L’Israélien mutin? Allons donc! Par Rony Akrich

by Rony Akrich
L’Israélien mutin? Allons donc! Par Rony Akrich

Lorsque des signes de rébellion populaire apparaissent, le désir de liberté redevient un besoin primaire, et la demande de direction un désir secondaire. Quand on entend le mot « démocratie », on pense immédiatement à la liberté, à la possibilité de vivre sans contraintes. Que ce soit la liberté d’expression, l’exercice sans restriction du droit de vote ou la liberté de conscience, les libertés nous donnent la capacité de choisir et de réaliser notre volonté. Ils nous encouragent à ne pas rester statiques dans notre existence et à avancer. Nous détenons donc le pouvoir, non seulement de nous contrôler nous-mêmes, mais aussi de créer la société dans laquelle nous voulons vivre.
Mais est-ce vraiment le cas ? Étymologiquement, le mot « démocratie » vient du grec « demos » (peuple) et « kratos » (pouvoir). Le pouvoir du peuple. En pratique, une majorité se dégage : de ceux qui vont voter, de ceux qui se disent plus puissants que les dirigeants de la scène politique, sociale, culturelle, etc., voire de ceux qui sont au pouvoir. Mais ce n’est pas celui qui crie le plus fort qui est entendu. C’est lui qui a le pouvoir, qui parfois n’a même pas besoin de parler pour être entendu.
Les Israéliens manifestent dans les rues depuis des semaines contre le régime de droite et la religion. Benjamin Netanyahu, le Premier ministre d’Israël, estime dans ce contexte que « le public n’a aucune légitimité face au peuple qui exprime sa souveraineté à travers ses représentants élus. La tourmente ne vient pas à bout des représentants élus du peuple. » En d’autres termes, une fois élus, les dirigeants politiques auront leur mot à dire sur la manière dont la société ou le pays est dirigé. Dans un certain sens, cela est cohérent avec la pensée de Platon, qui était un critique de la démocratie en tant que méthode de gouvernement, car il affirmait que le peuple n’avait pas les compétences nécessaires pour gouverner. Selon lui, ils avaient besoin de gens sages et incorruptibles : des « rois philosophes ». Pour Platon, le peuple est poussé par le désir de liberté, mais trop de liberté et de désir conduisent à l’anarchie. Et c’est là la faiblesse de la démocratie, affirme-t-il. Cela nous mènera au chaos et finalement au pouvoir des tyrans qui poursuivront leurs propres intérêts.
Mais le peuple n’a-t-il son mot à dire que lorsqu’il vote ? Est-ce que cela devient superflu une fois qu’il a choisi ses représentants ? D’autant plus que ces représentants sont généralement élus pour un certain nombre d’années. Le vote implique-t-il que, pendant toute cette période, nous devrions avoir une confiance totale dans leurs décisions, sans avoir le droit de nous rebeller ?
Souvent, ce n’est pas l’entreprise elle-même qui faiblit. Tant que la société respecte les droits et les libertés de chacun, elle est démocratique. Le problème se pose lorsque la démocratie en tant que forme de gouvernement ne correspond plus à son objectif initial, qui est de répondre aux besoins des citoyens du pays. Récemment, dans un nombre croissant de pays qui se considèrent comme démocratiques, les rôles se sont inversés. Au lieu que le peuple contrôle ses représentants – comme cela devrait être le cas dans une véritable démocratie – ce sont les élus qui contrôlent le peuple.
Nous pouvons constater qu’on ne peut pas soumettre systématiquement toutes les décisions prises par les gouvernements à l’approbation du peuple, car, ce faisant, le gouvernement se trouverait altéré dans son fonctionnement. Et souvent, en outre, la cause des représentants politiques s’accroît, surtout lorsqu’ils sont mieux informés. Comme le disait Alexis de Tocqueville, les hommes évoluent entre deux « passions ennemies », à savoir « le besoin d’être dirigé et le désir de rester libre ». Parfois, elle s’accompagne donc de sacrifice, mais aussi de satisfactions futures.
C’est seulement à ces moments-là que certains élus prennent conscience de l’existence des autres, du peuple, avec ses plaintes, ses besoins et ses manquements. Ou, comme le disait Albert Camus, « c’est par la rébellion que nous existons ». Dans toutes les questions fondamentales qui touchent à notre liberté, qu’elles soient économiques, militaires ou culturelles, nous devons nous assurer que le peuple ne soit pas ignoré dans les décisions qui le concernent directement. Alors, devrions-nous nous rebeller ? Non, mais la rébellion, sans recourir à la violence, est parfois nécessaire à la survie de la démocratie, qui exprime la volonté du peuple qui l’a élue et seulement la volonté du peuple libre de son pays.
L’un des principaux objectifs de Camus dans son essai, « l’homme révolté », est de distinguer la triade révolte, rébellion et révolution, dans une structure progressive d’escalade, tant sur le plan métaphysique qu’historique. Plus on avance dans cette voie, plus les questions de meurtre, de moralité et de pouvoir deviennent importantes. La révolution est-elle possible sans l’accomplissement par des moyens meurtriers ? La révolution peut-elle commencer sans l’aspiration inconsciente à devenir Dieu ? Quel est le but ultime de la rébellion, quel est son but et que se passe-t-il lorsqu’aucun régime protéiforme ne remplace celui qu’elle s’efforce de renverser? La révolte est-elle autre chose qu’une volonté de puissance pathologique, une partie de la lutte perpétuelle pour maîtriser le destin, pour atteindre une « unité » utopique, ou cet instinct humain contient-il quelque chose de métaphysiquement transcendant ? Telles sont les questions que Camus explore dans son ouvrage.
On peut dire que Sisyphe est en révolte. Son absurde lutte individuelle, contrainte, pierre à la main, pour gravir et franchir sa colline est à la fois un triomphe sur sa terrible condition et un accomplissement absolu des limites de son pouvoir. Il n’y a pas d’unité, car il n’est impliqué avec personne d’autre. La totalité lui échappe, car il est totalement impuissant à changer de position. Pour Sisyphe, comme pour tout homme solitaire au monde, la seule récompense de leur conquête finale, spirituellement sublime, est la continuité.
En résumé, la rébellion, en son essence même, est le refus qu’on nous traite comme des objets, un défi métaphysique à être considérés comme un moyen pour parvenir à une fin autre que soi-même. La rébellion est une affirmation absolue de son humanité. C’est un appel puissant à chaque être humain, consciencieusement reconnu comme la fin en soi de Kant et plus jamais comme un simple moyen ; par exemple : les esclaves se rebellent contre leurs maîtres pour leur liberté.
La révolution est plus démiurgique et se donne une dimension divine en instaurant un ordre de choses nouveau et meilleur. La révolution introduit un idéal alternatif. Elle consiste en un remplacement immédiat des dirigeants renversés. Par exemple, le prolétariat exploité s’unit contre ses oppresseurs, la noblesse, et tente ensuite de construire une alternative à la monarchie/au capitalisme, sous la forme de la république/du communisme. L’objectif est de créer des conditions plus justes pour l’ensemble de la société. Contrairement au révolté solitaire, les mondes du rebelle et du révolutionnaire peuvent se transformer matériellement par l’action collective. L’exigence de la rébellion est l’unité ; l’exigence de la révolution historique est la totalité.» En recherchant l’unité, la rébellion est créatrice, car elle tente de créer une réconciliation universelle au sein de l’humanité, par-delà les frontières du pouvoir. En imposant une volonté absolue — c’est-à-dire la totalité —, la révolution, généralement issue d’une rébellion, devient nihiliste. Elle se concentre alors sur la destruction continue de ses prédécesseurs, et toutes les valeurs censées justifier le « pourquoi » de cette destruction se perdent dans la quête du pouvoir, du contrôle, de la divinité.
L’interprétation [de Marx] de l’histoire est que: « privée de pouvoir, elle s’exprime par la violence révolutionnaire ; au plus fort de sa puissance, elle risquait de devenir une violence légale – autrement dit, la terreur et le procès. »

Related Videos