L’Ignorance de la Pensée Conformiste par Rony Akrich

by Rony Akrich
L’Ignorance de la Pensée Conformiste par Rony Akrich

J’en ai assez, oui, je suis écoeuré par tous ces personnages vils, misérables et sans valeur qui polluent notre espace public. Des figures creuses, sans épaisseur ni colonne vertébrale, qui déversent leurs mots comme des déchets, empoisonnent tout débat, étouffent toute pensée vivante. Ils prétendent réfléchir, mais n’ont pour tout bagage que des clichés. Ils s’imaginent éclairés, mais ils servent la médiocrité. Ils se parent de morale, mais pratiquent une violence moralisatrice. Perroquets sans mémoire, ils répètent des slogans sans comprendre, ils récitent des positions sans aucune responsabilité. Ils confondent purification idéologique et pensée critique, effacement et examen de conscience. Ils se croient subversifs, mais ne sont que des soldats au service du conformisme, esclaves non d’un pouvoir, mais de la peur de la pensée libre.

Je n’écris pas sur ordre d’aucun camp, je ne récite aucun catéchisme partisan ; mon engagement va d’abord à l’esprit, non aux étiquettes. Si la justesse d’une idée, la noblesse d’un acte ou la lucidité d’une stratégie se trouvent à droite ou à gauche, chez un conservateur ou un progressiste, je le reconnais, je le dis, je le soutiens. Mais à notre époque, cette attitude élémentaire d’intégrité intellectuelle est devenue suspecte. Le monde s’est réfugié dans une paresse manichéenne ; il ne cherche plus la vérité, il traque les traîtres. Il a cessé de juger les actes, pour juger les appartenances. Un mot suffit à déclencher l’insulte, une opinion à provoquer l’excommunication. Ceux qui devraient être nos partenaires de dialogue sont devenus des procureurs ; ceux qui prêchent la tolérance pratiquent l’exclusion ; ceux qui se vantent d’aimer la liberté pourchassent toute pensée qui s’écarte de leurs dogmes. Ce n’est plus la cohérence qui garantit la légitimité, mais l’alignement. On n’exige plus de toi que tu penses, on exige que tu obéisses. Il n’existe plus de droit à la nuance, seulement la permission de se fondre dans la foule qui hurle.

Platon nous avait pourtant mis en garde contre la confusion entre opinion (doxa) et vérité (aletheia), entre apparence et essence. Tout jugement répété n’est pas forcément juste, tout public qui applaudit n’est pas forcément pensant. Dans La République, il avertit : une démocratie qui ne cultive pas la capacité de discerner finit engloutie par la tyrannie de l’émotion. Et c’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui.

Ma tâche n’est pas d’agiter des drapeaux ; ma tâche est de penser philosophiquement. Et cela exige deux composantes presque devenues subversives : la généalogie et la perspective. Comprendre d’où viennent les idées, les actes, les tempêtes collectives ; voir comment elles s’enracinent dans l’histoire, la mémoire et la tragédie humaine. Penser philosophiquement, c’est refuser l’instinct immédiat, repousser la ferveur du moment, ne pas confondre réaction et vérité. Nietzsche l’avait dit : qui ignore la généalogie de ses idées est condamné à en être l’esclave.

Si j’ai récemment soutenu certaines positions de M. Netanyahou, ce n’est ni par aveuglement ni par culte de la personnalité. Mais lorsqu’une menace existentielle se dresse devant nous, quand les démocraties occidentales s’effondrent moralement, quand la haine nous encercle, il me semble qu’il a agi avec justesse, qu’il a tenu bon, et qu’il n’a pas cédé. Mais il suffit d’un soutien ponctuel, mesuré, raisonné, pour que l’on te stigmatise comme « bibiste ». Un seul mot, et la marque d’infamie te colle à la peau. Pour certains, c’est un destin éternel, les nuances ne comptent plus. Les critiques que j’ai formulées dans le passé, ou celles que j’exprimerai à l’avenir, s’évaporent ; un mot, un geste, un accord, et te voilà condamné à perpétuité au camp du mal. Et dans ce tribunal grotesque, il n’y a pas de place pour la défense.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus le haut-parleur strident et creux de cette pensée uniforme, monochrome, sans racines ni profondeur. Ils propagent des slogans comme des pierres lancées : sans fondement, sans discernement, sans compréhension des complexités. Ils n’ont aucune connaissance de l’histoire, de la stratégie, de la profondeur tragique des événements. Et pourtant, ils continuent de bavarder, sans honte, leurs verdicts tout faits. Incapables de formuler un texte, d’élaborer un argument, ou de proposer une perspective. Ils préfèrent l’onomatopée, parce que c’est plus commode pour l’ignorant, plus confortable pour l’intelligence limitée de l’ère numérique. Il est plus facile de dire « fasciste », « bibiste », « traître » ou « collabo » que de démontrer quoi que ce soit. Mais un slogan n’est pas une pensée, un tweet n’est pas un jugement, une rage numérique n’est pas une vérité : c’est la dictature du réflexe, la tyrannie de l’instant.

Et j’en ai assez, oui, assez de tous ces imbéciles qui se proclament gardiens de la vérité rédemptrice. De leur voix, de leurs écrits, de leurs réactions, ne sort que du vide, de l’ignorance et de la bêtise. Ils récitent leur unique pensée comme une doctrine, répètent leurs anathèmes comme une prière vide, s’indignent mécaniquement, satisfaits d’eux-mêmes, persuadés d’être le camp de la justice. Mais en réalité, ils sont les messagers d’un nouveau totalitarisme : sans uniforme, sans bottes, sans parti, mais avec une petite clique, un écran, et une absence totale de pensée. Hannah Arendt l’avait pressenti : le totalitarisme moderne n’a pas besoin d’une idéologie stable, il lui suffit d’un conformisme de masse, d’une paralysie intérieure, et de la disparition du jugement personnel.

Cette logique binaire, hurlante, est l’essence même des régimes tyranniques, des religions fondamentalistes, et désormais aussi de sociétés qui se croient éclairées. Refuser de haïr sur commande, c’est trahir ; ne pas applaudir au moment voulu, c’est vendre son âme ; ne pas détester sans relâche, c’est collaborer. Et moi, je le dis : je préfère être accusé de penser faux, que de renoncer à penser tout court. Je préfère le risque de la solitude à la trahison de la lucidité. La meute numérique ne s’intéresse pas à la vérité, elle cherche des coupables. Et dans ce triste cirque, ce sont les plus courts, les plus bruyants et les plus creux qui reçoivent les applaudissements.

Nous devons rétablir un droit fondamental : le droit de juger librement. Dire : « sur ce point, je suis d’accord », et sur un autre : « je m’y oppose ». Le droit de reconnaître la justesse chez un adversaire, et de relever la faute chez un allié. Ce droit n’est pas secondaire, il est une condition même de l’existence d’une démocratie digne de ce nom. Nous avons transformé les citoyens en soldats d’un camp, nous avons assassiné la pensée, exigé l’alignement permanent, et détruit la capacité de juger.

Je ne siège ni à droite, ni à gauche, ni au centre. Je siège du côté de la vérité, du côté de la réalité, du côté du sens. Et lorsque ceux-ci se trouvent dans le camp honni, je ne détourne pas le regard, je marche vers eux. Je ne crains pas qu’on me traite de « bibiste », de « traître », de « réactionnaire » ou « d’intellectuel égaré ». Je ne crains pas les chiens de garde de la pensée conformiste. Je ne crains qu’une seule chose : que nous devenions des hommes incapables de penser autrement qu’en blocs, incapables de reconnaître la vérité simplement parce qu’elle sortirait de la bouche d’un ennemi. Et qu’au final, nous perdions à jamais la capacité de faire alliance avec la vérité.

Ce manifeste n’est pas une défense de Netanyahou ; c’est une défense du droit de ne pas mentir. Et par les temps d’inquisition douce que nous traversons, c’est peut-être là le dernier acte de courage qu’il nous reste.

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