Aujourd’hui, l’étude de la Bible (Le Tana’h’: Torah, Prophètes et Hagiographes) comme matière obligatoire à l’école ne va plus de soi. La question « Pourquoi étudions-nous (la Bible) le Tana’h ? » est présente dans le discours public et impacte les jeunes élèves dans l’enseignement public et religieux (non orthodoxe).
Le moment où un élève se lève au milieu d’un cours pour demander “pourquoi étudions-nous “cette matière”” est un moment effrayant, stressant pour tout enseignant. Elle reste pour moi, et donc pour chaque enseignant, une question importante et légitime. À nous de préparer une réponse probante.
Pourquoi étudiez-vous VRAIMENT (la Bible) le Tana’h ?
Eh bien, que répondons-nous ?
Il ne fait aucun doute que son enseignement, en tant qu’esprit complexe où se combinent plusieurs disciplines des sciences humaines, incarne une grande valeur didactique.
Tout comme l’étude de la littérature, le Tana’h peut aiguiser et approfondir des compétences complexes telles que la compréhension écrite, l’explication d’un texte compliqué, l’expression d’une opinion, etc. L’étude de l’Histoire – apprendre à connaître les événements du passé à travers le Tana’h – peut donner à l’étudiant une meilleure compréhension du présent. Tout comme l’apprentissage de la langue hébraïque, il ne fait aucun doute que l’étude du Tana’h améliore les compétences linguistiques de l’étudiant et élargit son vocabulaire.
Si son enseignement dans le secteur public se résumait à une combinaison interdisciplinaire de plusieurs matières, elle n’aurait pas le droit d’exister comme matière régulière dans le système éducatif.
D’autres comme la littérature et l’histoire sont des disciplines dont la légitimité ne fait aucun doute. Elles sont enseignées dans tous les systèmes éducatifs du monde en Occident, même si on observe un déclin de leur statut et de leur importance (par rapport aux matières scientifiques, plus importantes et payantes pour l’avenir), il existe toujours un consensus pour les considérer comme des sujets méritant d’être étudiés.
En tant qu’enseignants, nous ne sommes peut-être pas obligés de répondre à cet élève, ses camarades de classe répondront déjà à son commentaire provocateur.
Diverses justifications pour enseigner cette discipline peuvent également surgir parmi les étudiants : l’une très attachée à l’aspect philosophique de la matière – elle apprécie principalement les textes traitant de théologie et de morale, et les débats qui suivent en classe.
L’autre étudiant est issu d’un foyer traditionnel. L’importance de la profession lui apparaît comme une évidence, le fondement de la religion juive, qui occupe une part cruciale de la vie quotidienne dans son foyer.
Une autre étudiante est captivée par l’Histoire de la période biblique, tandis que l’étudiant, à ses côtés, est surtout impressionné par sa beauté littéraire.
Il existe de nombreuses autres raisons pour lesquelles on peut aimer le sujet, vouloir l’étudier. Toutes ces raisons sont parfaites et probantes, mais aucune d’entre elles ne peut se suffire à elle-même. Toutes ces intelligences réunies ne justifient toujours pas l’enseignement du sujet en tant que matière indépendante et séparée.
L’éducation Biblique doit contenir une autre strate, afin d’ordonner son rang au sein du système éducatif public, le Tana’h doit prouver qu’il y a quelque chose au-delà de lui. Intuitivement, il est clair, pour chacun de nous, que l’expérience de l’étude Biblique est différente de l’expérience de l’Odyssée ou de la cité européenne au Moyen Âge. Le Tana’h est un livre pour lequel il existe une affinité personnelle dans le cœur de chacun de nous, même dans notre époque aliénée actuelle.
Je suis d’accord avec le professeur Uriel Simon qui a magnifiquement illustré comment chaque Israélien peut aimer ou détester le Tana’h, mais ne peut y rester indifférent.
Le statut de l’ouvrage, en tant que livre fondateur de la nation d’Israël, est similaire au statut des parents : on peut développer divers attachements colériques à leur égard, mais au fond on ne peut les traiter comme des étrangers.
De même, une personne originaire d’Israël peut respecter le Tana’h, l’aimer, l’écouter, ou violer sa parole, se rebeller contre lui, s’en éloigner, mais il semble qu’elle ne puisse pas traiter le Livre des livres comme un livre parmi tant d’autres.
La question de l’affinité personnelle avec le livre et la matière peut être considérée comme une question populiste déplacée. Nous ne songerions certainement pas à interroger l’étudiant sur son lien personnel avec des matières comme les mathématiques, l’Anglais, la géographie ou même l’histoire générale.
Cependant, c’est précisément cette différence entre les professions et le caractère unique de l’enseignement du Tana’h qui rend possibles cette question et la discussion approfondie qui peut suivre.
Sur la base de cette compréhension, je voudrais proposer une approche particulière du Livre qui amènera, même l’étudiant laïc, à découvrir, à examiner son affinité personnelle avec lui, et ainsi justifier l’enseignement de ce sujet dans le cadre de l’enseignement public.
Il est clair pour chacun que le Tana’h est le livre fondateur du Peuple juif, il n’est pas possible de décrire la révélation de la religion, de l’histoire ou de la culture hébraïque sans commencer par le Livre des livres. Le professeur Eliezer Schweid (professeur de pensée juive à l’Université hébraïque) souligne deux vertus bibliques qui établissent son statut particulier dans la culture juive moderne et traditionnelle:
Il est considéré comme la première source dans laquelle ont été coulés les éléments permanents et intemporels qui identifient la culture du peuple d’Israël dans son ampleur totale et à travers toutes les générations.
Il est considéré comme la principale source d’où abondent les pouvoirs créatifs uniques des peuples et à partir de laquelle ils se renouvellent à chaque génération.
La Bible sert, donc, à la fois de fondement solide sur lequel s’appuient les Juifs et de Source de vie dans laquelle ils puisent. Cependant, mon objectif n’est pas de discuter du statut de la Bible dans le monde juif.
Je voudrais, ici, me concentrer sur le Tana’h, fondement de l’identité israélienne. Il a pris de l’importance suite à la montée des mouvements juifs modernes tels que les Lumières et le Sionisme. Le point culminant du processus a été la création de l’État et l’utilisation du Tana’h comme Source essentielle pour enseigner l’idéologie nationale. Mais aujourd’hui, nous assistons à des processus postmodernes de désintégration des grandes idéologies nationales et de renoncement à tout cadre particulier s’opposant aux processus de mondialisation. La Bible ne peut plus être utilisée comme source pour justifier la plupart des éléments de l’idéologie. Si au début de l’État il était facile d’en étayer les valeurs d’agriculture et d’autosouveraineté, aujourd’hui c’est beaucoup plus difficile (jusqu’à l’impossible) d’y trouver un soutien aux valeurs de démocratie et d’humanisme occidentaux.
Même face à tous ces processus postmodernes, il est difficile d’affirmer que l’identité israélienne est en train de disparaître.
Il existe un sentiment très fort d’identité israélienne, et la culture populaire qui le reflète connaît un épanouissement créatif impressionnant.
L’identité requiert une loyauté et une solidarité fondamentales, et elle doit être fondée sur une infrastructure culturelle historique (et pas seulement religieuse) commune.
Dans la réalité complexe de la société israélienne, le Tana’h est la principale Source culturelle et historique reconnue par tous les courants, même de nos jours !
Il faut faire une distinction dans sa perception par les mouvements juifs traditionnels et modernes. Pour les mouvements traditionnels, la source de l’autorité de la Bible réside dans la révélation Divine, mais pour les mouvements juifs modernes, la source de l’autorité réside dans le peuple, c’est lui-même qui a créé le Livre et l’a transmis de génération en génération. Considérons le Tana’h comme la première et principale ressource permettant de façonner l’identité unique de la culture hébraïque moderne.
Le mouvement sioniste est inclus dans la catégorie des « mouvements juifs modernes », et l’israélisme laïc contemporain est un produit direct de ce mouvement.
Mais non des moindres, nous pouvons affirmer que le Tana’h est également la première et principale source de la culture israélienne.
Comment ?
Au quotidien, on peut citer les noms des enfants, des villes et villages, des rues, des expressions, dont beaucoup en sont directement tirés. Il faut également prendre en compte la culture populaire israélienne, comprenant d’innombrables œuvres (poétiques, littéraires, musicales, théâtrales, cinématographiques, etc.) directement ou indirectement influencées par la littérature biblique. Nous avons souvent tendance à évoquer son influence sur notre réalité quotidienne, principalement en citant des versets dans le discours politique et des idiomes bibliques dans notre langage courant, mais ce faisant, nous ignorons les conséquences bien plus étendues et significatives que le Livre des livres a sur nos vies.
Il ressort de cette analyse que la place du Tana’h est si importante, pour ne pas dire centrale, dans la culture israélienne moderne qu’il n’est pas nécessaire d’en parler ! Malheureusement, ce n’est pas ainsi que les choses se passent en réalité.
Je ne vois pas la centralité de la Bible dans l’établissement de notre culture, et le sentiment de non-pertinence crie surtout lorsqu’il s’agit de l’enseignement du sujet dans l’éducation nationale. Selon mon opinion et mon impression, celle-ci considère le Tana’h comme une source dépassée, dénuée d’importance pour la culture actuelle. Négation de sa pertinence !
Négation de la plupart des œuvres culturelles israéliennes qui s’en inspirent à un degré ou à un autre.
Le reléguer aux confins détruit toute idée sioniste, toute référence implicite à des événements ou à des personnages bibliques et, en fait, tout ouvrage écrit en Hébreu moderne, basé également, avant tout, sur le langage du Tana’h. La conclusion inévitable est que l’Israélien doit le connaître, afin d’avoir une capacité de base à comprendre et à se connecter à l’espace social et culturel dans lequel il vit.
L’idée de l’utiliser comme base de culture et d’identité n’est pas une idée innovante ou révolutionnaire, elle caractérise, en fait, une tendance qui prend de l’ampleur dans la société sioniste israélienne.
De nombreux chercheurs soulignent un retour du Tana’h à ses origines hébraïques parmi le public israélien ces dernières années.
Ce public a progressivement négligé ses origines juives, a même développé un antagonisme à leur égard suite à des identifications avec les courants extrêmes religieux.
Nous assistons, peut-être, à une renaissance culturelle, le public laïc et sioniste religieux commence à revenir prudemment au contenu hébraïque du Tana’h, après des siècles d’abandon.
Ce retour au sein de l’Hebraïsme n’a pas, pour nous, un but unilatéral, celui d’y trouver une structure pour un quotidien cultuel, une orthopraxie, mais aussi et surtout d’y puiser une essence et un sens comme Source d’une culture et d’une identité nationale à l’origine d’un probable devenir universel!