LES SALONS DE LA SOLIDARITÉ

by Rony Akrich
LES SALONS DE LA SOLIDARITÉ

La guerre civile qui déchira l’Espagne du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939 s’est singularisée par un phénomène remarquable, caractérisé par un mouvement migratoire hors du commun, qui conduisit plusieurs dizaines de milliers d’étrangers, hommes et femmes, (non espagnols!!) vers la péninsule Ibérique pour prendre part aux combats. Une véritable force expéditionnaire de la solidarité internationale avec l’Espagne antifasciste!!

La solidarité est l’idée et la pratique qui ont façonné de manière indélébile le monde moderne. Pourtant, c’est quelque chose dont nous ne discutons pas, que nous n’étudions pas assez.

Les étagères des bibliothèques sont remplies de livres sur les idéaux…. Liberté, égalité, justice et démocratie.

Solidarité? Pas nécessairement!

La solidarité est la force, l’engagement, la mobilisation concrète et réelle, non pas de manifestations et de slogans vides de sens. Elle a vaincu les totalitarismes du 20e siècle !

Elle a obtenu le suffrage universel !

Elle a gagné la journée de travail de huit heures !

Elle a rendu viable l’État-providence moderne !

Elle a consacré les droits des personnes handicapées, et bien plus encore !….

La solidarité s’est étendue à travers le monde, reliant les abolitionnistes du XIXe siècle, les mouvements d’indépendance nationale du XXe et les militants luttant pour la justice climatique au XXIe siècle.

Elle est le lien entre les femmes, les travailleurs et les étudiants qui luttent aujourd’hui pour leurs droits.

La vraie solidarité implique de s’engager corps et biens.

Elle nomme les actions des groupes exploités et marginalisés alors qu’ils se mobilisent pour construire le pouvoir du devenir : le sionisme politique, activiste et réalisateur en sont un exemple probant. L’État d’Israël, ce rêve est devenu réalité grâce aux sacrifices solidaires d’hommes et de femmes.

La vraie solidarité ne peut se faire dans les salons bourgeois de l’étranger, elle exige une participation probante et prête au sacrifice suprême.

Elle n’émerge pas spontanément, mais doit être consciemment organisée.

Considérez l’idée du « travailleur » et de la « classe ouvrière ». Au début de la révolution industrielle, les gens se considéraient individuellement comme des dessinateurs, des boulangers, des tailleurs ou des charpentiers ayant peu de choses en commun.

De la même manière, les militants ont travaillé pendant des années pour forger une conscience de la justice pour les personnes handicapées. Au départ, il n’était pas évident pour les personnes ayant des infirmités et des capacités différentes de s’unir pour revendiquer leurs droits. Les personnes défavorisées, se reconnaissant comme faisant partie d’un nouveau « Nous », plus grand, ont nécessité un acte d’imagination radical et le travail acharné d’organisateurs dévoués.

Toutefois, la solidarité ne consiste pas seulement à aider les gens à se forger de nouvelles identités autour de leurs expériences communes. Elle crée également des ponts entre des personnes issues d’horizons différents et occupant des postes différents. Elle implique souvent des personnes qui, loin d’être elles-mêmes la cible directe de l’oppression, choisissent néanmoins de se joindre à la lutte pour plus de justice, de valeurs et de vertus.

Pensez aux abolitionnistes blancs qui ont risqué leur vie et leur réputation pour s’opposer à l’esclavage : l’insurgé John Brown, les sœurs Sarah et Angelina Grimké, qui se sont rebellées contre leur père propriétaire de plantations, ou Friedrich Engels, issu d’une famille d’industrielles, utilisant sa richesse pour financer les activités de son ami Karl Marx et soutenir l’agitation de la classe ouvrière

Ce n’est pas seulement l’altruisme ou la compassion qui incite les gens à agir dans ces cas-là, mais la reconnaissance du fait que leur propre libération est intimement liée à celle des autres.

Comme l’a dit Eugène Debs en 1918 : « Tant qu’il y a une classe inférieure, j’en fais partie, et tant qu’il y a un élément criminel, j’en fais partie, et tant qu’il y a une âme en prison, je ne suis pas libre ».

Je voudrais dire aux Juifs : sachez que la violence antisémite est diabolique, pour vous aussi, nos éprouvés solidaires diasporiques ! Un juif sympathisant, allons donc, je n’en ai nulle envie!

Je voudrais moins de sympathie et plus d’engagement, de risque et de sacrifice pour éradiquer la suprématie du mal et du mensonge, je voudrais un allié, fiable, vrai, fidèle et, comme nous, empli d’abnégation!

À l’heure actuelle, notre société regorge de diverses choses ressemblant à de la solidarité, mais qui sont loin d’être réelles. Les appels à la bienveillance, à l’altruisme, à la déférence ou à l’« alliance » sont répandus et nous invitent à faire preuve d’empathie et de gentillesse, mais ils placent tous la responsabilité sur l’émotion individuelle au lieu d’un engagement collectif plus large, plus appelé et mobilisé, sur l’activation de la fraternité et de la responsabilité, un sentiment d’implication et de destin partagés.

De même, sous les apparences vertueuses de la charité et de la philanthropie, les riches et les puissants peuvent accorder de la bonté d’en haut, sans se sentir impliqués dans les systèmes qui produisent en premier lieu, la pauvreté, l’oppression et la dégradation de l’environnement – ces mêmes systèmes générant, justement, leur propre richesse et leur pouvoir.

Les entreprises ont appris à jouer à ce jeu de manière experte! Qu’elles soient bien intentionnées ou cyniques, de telles actions sont loin de créer le changement social, révolutionnaire, dont nous aurions besoin et celles-ci le compromettent trop souvent.

Pour surmonter les menaces imminentes de l’antisémitisme structurel appelant à la disparition d’Israël, il faudrait plus que des postures de solidarité auto satisfaite. Une société juste et saine exige de ses membres qu’ils prennent des risques et fassent preuve de loyauté les uns envers les autres.

La solidarité ne consiste donc pas seulement à soutenir le peuple d’Israël, depuis les feutres de son confort distant, mais de plus en plus précaire à n’en plus douter.

Ce n’est pas la solidarité pour la solidarité !

Il s’agit plutôt d’édifier un pouvoir prometteur de devenir, à même de lutter contre l’islamisme hégémonique, obscurantiste.

Il nous faut édifier un « Nous » plus grand, assez grand pour tenir tête aux fanatiques toxiques et aux totalitaires qui font tout pour gagner la bataille civilisationnelle en détruisent nos identités.

Une seule façon de surmonter ce programme antisémite, réactionnaire et malveillant : construire une solidarité partant de la base, c’est-à-dire, des masses populaires en Israël et de tous ceux volontaires pour les rejoindre.

La solidarité implique de dépasser nos différences, de reconnaître que nous sommes tous connectés (même si nous ne sommes pas exactement les mêmes), d’impliquer autant de personnes que possible dans notre projet hébraïque.

Le philosophe Alexandre Jollien déclare : « L’étymologie du mot nous renseigne. La solidarité, c’est ce qui nous rend solides, ensemble. C’est la compréhension intime de l’interdépendance de tout être. On ne saurait vivre heureux seul, dans son coin, totalement retranché des autres. »

Vous n’avez pas besoin d’être moi pour pouvoir nous battre les uns aux côtés des autres.

Je n’ai pas besoin d’être vous pour reconnaître que nos guerres sont les mêmes. Nous devons, nous-mêmes, dans un avenir qui puisse nous inclure les uns les autres, travailler à cet avenir avec les forces particulières de nos identités individuelles. Pour ce faire, nous devons nous permettre mutuellement nos différences tout en reconnaissant notre similitude !

Ceux des brigades internationales etaient des convaincus, des sincères, des braves au sens noble du mot. Ils sont de cette sorte d’hommes si rare et si précieuse : ceux résolus à mettre leurs actes dans l’obéissance de leurs choix, c’est-à-dire à payer le prix. Ils ne calculent pas : ils croient. Ils sont venus pour vaincre l’horreur. Ils sont généreux, même quand ils l’ignorent… (inspiré de Jacques Delperrié de Bayac, Les Brigades internationales, Fayard, Paris, 1968, pp. 84 et 85.)

Rony Akrich

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