Ils se disent irrévérencieux, frondeurs, impertinents. Ils se présentent comme les derniers résistants de la liberté d’expression. Ils se vantent de tenir haut le flambeau du rire corrosif, de la satire impitoyable. Mais qui sont-ils vraiment, ces caricaturistes « bon chic, bon genre » qu’on voit partout ? Ces dessinateurs installés, invités sur tous les plateaux, célébrés par les mêmes élites qu’ils prétendent moquer ? Ces vassaux sont soumis à une transgression bien définie. Ils ne mordent que les cibles autorisées, celles qui ne menacent pas leur confort, leurs relations mondaines ou leur statut de figures « subversives apprivoisées ». Leur rébellion est conformiste, leur audace, artificielle. Il ne faut pas confondre la caricature, qui est un art noble, avec la diffamation. La caricature devient mensongère dès qu’elle prétend déranger alors qu’elle flatte, dès qu’elle fait semblant de révéler des vérités en perpétuant des stéréotypes sur une bourgeoisie culturelle convaincue de sa supériorité. On peut facilement se moquer du curé, du beauf, du paysan ou de l’électeur de droite. Dépeindre une ONG respectée, un employé de l’ONG militant, un magistrat engagé ou un commentateur progressiste peut s’avérer risqué, car la main peut alors trembler. On pensait que le crayon devait être libre, mais on réalise qu’il est devenu l’extension d’une pensée bien pensante et conformiste. Le rire s’est fait complice du pouvoir mou. L’humour, qui devrait mettre en évidence l’absurde, renforce plutôt les dogmes. Ce n’est plus la vérité qui ébranle, mais l’ironie qui rassure. Alors que ces caricaturistes en résidence se moquent des ombres ternies du passé, ils évitent soigneusement de représenter ce qui constitue une menace réelle. Parmi ces dernières, on compte l’idéologie technocratique, le fanatisme dissimulé, le mépris pour le peuple et la moralité sordide de ceux qui donnent des leçons sans jamais les mettre en pratique. Caricaturer ne consiste pas à maîtriser un style, c’est une prise de risque. Si elle ne choque plus personne d’important, c’est qu’elle a perdu de son utilité. Alors, à ces artistes qui manipulent le trait, ces prestidigitateurs du papier glacé, ces collaborateurs du conformisme triomphant : déposez vos plumes, vous ne griffonnez plus rien.
La caricature dite « progressiste » a infecté certains des créateurs les plus brillants, provoquant une inflammation aiguë de la raison. Devenue outil de la culture « woke » et de la « cancel culture », elle transforme le crayon en instrument de censure, et le rire en arme idéologique. Autrefois, la satire était un outil redoutable pour tourner en ridicule le pouvoir et révéler ses impostures. Aujourd’hui, elle est devenue le bras armé d’une idéologie victimaire. Elle censure au nom de la tolérance, exclut au nom de l’inclusion, humilie au nom de la justice. La culture « woke » a infiltré l’univers de la satire, vidant la caricature de son irrévérence et la remplissant de slogans. L’artiste n’est plus un rebelle solitaire, mais le gardien du temple idéologique. Il voit des oppresseurs partout, des micro-agressions à chaque tournant, des « phobies » à pourfendre et des fautes symboliques à corriger. Quiconque osera encore rire au mauvais endroit sera puni. Dans ce monde en constante rééducation, la caricature ne révèle plus la nature véritable du pouvoir. Elle ne stimule plus l’intelligence, mais impose une vision moralisante du monde. Elle ne libère plus : elle formate. Le caricaturé d’aujourd’hui n’est plus le tyran, le dictateur, le corrompu. C’est le conservateur, le croyant, le père de famille, le patriote ou le sceptique. Chacun devient l’objet d’une représentation qui ne suscite plus le rire, mais impose une leçon. C’est moins une satire qu’un programme de redressement idéologique. Et gare à qui proteste : la culture du bannissement veille. Un dessin mal interprété ? Vous êtes banni. Une blague jugée inappropriée ? Déclassé. Une critique de la doctrine ? Toxique, dangereux, réactionnaire. Nous assistons à une inversion totale de la raison : l’espace de liberté d’expression, de doute, de provocation devient le théâtre d’une police du langage, déguisée en satire. C’est une satire conformiste, une subversion domestiquée. Il ne reste qu’un choix : résister ou se taire. Nous devons rebâtir une caricature réellement libre, capable de se moquer de tout, y compris — et surtout — des nouveaux censeurs. Rappelons-nous que l’humour ne devrait pas renforcer les idéologies, mais en dévoiler les absurdités. Car si même le rire devient domestiqué, alors tout est perdu.