Naissance de la religion juive. Par Rony Akrich

by Rony Akrich
Naissance de la religion juive. Par Rony Akrich

Il n’existe pas de mot pour « judaïsme » dans la Bible hébraïque ni dans la langue hébraïque prémoderne elle-même. Le terme grec « Youdaismos », dont dérive le mot « judaïsme », a été inventé à la fin de la période biblique et était utilisé, avant l’ère moderne, presque exclusivement par les auteurs chrétiens pour décrire une religion homologue au christianisme. Au cours des derniers siècles, le judaïsme est devenu la désignation courante des traditions sacrées et des pratiques rituelles des Juifs – et, par association, bien que de manières quelque peu anachroniques, des peuples israélites (également appelés « Hébreux ») dont traite l’essentiel de la Bible hébraïque.
היהודים אשר בירושלים ובארץ יהודה לאחיהם היהודים במצרים שלום וישע רב! (מכבים ב ו, א)
Le mot biblique pour « Juifs » en hébreu, yehudim (« Yehuda/Juda »), ne commence à apparaître que dans les livres ultérieurs de la Bible hébraïque, plus particulièrement dans Esdras, Néhémie, Esther et Daniel, qui ont tous été composés pendant la période du Second Temple. Le terme « juifs » apparaît bien plus souvent dans le Nouveau Testament, beaucoup plus court, que dans toute la Bible hébraïque. Le peuple Hébreu ou d’Israël disparaît dans les nuits et les brouillards de l’histoire dramatique, faisant place à un oxymore peu relevé chez nos esprits perturbés et insuffisants: « peuple – juif » !?

L’émergence du judaïsme pose donc des problèmes complexes et controversés. Dans la mesure où le mot yehudim n’est utilisé qu’après la destruction du royaume d’Israël au nord et du royaume de Juda au sud, ainsi que l’exil babylonien qui a suivi, les « juifs » en tant qu’entité collective englobant des traditions sacrées et des pratiques rituelles distinctes doivent être considérés comme un phénomène post-exilique. Le judaïsme, tel que le terme est couramment utilisé, ferait alors référence à une culture qui a émergé de la destruction et du déplacement des anciens royaumes israélites et de leurs monarchies.
Les spécialistes identifient une variété de périodes et de forces ou d’événements sociopolitiques pour expliquer l’émergence du judaïsme. Les périodes temporelles proposées vont des périodes babylonienne et perse (4e-6e siècles avant J-C) à la période hellénistique (4e siècle avant J-C et au-delà), jusqu’aux premiers siècles du christianisme avec sa formulation progressive du concept de « religions » par lequel classer les différents peuples, y compris les juifs. Les chercheurs qui situent l’émergence du judaïsme dans les empires babylonien et perse soulignent l’expérience de la diaspora et de la soumission comme fondamentale pour sa formation, tandis que ceux qui affirment un contexte hellénistique soulignent la rencontre avec des concepts et des institutions spécifiquement grecs (et, plus tard, romains) comme étant la clé de sa formation. Quoi qu’il en soit, pratiquement toutes les formes de judaïsme qui survivent à notre époque dérivent du mouvement rabbinique, une école de pensée et de pratique juive qui s’est développée parallèlement au christianisme primitif sous la domination romaine, byzantine et sassanide.

La caractéristique la plus marquante du judaïsme émergent est peut-être la tension inhérente entre les traditions largement partagées par les anciens juifs et leurs compréhensions et interprétations très divergentes de celles-ci. Par exemple, bien que la « Torah » soit devenue un concept clé dans l’émergence du judaïsme, non seulement les Juifs ont attribué des significations diverses aux mots de leurs Écritures, mais différents groupes ont compris la Torah elle-même de diverses manières : comme un canon fermé ou ouvert ; comme une pratique incarnée ou un recueil d’allégories philosophiques, de folklore ou même de formules magiques ; comme une constitution vivante ou une loi morte, etc. Cette tension a conduit certains éminents érudits à parler de judaïsmes anciens, au pluriel, comme une façon de signifier l’absence relative de doctrine ou de credo normatif et une diversité notable de pratiques juives populaires, élitistes, sectaires et locales.
La relation entre les pharisiens et les rabbins ultérieurs n’est pas facile à définir. La sagesse conventionnelle dit que le mouvement rabbinique est né de la secte pharisaïque. Mais les écrits des rabbins ne confirment pas explicitement ce lien. Il faut un œil averti pour évaluer la nature du lien historique entre les deux groupes. Depuis le Moyen Âge, les juifs et les chrétiens ont généralement supposé que les premiers rabbins étaient des pharisiens. Cette hypothèse est appuyée par de nombreuses preuves. Comme les pharisiens, les rabbins prétendaient maintenir une tradition sacrée d’exégèse scripturale. La Mishna, le premier document de la tradition juridique rabbinique connue sous le nom de halakha, cite avec approbation des opinions choisies attribuées aux pharisiens (m. Yadayim 4:6-8). Les sages rabbiniques ultérieurs ont adopté des enseignements sur le destin, le libre arbitre et l’au-delà attribués aux pharisiens dans le Nouveau Testament et par l’historien juif contemporain Flavius Josèphe. Ils ont même rappelé des personnalités pharisaïques du premier siècle de notre ère, telles que Gamaliel et son fils Shimon, comme fondateurs de la discipline rabbinique.

Bien que le lecteur moderne puisse facilement établir ces liens, ni les auteurs de la Mishna ni leurs successeurs n’ont reconnu que leurs prédécesseurs intellectuels étaient des pharisiens. Le silence des rabbins concernant leur prétendue lignée pharisaïque n’est pas moins significatif que les preuves circonstancielles qui la soutiennent. Pourquoi les premiers partisans du mouvement rabbinique auraient-ils souhaité occulter leur lien avec les pharisiens si ce lien existait réellement?
De nombreux spécialistes contemporains du judaïsme primitif suggèrent que les premiers sages rabbiniques, bien qu’ils aient été eux-mêmes pharisiens, ne souhaitaient pas s’impliquer dans la politique volatile de leurs prédécesseurs sectaires. Les pharisiens faisaient partie des partis juifs dont l’agitation contre l’administration romaine de la Judée a contribué au déclenchement de la révolte désastreuse. Ceux qui ont survécu à la guerre se sont réinventés en tant que rabbins pour effacer l’ascendance sectaire de leur nouveau mouvement sans pour autant purger leur esprit de ce qu’ils considéraient comme ses effets culturels les plus précieux. Ils ont donc choisi de ne pas attirer l’attention sur leur ascendance pharisaïque ni de la nier.
Bien que les premiers documents sur le judaïsme rabbinique ne fassent aucune mention claire de l’héritage des pharisiens, la perception de leur continuité culturelle avec les auteurs de la Mishna est aujourd’hui maintenue par des juifs de toutes origines. Les juifs traditionalistes décrivent les pharisiens comme des conservateurs religieux et louent leurs efforts pour préserver la Torah de la négligence populaire. Les juifs libéraux soulignent la volonté des pharisiens d’enrichir la Torah écrite avec des interprétations novatrices de ses lois ; pour eux, les pharisiens sont les champions de la réforme religieuse. Par conséquent, la culture diversifiée qui a évolué à partir des pratiques et des croyances des anciens rabbins reste profondément redevable à leurs souvenirs des pharisiens, même si les racines sectaires de leur mouvement sont difficiles à retracer avec précision.

Les premiers siècles de notre ère furent une période mouvementée pour le peuple juif. La première révolte juive contre Rome (66-73 apr. J-C) vit la destruction du temple de Jérusalem en 70 apr. J-C La révolte de Bar Kokhba (132-135 apr. J-C) se termina par de nombreuses victimes et le déplacement des Juifs de Judée. Au milieu de ce bouleversement, certains intellectuels juifs s’enfuirent vers le nord de la Galilée et formèrent des cercles d’étude dans des villes comme Tibériade, Lod et Tzipori. Ces hommes comprenaient des scribes, des prêtres, des pharisiens et d’autres qui partageaient un engagement envers la Torah, l’ensemble des textes ancestraux juifs. Nous appelons ce groupe les rabbins, un mot hébreu qui signifie « mes maîtres ».
Qu’enseignaient les rabbins?
Ils se considéraient autorisés par Dieu à étendre, adapter et élaborer la Torah. Le temple ayant été détruit, les Juifs ne pouvaient plus observer de nombreuses lois liées au temple, le système sacrificiel et les fêtes de pèlerinage. En réponse à cela, les rabbins ont créé des moyens alternatifs pour accomplir ces commandements. La prière, l’étude de la Torah et la charité pouvaient offrir un substitut significatif au pèlerinage au temple. Les rituels centrés sur la maison et limités dans le temps pouvaient insuffler un sens juif dans les espaces quotidiens. Ce faisant, les rabbins ont élargi la notion de Torah pour inclure à la fois les livres canoniques de la Bible (Torah écrite) et leurs propres enseignements (Torah orale). Ils considéraient le processus d’élargissement du sens de la Torah comme l’acte religieux le plus suprême. Ils ont développé un ensemble distinctif de méthodes d’interprétation pour guider leur réflexion. L’une de ces méthodes était le midrash, un commentaire détaillé et inventif du texte biblique. Les rabbins se sont également engagés dans le raisonnement juridique technique et la narration. Ils se sont présentés comme des experts juridiques et rituels. Ils ont montré comment prier, comment payer la dîme et comment élever des familles juives. Bien que tous les Juifs ne recherchaient pas les conseils des rabbins, voisins et amis ont rapidement cherché à copier leurs rabbins locaux. Les grands enseignants rabbiniques ont attiré des étudiants et ont contribué à diffuser la valeur de l’expertise rabbinique. Au fil du temps, des maisons d’étude (batei midrash) se sont formées.

Qu’écrivaient les rabbins?
À la fin du deuxième siècle, les premiers rabbins, ou tannaim (du premier au troisième siècle), avaient produit un corpus littéraire différent de tout autre écrit contemporain et sans précédent dans les textes littéraires juifs antérieurs. La Mishna est une anthologie d’enseignements tannaïtiques compilée vers 200 de notre ère. La Mishna envisage une judéité guidée par la perception rabbinique des lois et des traditions juives ; la totalité de cet enseignement est appelée halach’a. Son observance signifiait modeler le comportement autour d’un ensemble de préceptes qui, selon les rabbins, élargissaient le véritable sens des mitsvot (commandements bibliques). Les générations ultérieures de rabbins, les amoraim (du quatrième au huitième siècle), ont utilisé la Mishna comme base de leurs propres enseignements. Ces derniers ont été rassemblés plus tard dans le « Talmud de Jérusalem » au cinquième, sixième siècle et dans le Talmud de Babylone entre le sixième siècle et le huitième. La littérature rabbinique supplémentaire comprend l’enseignement halach’ique de différentes écoles rabbiniques ainsi que des collections midrashiques basées sur les livres de la Bible hébraïque. La somme de ces lois et pratiques constitue ce que nous appelons le judaïsme rabbinique. Peu à peu, de plus en plus de Juifs ont commencé à s’aligner sur le judaïsme rabbinique jusqu’à ce qu’il devienne la base normative du judaïsme actuel – la religion juive était née.

Related Videos