Le sport est une manifestation de masse, un domaine pleinement associé au vécu social. En tant que pratique populaire, le sport ne pouvait être laissé pour compte par un pouvoir économique et politique sensible à un tel parterre. Les débauches liées aux jeux révèlent tous les déviationnismes de la société de consommation.S
L’interprétation contemporaine vide peu à peu le sport de son essence : celle d’être un exercice divertissant, dont le but serait d’encourager les données spécifiques du savoir sportif (esprit d’équipe, respect…). Il devient au contraire et trop souvent une caricature de lui même où seule la rentabilité des investissements importe à tout prix.
Toutes les valeurs postmodernes se rangent autour d’une valeur cardinale, celle de la valeur marchande.
Un thérapeute qui contribue au bien-être des hommes, est de ce fait moins «vénéré», ce qui veut dire «rétribué», qu’une vedette de sport ou du show business. L’Art et le Jeu dans ce qu’ils ont de plus dominant, dans leurs propensions à troubler le cœur, illuminer la destinée humaine, appartiennent à un monde à part, un univers autre que celui de la vie, un monde de spectacle.
De tout temps la politique s’est ménagée des amitiés très personnelles avec le sport, le recrutement des publicitaires sur la piste du chapiteau des jeux satisfait pleinement la discipline d’économie de marché capitaliste. Ces mariages d’intérêt encouragent le drainage des numéraires au profit tant des associations sportives que des publicistes et des médias.
Le sport est entièrement contrôlé par le capitalisme financier et subordonné à son impitoyable tyrannie.
La libéralisation de ce monde a exacerbé les délestages en sanctifiant le pouvoir de la seule cohérence budgétaire. L’exercice divertissant du sport, consacré au bien être physique et moral mais aussi tenseur de l’ordre intègre, a définitivement capitulé et abandonné son espace au sport-spectacle-business, accessoire des finances et du pouvoir des classes dominantes.
Les témoins actuels restent pantois devant des comportements si décalés des sages valeurs annoncées. A chaque réunion sportive, des entraîneurs fustigent leurs formations, des supporters rugissent et, sur tous les terrains du monde, des violences sont perpétrées en toute impunité ou presque. Ces masses sont une population à risques dont le montant dans les factures publiques gagnerait à être chiffré.
Les opérations de sensibilisation et une fermeté renforcée ne peuvent rien corriger à l’agressivité naturelle du sport. La férocité est banalisée, la violence des stades alimente la bestialité, le fanatisme, le nationalisme des tribunes. Le sport convie la foule, réunit les masses, les amoncelle pour honorer le culte martial du ballon rond ou ovale et il ne faut guère plus d’une erreur dans le show pour que l’escouade mugisse et que les supporters excités deviennent une horde assassine. Erich Fromm écrit : «La compétition sportive inflige des blessures au narcissisme l’une des sources les plus importantes de l’agressivité défensive».
Bien pire en période de crise, les extrémistes et les hooligans saisissent les enceintes sportives (ou à l’extérieur, à l’occasion d’événements sportifs) comme le domaine parfait, l’exutoire idéal de leur inimitié totale de la société, de leur chauvinisme destructeur et fréquemment de leur détresse et de leur ostracisme le plus total.
Dans la chimère générale, le sport profite d’un crédit sans faille, auprès du public, qui le protège de tout soupçon, et ne s’interroge d’ailleurs que très peu sur son sens sociopolitique. Souvenons-nous que pour se garantir de tous conflits sociaux, les Romains avaient auguré tous les avantages qu’ils sauraient retirer des jeux du cirque en tant qu’exutoire. Procurer leur «du pain et des jeux» et chacun n’en sera que plus satisfait, aujourd’hui la mondialisation et les medias ont rafraîchi ce credo. Les démocraties bourgeoises comme les gouvernements despotiques élèvent le sport en idéal car intéressés à distraire la plèbe des attentions et réflexions controversées.
Il est couramment désigné comme un élément d’intégration et d’assimilation, le principe même de l’éducation. En vérité, il livre une conception définie du monde et supporte une somme non négligeable de données politiques latentes.
Il se réclame de concepts similaires à la société libérale et utilise le même glossaire : concurrence, profit, exploit. Il aspire au contrôle de son corps afin de vaincre l’autre voire l’annihiler totalement.
Il s’est transformé, d’une manière encodée et ritualisée, en auteur du darwinisme social devenant ainsi le modèle d’une société hypostasiée où le meilleur l’emporterait.
La pensée et l’étude sont couramment appréhendées comme un projet négligeable et superflu, pourquoi vouloir s’interroger là même où ordinairement on ne recherche plus rien ni personne.
C’est un peu comme si l’on avait implicitement convenu d’un pacte selon lequel il serait vain de réfléchir, puéril de se demander.
Essentiellement si les couloirs du supermarché regorgent de produits, si les programmes du petit et grand écran sont plaisants, nous nous trouvons indubitablement tout proche si ce n’est proche du Paradis sur Terre. Dormez en paix bonnes gens, sur vos deux oreilles, et dispensez vous de toute réflexion. La grande majorité de notre monde adulte, dans notre société de consommation, ne lit plus un bon livre depuis des années, mais par contre, peut vous réciter dans un même souffle les protagonistes et programmes insignifiants de l’audiovisuel.
Lorsque l’existence humaine a abandonné toute sagesse spirituelle, lorsqu’elle n’a plus d’autre valeur que matérielle, les estimations financières, seules, parsèment nos appréciations. Le bien-être devient une valeur monétaire qui se pratique comme le reste et s’évalue à ce que l’on est à même d’avoir, d’étaler, il se réduit à l’assurance économique, l’aisance et le plaisir matériel.
Le chien est satisfait quand sa niche est bonne et que son écuelle est bien garnie chaque jour. Il reste paisible car s’il se révoltait, il flairerait la chaîne qu’il a toléré avec le joug : le blâme de la société, les injonctions de l’opinion, la contrainte des finances, les malédictions de la religion, la rigidité de la loi, le pouvoir de la police, etc… Autant demeurer imperturbable.
Pour tous les atrophiés de l’institution sociale, pour tous ceux qui ne parviendront jamais au délice de la matière, que reste-t-il ? Existe-t-il d’autres débouchés que la marginalité ? L’échappée nihiliste dans la contre-culture ? Le sarcasme révolté ? Le désordre et la destruction ? La drogue et la criminalité ?
Quand la vie ne trouve plus de raison de vivre, que celle d’une survie sans devenir et sans lendemain, faut il se laisser consumer par le dégoût et emporter les autres dans sa chute ? Ôter l’arme du râtelier et ouvrir le feu au hasard dans la rue ?
Le vide spirituel environnant est absorbant, comme la déglutition du lavabo dont parle Sartre pour signaler la complicité. Absorbant, désolant et démoralisant. D’autant plus qu’économiquement, il est dans l’intérêt du marché qu’il se poursuive, car il y gagne énormément. Quand on est perdu, on croit à tout ce qui pourra nous soulager, on accorde un crédit illimité à n’importe quelle illusion, n’importe quel artifice publicitaire. Moins l’existence a de raison d’être, plus elle consomme.
Dans un univers où la foi et la confiance en un idéal ont été corrompues, ne soyons pas surpris que l’agressivité soit en perpétuel renouveau, car elle n’est en vérité que l’expression d’une insatisfaction dans laquelle l’existence se considère prisonnière. Nous nous trouvons dans un espace où la colère et la rage endiguées n’espèrent qu’une rédemption de l’homme par l’homme.
Nulle fureur doctrinale ou combattante mais un cri de douleur et d’épuisement.
Dans son for intérieur ce que l’existence recherche c’est d’être précisément tangible au travers de ses nombreuses capacités si singulières. Elle aspire à un total épanouissement de ses propres facultés, une œuvre responsable d’elle-même. C’est justement la fonction des valeurs spirituelles que d’affranchir la nature de soi par soi même. C’est seulement dans ses valeurs là qu’un rapport responsable, entre le soi et la vie, se bâtit.
Les naïfs remarquent un beau jour, après avoir encensé le sport, que le rêve sportif ne coïncide point avec la réalité : dopage, falsification, brutalité.
Il est vrai, pour quelle raison le sport serait-il différent des tares que la société véhicule et l’athlète l’archétype de l’éthique ?
L’exercice sportif est une facette des relations collectives et financières qui ne bénéficient plus d’aucune différence.
Nulle zone franche dans la société libérale et le sport n’y échappe guère. Ce serait absurde de dénoncer le seul sportif pas plus qu’il ne faille le défendre. La culpabilité se repartit entre les publicistes qui drainent d’abondants bénéfices grâce à leur soutien, les patrons de clubs qui lorgnent ailleurs en souhaitant que tous agissent ainsi, les journalistes qui s’enivrent béatement face à la performance et des spectateurs qui désirent encore et toujours plus, oublier leur quotidien.