En 1910, paraissait le livre du prolifique journaliste et écrivain G.K. Chesterton, « Qu’est-ce qui ne va pas dans le monde. »
Je le recommande vivement à ceux qui ne connaissent pas ses merveilleuses œuvres. Ses écrits sont d’une ampleur, d’un talent et d’un génie qui m’amènent à cette conclusion : il est peut-être l’un des plus grands écrivains du 20e siècle !
Comme vous pouvez le constater, le titre de son livre ne comportait pas de point d’interrogation. Chesterton ne se demandait pas ce qui n’allait pas, mais donna une réponse….plus précisément, une réponse adaptée à son époque. En 1910, ne l’oublions pas, la Première Guerre mondiale n’avait pas encore eu lieu, le monde semblait beaucoup plus stable qu’il ne l’est aujourd’hui.
Néanmoins, un journal britannique, « The Daily Herald » (il n’existe plus aujourd’hui), avait pensé que le titre du livre de Chesterton pourrait intéresser ses lecteurs, il les a donc invités à envoyer leurs réponses à la question « Qu’est-ce qui ne va pas dans le monde?
Imaginez-vous, un instant, à notre époque, les lecteurs se voir poser cette même question…. Quelle serait leur réponse ?
Certains voteraient, peut-être, pour un parti, pour un leader – Biden, Trump, Netanyahu, Bennett.
D’autres penseraient plus large: communisme, socialisme, féminisme, Chine, Russie, Iran, pauvreté, sans-abri.
Sans aucun doute, chacun pourrait signaler un problème différent, mais, n’hésitant jamais à exprimer son opinion, Chesterton envoya sa propre réponse, très courte: « moi-même », et le journal la publia.
En d’autres termes, Chesterton a assumé l’entière responsabilité de la situation et ne comprenant que pour la changer, il devait d’abord se changer lui-même.
La « responsabilité personnelle » est également le thème central de deux best-sellers du psychologue à succès Jordan Peterson: « 12 règles de vie » et « Être humain ». Les deux livres de Peterson – sortes de manuels d’auto-assistance mêlant philosophie, littérature et anecdotes personnelles – lui ont valu un énorme lectorat. Pour être honnête, Peterson avait déjà accumulé un large public grâce à ses conférences populaires sur YouTube. Sa chaîne compte près de 4 millions d’abonnés et il compte près de 2 millions de followers sur Twitter. Avant de tomber malade et de s’évanouir à cause de médicaments sur ordonnance, Peterson était un conférencier populaire qui remplissait les auditoriums aux États-Unis et dans le monde entier.
Alors, que se cache-t-il derrière le phénomène de popularité de Peterson?
Quelles sont les raisons qui attirent tant de fans, en particulier de jeunes hommes, vers cet homme et ses idées?
La réponse tient en un mot : la responsabilité.
Des conseils qui vont à l’encontre de nombreuses tendances actuelles de notre monde. L’une d’entre elles est la culture de la victimisation. Par exemple, une personne échoue à l’école ou bien elle est incapable de conserver son emploi, elle ne s’examinera pas, mais pointera, automatiquement, du doigt son environnement : des enseignants épuisés, des patrons exigeants, l’éducation reçue, le manque de ressources ou encore l’appartenance ethnique.
Vous trouverez, ensuite, la culture étrangement centrée sur « le genre ». Elle va encourager les femmes et les minorités à se considérer comme les victimes d’un système oppressif.
À quoi peut-il servir de dire à une jeune fille de 15 ans qu’elle est une victime ?
À quoi cela peut-il servir de lui donner l’impression qu’elle ne pourrait pas être embauchée dans la haute technologie en raison de l’inégalité entre les sexes ?
Voulons-nous vraiment que des citoyens grandissent ici et passent le reste de leur vie à croire qu’une force irréversible les empêche de réussir ?
Une troisième tendance équivaut à manifester en exigeant d’un tiers – mais lequel? Mon environnement, mon gouvernement, les partis politiques, lui rendraient-ils le monde meilleur ?
Ici, mon intention est de regarder ces manifestants qui manifestent parce qu’ils ne vont pas bien, tout simplement ! Ils cherchent un coupable, un bouc émissaire, et la manifestation vise, pour ainsi dire, la tête d’un certain responsable de leur situation. Ils ne s’examinent pas intérieurement, ne se concentrent pas sur l’amélioration de leur propre identité.
J’appellerais la quatrième tendance : le relativisme moral. Il réduit le sentiment de responsabilité personnelle. Lorsqu’en tant qu’individus, nous justifions nos actions par des déclarations telles que « ma vérité n’est pas votre vérité », » on ne discute pas les goûts et les couleurs », « je peux faire ce que je veux tant que je ne fais de mal à personne », nous tirons la culture vers le bas. Parce qu’il est difficile pour celle-ci de supporter le poids de tant de principes et de normes différentes et contradictoires, tout simplement!
Enfin, les pouvoirs contribuent également à affaiblir notre sens des responsabilités.
Depuis des décennies, les politiciens et les bureaucrates promeuvent des programmes sociaux tels que « l’éducation gratuite », « l’assurance maladie gratuite », des allocations financières pour divers besoins, des logements sociaux, des subventions de sécurité sociale et bien plus encore. La majorité du public soutient cette idée, qu’elle soit de droite ou de gauche.
Ça sonne bien! Qui ne veut pas recevoir d’argent de l’État?
Mais il y a une faille !
Les travaux de recherche de la Banque centrale européenne et de la Banque mondiale ont montré qu’une telle politique conduit au résultat inverse parmi le quart le plus pauvre de la population. La richesse qu’il détient diminue pour une simple raison : les « cadeaux » que l’État distribue aux citoyens deviennent un substitut à l’accumulation de richesse personnelle. Les gens des classes moyennes et inférieures n’assument plus pleinement la responsabilité de leur vie, capitalisent beaucoup moins de ressources afin de prendre soin de leurs familles – ils deviennent dépendants de l’État.
Refuser de prendre ses responsabilités et rejeter la faute sur les autres est une mauvaise vertu, c’est aussi l’une des trois principales psychopathologies, avec l’accusation et le déni, qui nous nuisent le plus.
Nous l’avons appris lors de l’histoire du jardin d’Eden: après qu’Adam ait goûté au fruit défendu, il blâma Ève, et Ève blâma le serpent. Nul n’assuma la responsabilité de ses actes, ni ensemble ni individuellement.
Lorsque nous blâmons les autres, nous nions une partie de la réalité créée, nous affirmons que nous n’en faisons pas partie. Pourtant un seul doigt pointe l’accusé, mais trois doigts sont pointés vers moi!
Chesterton cherchait à nous éloigner de tout cela.
Que se passe-t-il, rien ne va chez moi?
Il ne s’agit pas d’autoflagellation ou de création d’une faible estime de soi par l’autocritique, mais exactement le contraire ! Nous parlons d’assumer ma propre responsabilité, celle de mes faits et gestes !
Peterson fait la même chose.
Il incite ses lecteurs à « vivre correctement » selon des règles universelles fondées sur l’introspection, la prise de conscience et le dépassement des épreuves qui sont, tout ou partie, de la condition humaine.
Ses idées ne sont certes pas nouvelles.
Tout au long de l’Histoire, les hommes et les femmes ont cherché les moyens d’accroître leur bonheur et leur bien-être.
La Bible propose les dix commandements. Marc Aurèle a trouvé la réponse dans le stoïcisme. Le jeune Benjamin Franklin a formulé une liste de 13 vertus pour une bonne vie. Rien qu’au siècle dernier, comme Peterson, des centaines d’auteurs ont écrit des livres de développement personnel offrant aux lecteurs des conseils philosophiques et pratiques pour améliorer leur vie. Sans exception, presque tous soulignent l’importance de la maîtrise de soi, du dépassement de nos défauts, quels qu’ils soient, et de la reconnaissance du bon, du bien et du beau en nous. La plupart d’entre eux offrent les mêmes conseils et règles de base : connaître les vertus et vivre selon elles, aider votre prochain autant que vous le pouvez, travailler pour subvenir aux besoins de votre famille, mettre de l’ordre dans votre vie avant d’essayer de changer le monde et ne pas blâmer les autres lorsque vous ne respectez pas ces normes.
Dans le lévitique, le principe « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » contribue à fonder sur la justice le lien politique et social, en commençant par soi!
Nous pouvons transmettre un merveilleux cadeau à la jeune génération : la capacité d’assumer la responsabilité de son vécu.
Nous pouvons leur enseigner cette leçon, dès la maternelle, à travers la lecture d’histoires comme « La cigale et la fourmi » d’Ésope ou les adages du roi Salomon.
Nous pouvons, en grandissant, leur présenter des héros historiques qui ont assumé différentes tâches, pris des décisions difficiles et assumé la responsabilité des conséquences.
Les devoirs sont un autre outil idéal pour l’enseignement supérieur.
À l’instar des leçons tirées de la littérature et de l’histoire, nous pouvons éduquer nos enfants dès leur plus jeune âge à aider à la maison, garder leur chambre bien rangée et propre et effectuer de nombreuses autres petites tâches. Ces types d’emplois les préparent aux responsabilités du travail à l’extérieur du foyer pendant l’adolescence et, à partir de là, à la vie indépendante et adulte.
L’école joue également un rôle important dans cette formation.
Un essai bien rédigé et remis à temps est un signe de maturité. Un élève de seconde qui oublie ses devoirs recevra une note inférieure pour retard à l’ordre disciplinaire.
Le parent doit-il apporter la dissertation à l’école ?
Le parent doit-il laisser son fils en subir les conséquences et tirer une leçon de responsabilité personnelle?
Chaque jour, ou presque, nous offre l’occasion de renforcer notre sens des responsabilités. Si nous sommes mariés, nous avons celle d’aimer et de prendre soin de notre partenaire, surtout les jours terribles où tout va mal au travail, où les petits à la maison nous ennuient avec leurs querelles. Si nous avons des enfants, nous avons la responsabilité de les élever au mieux de nos capacités, à être attentionnés et gentils, fort face à l’adversité, n’ayant pas peur de dire la vérité lorsque la situation l’exige, et bien plus encore.
Dans le monde extérieur, notre plus grande responsabilité découle de la règle d’Hillel le Sage « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse”
Ce vieil adage s’applique à n’importe quelle situation, cependant, pour ce faire, nous devons d’abord être conscients de nous-mêmes. La conscience de soi est la base de la responsabilité personnelle.
C’est la bonne nouvelle que nous rappelle Peterson : plus nous assumons nos responsabilités, plus nous apprenons aux autres comment le faire, le meilleur sera le monde qui nous entoure.
Rony Akrich