à cette époque de l’année – au printemps, puis entre les fêtes de pèlerinage de Shavouot et de Souccot. Ce rituel est celui des « Bikkurim », les prémices, au cours duquel chaque agriculteur en Israël est ordonné de venir chaque année à Jérusalem avec ces derniers de certaines cultures de base qu’il a récoltées et de les offrir en cadeau aux prêtres du Temple.
L’élément central du rituel est le discours, contenu dans ces versets, que l’agriculteur est obligé de prononcer chaque année à cette époque. En plus de la lecture de ces versets par l’agriculteur lorsqu’il apporte ses « bikkurim », et, bien sûr, de leur lecture annuelle dans le cadre de la portion hebdomadaire de la Torah, les rabbins les ont également inclus comme l’un des éléments centraux de la Haggadah, que nous lisons chaque année lors du « Seder de Pessah ». Voilà l’importance que la tradition juive accorde à ces versets « sionistes ». Regardons-les de plus près:
« Le prêtre prendra la corbeille de tes mains et la déposera devant l’autel de l’Éternel ton Dieu. Tu déclareras alors devant l’Éternel ton Dieu: »
C’est ici que commence le discours que doit prononcer chaque agriculteur, et c’est à partir de là que la Haggadah commence à citer et à discuter ce texte:
1 « Quand tu seras arrivé dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne en héritage, quand tu en auras pris possession et y seras établi, 2 tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre, récoltés par toi dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, t’aura donné, et tu les mettras dans une corbeille; et tu te rendras à l’endroit que l’Éternel, ton Dieu, aura choisi pour y faire régner son nom. 3 Tu te présenteras au pontife qui sera alors en fonction, et lui diras: « Je viens reconnaître en ce jour, devant l’Éternel, ton Dieu, que je suis installé dans le pays que l’Éternel avait juré à nos pères de nous donner. »
4 Alors le pontife recevra la corbeille de ta main, et la déposera devant l’autel de l’Éternel, ton Dieu. 5 Et tu diras à haute voix devant l’Éternel, ton Dieu: « Enfant d’Aram, mon père était errant, il descendit en Égypte, y vécut étranger, peu nombreux d’abord, puis y devint une nation considérable, puissante et nombreuse. 6 Alors les Égyptiens nous traitèrent iniquement, nous opprimèrent, nous imposèrent un dur servage. 7 Nous implorâmes l’Éternel, Dieu de nos pères; et l’Éternel entendit notre plainte, il considéra notre misère, notre labeur et notre détresse, 8 et il nous fit sortir de l’Égypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges; 9 et il nous introduisit dans cette contrée, et il nous fit présent de cette terre, une terre où ruissellent le lait et le miel. 10 Or, maintenant j’apporte en hommage les premiers fruits de cette terre dont tu m’as fait présent, Seigneur! »
Que nous lisions ces versets à la synagogue dans le cadre de la « parasha » hebdomadaire, ou à Jérusalem lorsque nous apportons notre don des prémices, ou au « seder de Pessah », comme partie centrale de la Haggadah, nous ne pouvons qu’être frappés par la force, la beauté et la clarté du message exprimé.
Le sentiment de gratitude d’être revenu chez soi après des années d’errance difficile (« Il nous a amenés à cet endroit et nous a donné cette terre »), d’être enraciné non seulement dans un lieu géographique, mais aussi dans une société, une communauté de foi et dans un lien de gratitude, d’attention et de charité (« Et maintenant, j’apporte les prémices de la terre que tu m’as donnée, ô, Seigneur », « Et vous, les Lévites et les étrangers parmi vous vous réjouirez ») est fort, et est souligné par l’utilisation polysémique de trois mots « Bo » (venir, ramener ou apporter), « Eretz » (terre) et « Natan » (donner).
Diverses formes du verbe « Bo » sont utilisées sept fois dans notre section, faisant référence à la sortie d’Égypte du peuple Hébreu vers Israël par Dieu, et établissant un parallèle avec l’agriculteur entrant dans la ville de Jérusalem et apportant les prémices des fruits au prêtre dans le Temple. Notre pèlerinage annuel à Jérusalem, au cours duquel nous apportons les prémices des fruits et nous réjouissons, est un parallèle à la bonté de Dieu qui nous a fait sortir d’Égypte et entrer en Terre d’Israël.
« Eretz » – terre – est mentionné cinq fois dans la section (et « makom » – lieu – est mentionné deux fois). Cette focalisation sur le lieu, sur l’enracinement et le sentiment d’appartenance que l’Hébreu est censé ressentir, est ainsi soulignée et présentée comme un élément crucial dans l’histoire du fermier. Lorsque nous répétons cette histoire chaque année à la table de « pessah », nous affirmons que ce n’est pas seulement l’Hébreu qui se tient dans le Temple de Jérusalem qui est censé avoir ce fort sentiment d’appartenance. Chaque Juif, partout, chaque année, est censé raconter son histoire nationale, sa propre histoire et celle de son peuple, à partir du même « lieu », à partir d’un sentiment d’enracinement dans la terre que Dieu a donné à nos ancêtres et à nous-mêmes.
« Nathan » est utilisé de manière négative pour désigner les Égyptiens et de manière positive pour évoquer la générosité de Dieu. Il est également frappant de constater que la « parasha » qui suit immédiatement celle-ci traite de certaines lois relatives aux dîmes que « tu DONNERAS au Lévite, à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve ». La générosité de Dieu en nous donnant la Terre d’Israël contraste avec la cruauté de Pharaon et des Égyptiens, et doit être reprise par notre propre générosité envers les autres.
Je pense que les différentes interprétations de « Arami oved avi » doivent être prises ensemble. « Mon père était un Araméen errant » souligne le fait que nous avons commencé comme des errants, non pas dans notre propre pays, non enraciné dans un pays et un peuple, et connu sous un nom emprunté à d’autres et dont le sens n’est plus clair pour nous. Cette situation d’errance, de sans-abri, n’est pas en opposition avec « L’Araméen [Laban] a essayé de détruire mon père », mais devrait plutôt être étroitement identifiée à celle-ci. L’errance, le manque d’enracinement, le manque de contexte conduisent à la violence et à la haine dirigées contre nous. Dans une telle situation, nous sommes soumis aux caprices de ceux qui nous entourent, nous sommes des victimes.
Je pense qu’il est également révélateur que dans les deux interprétations, nous et nos oppresseurs portions le même nom – Araméen. En exil, notre identité même est en fait une menace pour nous, notre condition existentielle est intrinsèquement menaçante. La confusion qui règne dans les commentaires quant à la signification de cette phrase d’ouverture est parallèle à la confusion de la réalité que décrit cette phrase : hors de notre terre, hors de notre communauté, hors de notre récit historique, il n’est vraiment pas clair qui nous étions, où nous allions et ce qui nous arrivait. Nos identités en exil se limitaient à ce qui nous menaçait.
Ce n’est qu’une fois que notre situation d’errants/victimes est rectifiée, que nous arrivons et prospérons sur notre propre terre, et que nous nous voyons comme des acteurs d’un récit cohérent, que nous pouvons commencer à fonctionner en tant qu’individus et en tant que société que nous étions censés être. Ce n’est qu’une fois que nous sommes enracinés dans la connaissance et la gratitude de la bonté de Dieu, que nous nous comprenons nous-mêmes en termes de cette bonté et que nous en sommes reconnaissants, que nous pouvons nous engager à faire écho à cette bonté dans l’aide que nous apportons aux autres.
Pour moi, tous les fondements du sionisme classique sont exprimés dans ces quelques versets : la confusion, l’incertitude et les dangers de l’exil – la façon dont il réduit notre identité à celle de victime déracinée. Les fondements moraux, théologiques et historiques de notre présence sur la Terre d’Israël, et les possibilités que cette présence nous ouvre. Et, surtout, l’engagement en faveur de la justice sociale et de l’intérêt commun qui, en raison de notre revendication de notre propre place sur cette Terre et dans ce récit, incombe à chacun d’entre nous.