Les mots me fascinent par Rony Akrich

by Rony Akrich
Les mots me fascinent par Rony Akrich

Ce ne sont pas les mots des autres, ceux que l’on achète ou ceux que l’on répète mécaniquement. Ce sont les miens, ceux qui m’envahissent doucement comme une fièvre, qui m’empêchent de m’endormir et que je poursuis dans les profondeurs de mon âme. J’aime les mots, car ils me dévoilent, m’accueillent et me soutiennent lorsque tout, autour de moi, s’effondre. Ils ne servent pas seulement d’ornements, mais sont devenus mes alliés, mes témoins et mes cicatrices qui racontent mon histoire. Ils expriment ma colère et ma douceur, mon silence et ma douleur. Les mots constituent la substance même de mon identité. Maurice Blanchot disait que c’est lorsque la parole s’éteint qu’on commence à écrire. En effet, lorsque la voix est étouffée, les mots écrits peuvent surgir pour exprimer ce qui ne peut être dit à haute voix. Les lettres s’insèrent dans ces interstices, remplissant ce gouffre de silence et y insufflant une sorte de mélodie. Écrire, c’est non seulement trouver une idée, mais plutôt permettre qu’une idée émerge, c’est plutôt permettre à quelque chose de se manifester, c’est s’abandonner à laisser les mots émerger en soi. Ce ne sont pas les mots qui me servent, ce sont eux qui me possèdent et, dans cette cohabitation, je trouve refuge. Emmanuel Levinas évoque la responsabilité infinie que nous avons envers autrui. Je pense que cette responsabilité commence également par les mots, ces mots: sont une forme de réponse, ils sont un visage. L’écriture possède une forme de vulnérabilité, c’est une exposition volontaire, parfois douloureuse, mais essentielle. Chaque mot extrait du chaos intérieur est une victoire sur l’oubli, la dispersion et la mort lente du non-dit. Roland Barthes affirmait que,  l’émotion échappe au code. C’est précisément cela que je cherche : cette part impondérable, cette trace de vie qui ne peut être capturée, écrire pour donner vie à l’inexprimable, pour mettre en lumière l’invisible. Je n’écris pas pour la rhétorique ou la beauté du langage, mais uniquement pour exprimer ma propre vérité. Je suis le témoin vivant de ce besoin d’écrire, né, peut être, bien avant que je ne sache écrire. Né dans l’exil, dans l’absence, dans le fracas d’un départ précipité, dans les silences d’une enfance perturbée, les mots sont venus combler ce vide. Ils m’ont tendu la main, comme les écritures peuvent parfois offrir une lueur de réconfort à ceux qui errent encore dans l’obscurité. Hannah Arendt assurait que, le récit est la manière dont nous donnons un sens au monde. Ainsi, j’ai raconté mes pensées, j’ai tracé des chemins, j’ai érigé un refuge de mots lorsque le toit s’est effondré au-dessus de ma tête.

J’ai toujours été convaincu que les mots peuvent être incendiaires, que l’on peut écrire comme on crie, comme on accuse. Les prophètes n’étaient pas neutres : ils avaient une idéologie intime, une vision du monde qui les consumaient, ainsi, je porte mes écrits, comme d’autres portent leur foi. Pour ma part, lorsque Nietzsche exprimait sa colère, il frappait sur son clavier, non pour détruire, mais pour mettre à l’épreuve nos statues. L’écriture, c’est également dire « non » aux mensonges, je ne cherche pas à flatter ou à adoucir la vérité, j’écris pour réveiller les gens, c’est une lutte sans merci. Les souvenirs d’enfance les plus douloureux ne s’estompent jamais, ils se transforment, mais ils ressurgissent toujours, comme une ombre fidèle, au détour d’un chemin. Je me souviens du meurtre que j’ai vu quand j’étais enfant. Je me souviens de l’aéroport, de l’absence de mes parents, du départ avec ma grand-mère vers un pays inconnu. Je me souviens du choc de la voiture, du corps écrasé, du cœur qui, des années plus tard, me trahira trois fois de suite. Pourtant, à chaque fois, une main, une science, un miracle me rattrape. Paul Ricœur nous disait que l’homme est cet être qui peut se raconter, c’est grâce au récit que j’ai pu remettre en ordre les morceaux épars de ma vie. Le cœur reprend son rythme. Il emporte avec lui des mots, longtemps dispersés, hésitants, mais aussi blessés. Finalement, ils se rassemblent et s’alignent. Mes écrits sont similaires à une partition de musique que l’on pensait perdue, mais que la vie a miraculeusement récupérée, ce sont maintenant des symphonies, tantôt pastorales, tantôt fantastiques, mais toujours authentiques et personnelles. Chacun peut y trouver ce qu’il souhaite : une complainte ou une louange, une marche funèbre ou une promesse de lumière.

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