MANIFESTE: ISRAËL FACE À L’IMPARDONNABLE par Rony Akrich

by Rony Akrich
MANIFESTE: ISRAËL FACE À L’IMPARDONNABLE par Rony Akrich

Deux ans ont passé. Deux ans de douleur et de silence. Deux ans depuis le jour où l’histoire d’Israël a basculé dans l’horreur : douze cents âmes massacrées en quelques heures, une armée paralysée et aveugle qui a abandonné son peuple, femmes, enfants, vieillards, à la barbarie des assassins. Deux ans depuis que le pays qui se voulait refuge après deux millénaires d’exil a failli à son serment fondateur.

Des enfants, des parents, des familles entières ont été pris en otage à Gaza. Leurs visages, vivants ou morts, ont rempli nos écrans et nos cœurs, suscitant une mobilisation émouvante mais fragmentaire. Elle était juste et nécessaire, mais elle a masqué l’essentiel : la mobilisation totale d’un peuple pour exiger justice. Car la justice ne se limite pas à sauver nos otages: elle commande que les criminels du Hamas soient traqués et détruits, mais aussi que la lumière soit faite sur les fautes de ceux qui, à la tête du pays, de l’armée et des services de renseignement, ont failli à leur mission. Le sang versé n’appelle pas seulement la vengeance contre l’ennemi extérieur, il réclame la responsabilité des fautes intérieures. Voilà le scandale: les responsables du désastre sont toujours libres, parfois honorés, parfois retirés avec pensions dorées, quand ils auraient dû comparaître devant la nation et répondre de leurs actes. Un État fondé sur la souveraineté et la sécurité ne peut pas se reconstruire sur l’impunité et l’oubli. La tragédie du 7 octobre n’est pas seulement un massacre : elle est le miroir d’un peuple qui ne s’est pas levé comme un seul homme. Là où nous aurions dû descendre dans les rues par millions, nous sommes restés prisonniers de nos écrans, réduisant notre révolte à des larmes médiatiques. L’absence de soulèvement populaire a aggravé la blessure: un peuple qui ne réclame pas justice se condamne à voir la tragédie se répéter. Nous accusons les meurtriers du Hamas, mais aussi les dirigeants de ce pays, du Premier ministre aux chefs du Shin Bet, du Mossad et du renseignement militaire, tous coupables de n’avoir rien vu, rien fait, rien empêché.

La Bible nous enseigne qu’Israël ne peut rester en retrait quand le sang innocent est versé. Jérémie s’écriait :

« Ils prétendent guérir le désastre de mon peuple avec des paroles futiles, en disant : “Paix ! Paix !” alors qu’il n’y a point de paix. » (Jérémie 6,14).

Aujourd’hui encore, certains cherchent à « guérir à la légère », en substituant cérémonies et discours à la vérité et à la justice. Mais la blessure est trop profonde pour être recouverte de slogans. Isaïe avertissait :

« Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l’amer en doux et le doux en amer ! » (Isaïe 5,20).

Et Amos proclamait :

« Que le bon droit jaillisse comme l’eau, la justice comme un torrent qui ne tarit point ! » (Amos 5,24).

Or notre torrent s’est tari. Où sont nos prophètes aujourd’hui? Où est notre cri de vérité?

La philosophie éclaire aussi notre responsabilité. Camus rappelait que la révolte est ce « non » qui fonde un « oui » à la vie. En ne nous révoltant pas, nous avons dit oui à l’inacceptable. Levinas nous enseignait que la responsabilité est le noyau même de l’humain: répondre du visage de l’autre. Les visages de nos frères et sœurs massacrés crient vers nous. Y répondre, c’est exiger que les criminels soient jugés et que les dirigeants responsables de cette faillite soient confrontés à leurs forfaits. Aristote voyait dans la tragédie l’art de purifier par la terreur et la pitié. Mais ici, pas de catharsis: sans justice, la tragédie s’enkyste et ronge le corps collectif. Le temps ne guérit rien: il creuse. Il transforme la mémoire en pourriture si elle n’est pas animée par la vérité. Et lorsque certains parlent de pardon, souvenons-nous de Vladimir Jankélévitch, qui, dans L’Imprescriptible, affirmait que certains crimes sont absolument impardonnables. Le massacre des innocents, l’anéantissement d’un peuple, sont de ces crimes qui ne peuvent être absous ni relativisés. Pardonner l’impardonnable serait trahir deux fois les victimes: d’abord en les abandonnant à la mort, ensuite en effaçant leur mémoire dans un pardon usurpé. Ici, le refus du pardon n’est pas haine mais fidélité: fidélité aux morts, à la vérité, à la dignité d’Israël.

Nous le disons avec force : il n’y a pas de pardon tant que justice n’a pas été rendue, tant que les responsables, ennemis extérieurs comme dirigeants intérieurs, n’ont pas comparu devant la vérité. La mémoire sans justice est hypocrisie, la souveraineté sans responsabilité est illusion. Le temps nous presse. Soit nous transformons cette tragédie en sursaut, en torrent de justice, soit nous acceptons que notre indépendance ne soit plus qu’un mot vide. Israël doit se lever. Non pour commémorer seulement, mais pour juger. Non pour pleurer seulement, mais pour exiger. Non pour survivre seulement, mais pour vivre debout, fidèle à ce qu’il est: un peuple qui ne pactise ni avec l’oubli ni avec l’impunité, et qui fait de la tragédie une responsabilité vivante.

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