Logorrhées intempestives, fruits d’un vide intellectuel. Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Logorrhées intempestives, fruits d’un vide intellectuel. Par Rony Akrich

Assez de cette société qui récompense l’incompétence, promeut la bêtise, subventionne la confusion et célèbre l’auto-dissolution.

Nous avons besoin d’élite — la vraie, celle du cœur et de l’esprit.

On ne peut imaginer la liberté sans culture, sans réflexion, sans fondements. Cependant, notre époque considère qu’il est permis de penser sans lire, de juger sans apprendre et de parler sans savoir. Elle traite même la connaissance avec suspicion, tout en laissant libre cours à l’ignorance. Les opinions sans fondement tentent de s’élever au rang de vérité. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui des proportions alarmantes, notamment à l’ère du numérique. Nous sommes inondés de signes, d’images et de sons, mais rarement de sens. Le flot verbal de l’époque actuelle, fruit du vide intellectuel, est trompeur : il donne l’illusion d’une réflexion profonde, tout en cachant l’abandon du travail mondain. Dès le Ve siècle avant J.-C., Socrate mettait en garde contre les sophistes, qui colportaient des discours vides sans se soucier de la vérité.

La célèbre phrase de Socrate, « L’homme doit examiner sa propre existence pour voir si elle a une valeur », se trouve dans l’Apologie de Socrate de Platon. Mais qui prend encore le temps d’analyser sa vie, au lieu de la vivre superficiellement ? Dans ce dialogue de son procès, Socrate souligne la nécessité de l’introspection et de la réflexion sur les autres afin de mener une existence pleine de sens. Il soutient que renoncer à l’introspection en évitant de critiquer nos actions, nos croyances les plus profondes et nos priorités, c’est nous enfermer dans un vide existentiel. Il encourage donc chaque personne à cultiver cet esprit critique afin de donner du sens à son expérience terrestre. Aujourd’hui, la culture générale, autrefois considérée comme l’art de la connexion, de la perspective et de l’enracinement, est réduite à une simple décoration destinée aux troisième et quatrième âges. Mais c’était là le fondement des Lumières : Voltaire, Rousseau ou même Kant n’auraient pu s’exprimer sans une connaissance approfondie des textes classiques. Dans son célèbre essai « Qu’est-ce que les Lumières ? », Emmanuel Kant propose l’explication suivante : les Lumières sont un mouvement qui permet à une personne d’échapper à son état de dépendance intellectuelle, qu’elle a elle-même créé. Cette dépendance, appelée « minorité », se caractérise par l’incapacité de penser par soi-même sans l’aide d’autrui. Cette incapacité ne provient pas d’un déficit intellectuel, mais d’un manque de volonté et de courage pour penser de manière indépendante. « Sapere aude » (Horace, Lettres, I, II, IV) « Ose savoir ! » C’est le mot clé des lumières. Ce courage de penser par soi-même demande du temps, de la profondeur et de la rigueur. Cela est incompatible avec l’immédiateté des écrans. Dans le livre « Le Guide des égarés », Maïmonide souligne la nécessité d’un apprentissage approfondi pour atteindre la véritable connaissance. Il souligne que la science ne peut pas être transmise comme un bien matériel, mais nécessite un effort personnel et un progrès systématique. Cette approche comprend donc une étude préalable de disciplines telles que la logique, les mathématiques et la physique, dans le but d’aborder ensuite la métaphysique. Cette méthode met l’accent sur l’importance d’une solide culture générale et d’une pensée structurée afin d’éviter les discours vides et superficiels. La philosophe Hannah Arendt, témoin de l’extrémisme totalitaire du XXe siècle, a mis en garde contre le même danger. Selon elle, l’idéologie vise à saper directement la capacité de réflexion en rendant les gens incapables de penser par eux-mêmes. Elle a soutenu que le « mal banal » réussit lorsque les gens ont perdu le contact avec les autres êtres humains ainsi qu’avec la réalité qui les entoure. En même temps, ils perdent leur capacité à expérimenter et à penser. Penser c’est résister, non pas crier ou suivre, mais examiner, considérer, construire. Car Arendt, comme Levinas, croit que la vraie pensée naît de la responsabilité. Dans son livre « Éthique et Infini », Levinas écrit : « Penser, ce n’est pas contempler, c’est s’engager. C’est répondre. » Cette citation met l’accent sur une conception de la pensée qui dépasse l’observation passive et exige une implication active et une responsabilité envers autrui. Levinas rejette l’idée d’une pensée autonome comme progression de la pensée en réponse à l’appel d’autrui. D’autre part, la société des écrans ne veut pas de réponses : elle exige des réactions, elle crée des émotions, pas des questions, elle crée des clics, pas des chefs-d’œuvre. Elle réduit les humains à leurs instincts, supprime leur intimité et contribue ainsi à leur assimilation dans des foules anonymes. Confucius, dans un autre contexte, exprimait cette idée ainsi : « L’homme illustre parle peu, mais répond vite. » (Discours, 13, 27) Il est essentiel de redécouvrir cette lenteur glorifiante, de contrer le bavardage par une pensée cohérente. Il est nécessaire de lutter contre les logorrhées oiseuses par une pensée cohérente, informée et structurée, nourrie par l’héritage. De restaurer la culture générale Son rôle n’est pas celui d’un musée élitiste, mais celui d’un fondement et d’une essence communs, d’une mémoire partagée, d’une exigence de vérité. En effet, sans connaissance générale, il ne peut y avoir de pensée indépendante, et sans libre pensée, la liberté disparaît.

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