Manifeste d’insubordination contre les lecteurs fatigués! par Rony Akrich

by Rony Akrich
Manifeste d’insubordination contre les lecteurs fatigués! par Rony Akrich

Ils m’écrivent, avec le sérieux pathétique de ceux qui croient formuler une objection, que mes textes sont trop longs. Trop denses, trop exigeants, trop chargés de pensée. « Faites plus court, allez à l’essentiel. »

Comme si l’essentiel devait se conformer à la vitesse de leur pouls.

Ils ne demandent pas un texte: ils réclament une perfusion cognitive, un comprimé d’opinion à avaler sans mâcher.

Mais qu’ils le sachent : ce que je produis n’est pas du contenu, c’est de la pensée. Et la pensée ne s’adresse pas aux doigts fébriles qui scrollent, elle s’adresse à ceux qui acceptent de s’asseoir, de lire, de se laisser transpercer mot après mot.

On ne lit pas une pensée comme on lit un menu.

« Raccourcissez ! Résumez ! » Voilà le cri strident des esprits essoufflés. Ils ne veulent pas parcourir un texte, ils veulent l’absorber par injection rapide, comme on s’injecte une phrase toute faite pour briller deux minutes dans une conversation ou sous un post.

Ils ne supportent plus la marche intérieure : ils veulent la sensation immédiate, l’impact instantané.

Des lecteurs d’ascenseur mental.

À vous, les insuffisants, les inconséquents, les faiblards de l’esprit, qui réclamez des versions courtes comme on réclame des aliments prémâchés : vous ne cherchez pas la pensée, vous réclamez un slogan breveté.

Vous ne lisez pas pour comprendre, vous lisez pour avoir quelque chose à dire.

Votre soif n’est pas une soif de vérité, c’est une soif de posture.

Qu’ils se le tiennent pour dit: la pensée ne se plie pas à la fréquence respiratoire des asphyxiés du verbe.

Le résumé, c’est ce qu’on réclame quand on refuse la traversée mais qu’on exige tout de même le butin.

Ils veulent le résultat sans l’ascèse, le verdict sans l’enquête, la conclusion sans avoir fréquenté la rigueur du chemin.

Ils veulent l’apparence du savoir, pas le travail de l’intelligence.

Eh bien non. Je n’écrirai pas à la hauteur de leurs essoufflements.

Ce n’est pas au texte de se contracter, c’est au lecteur de s’élargir.

Ce n’est pas à la pensée de se déguiser en capsule, c’est à l’esprit de se redresser.

Un texte qui ne demande rien ne vaut rien.

Et puisque l’époque réclame du bruit, voici ma déflagration :

Je jure fidélité à l’écriture longue, exigeante, indocile, et que ceux qui réclament des résumés commencent par apprendre à respirer.

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