Parmi les nombreux écrits composés durant ses onze ans de geôle sous le régime fasciste de Benito Mussolini, Antonio Gramsci réitère à plusieurs reprises l’aphorisme «pessimisme de la raison, optimisme de la volonté» (qu’il attribuait au romancier Romain Rolland: né à Clamecy le 29 janvier 1866 et mort à Vézelay le 30 décembre 1944, écrivain français, lauréat du prix Nobel de littérature de 1915. D’une culture forgée par la passion de l’art et de la musique et le culte des héros, il chercha sa vie durant un moyen de communion entre les hommes).
Antonio Gramsci est né le 22 janvier 1891 à Alès et mort le 27 avril 1937 à Rome, est un philosophe, écrivain et théoricien politique italien. Membre fondateur du Parti communiste italien, dont il est un temps à la tête, il est emprisonné par le régime mussolinien de 1926 à sa mort.
L’un de ses courriers explique son propos:
«Le défi de la modernité est de vivre sans illusions et sans déchanter… Je suis pessimiste à cause de l’intelligence, mais optimiste à cause de la volonté. »
Le tableau de la vie et de l’œuvre de Gramsci fait référence à cette expression avec une résonance particulière. Il souffrit d’isolement et de privation dans une prison, dont il n’avait aucun espoir de sortir. Pour Gramsci, la gauche, et avec elle les perspectives d’humanité avaient subi de terribles revers. Dans ces conditions, l’aphorisme devenait une formule de survie. Il est aussi à mettre en perspective avec les préoccupations majeures de ses écrits carcéraux: la relation entre théorie et pratique, le rôle des intellectuels, la dialectique des facteurs subjectifs et objectifs.
La phrase nous a longtemps séduits, nous les militants, car on y reconnaissait quelque chose de fidèle à nos propres expériences et nous la trouvions immuable. C’était un avertissement puissant contre tous vœux pieux, comme l’ordre d’Amilcar Cabral: (également connu sous le pseudonyme Abel Djassi, il est un homme politique de Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert. Il est le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, PAIGC, qui amena à l’indépendance ces deux États colonisés par le Portugal.)
« Ne point masquez les difficultés, les erreurs, les échecs. Ne revendiquez pas de victoires faciles. »
C’est en même temps une exhortation contre la démission. Il propose un engagement résolu et intelligent avec l’Histoire, ce à quoi nous aspirons tous. L’activisme populaire appelle sûrement à une relation entre « la raison » et la « volonté », de par leur état divergent. Elles n’existent pourtant, jamais vraiment l’une sans l’autre et peuvent parfois se brasser et se déformer. Je pense nécessaire pour nous tous de savoir qu’un optimisme inflexible de la volonté peut corrompre ou compromettre la clarté intellectuelle, nul ne peut, non plus, prétendre que le pessimisme implacable de l’intellect n’est pas débilitant. « L’optimisme de la volonté », comme impératif exacerbé, fait de nous des êtres déchirés.
C’est une de ces ordonnances impossibles et irréelles, comme par exemple « vivre chaque jour pleinement » ou « toujours voir le verre à moitié plein et non à moitié vide ». C’est une recette chargée de déni, accompagnée de névroses au long cours. Si l’optimisme devient obligatoire, le danger inhérent à ce trait révélera, peu ou prou, un trouble compulsif. Il générera, quoi que l’on dise, un volontarisme contraint de devoir annihiler les pensées ou les sentiments inopportuns. Où est la logique de l’optimisme s’il n’existe pas de motifs rationnels pour cela? S’il n’y a vraiment aucune chance de provoquer un changement, alors pourquoi s’accabler d’un activisme puéril? Et qu’est-ce que la « volonté » ?
Ce n’est pas une passion ou une émotion, mais elle est clairement ancrée en nous. Elle se présente comme une faculté de la conscience, comme une expérience s’imposant sur l’habitude ou l’environnement, comme une maîtrise de soi et des circonstances. Mais la « volonté » ne peut-elle jamais être entièrement une entité de connaissances? Ses sources se trouvent dans le subconscient. En réalité, « la volonté » ou « maîtriser le soi » exige la reconnaissance de cet enracinement subconscient précisément, et même des illusions de « maîtrise » et de « volonté ». L’inconscient est doté d’une volonté: il ne s’agit pas de la volonté à laquelle vous pensez certainement, dans le sens de vouloir consciemment quelque chose, dans le sens où « je décide d’aller ici ou de faire cela ». Mais il s’agit plus d’une volonté qui met en œuvre le merveilleux mécanisme de la vie.
Car cette vie continue malgré vous, lorsque vous dormez bien sûr, mais aussi à chaque instant de votre existence : lorsque vous lisez cette phrase, il n’y a pas de volonté de votre part de réguler la température de votre corps ni de gérer les échanges gazeux dans chacune de vos cellules et de vos tissus, et pourtant quelque chose en vous s’occupe de cela. Cette citation de William Arthur Ward nous interpelle, n’est-ce pas? « Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles. ».
Le pessimisme de la raison, en tant que principe, peut être aussi déformant à sa manière que les vœux pieux. Il est tout aussi irrationnel de nier les possibles, de s’interdire les évolutions, que d’imaginer qu’ils sont là où ils n’existent point. Il y a bien sûr le pessimisme intellectuel de droite, qui écarte les capacités humaines et voit le capitalisme comme le pinacle de l’Histoire. Ce n’est certainement pas ce dont Gramsci parlait. Mais à gauche, le pessimisme prend parfois une pseudo-autorité, il devient exactement ce contre quoi il mettait en garde, une forme de « désillusion » auto protectrice, qui se défend et préserve son autorité en n’investissant très peu dans des espoirs immédiats ou à moyen terme.
Au fil des années, à la suite de défaites ou de déceptions, des « sages » de gauche m’ont dit que c’était bien sûr inévitable. Avec condescendance professorale, ils m’ont informé qu’étant donné l’équilibre des forces, etc., cela n’aurait pu que fonctionner ainsi et il était naïf de penser le contraire. Ces jours-ci, je vois cette posture comme un mécanisme de défense, une façon de nier la douleur, le désespoir ou la frustration – et parfois une façon d’imposer une supériorité personnelle en prétendant incarner l’objectivité et l’acuité historique. Pour rendre l’espoir réel, pour exercer un optimisme de la volonté, vous devez y investir: votre temps, votre énergie, votre sens de soi et votre rôle dans le monde.
Sans cela, aucun mouvement ne pourra jamais naître et devenir. À la lumière de ces considérations, comment l’aphorisme de Gramsci s’applique-t-il à notre situation actuelle? En ce qui concerne l’avenir, il semble que de nombreux motifs de pessimisme apparaissent. Il est probable que l’occident décadent résolve sa crise actuelle aux dépens du peuple et à son propre avantage historique. Il se déchargera des compromis passés. Les niveaux d’identité, de souveraineté nationale, de soutenance sociétale devront être revus à la hausse…
Je fais une pause, ne voulant pas abuser de votre temps! La suite de ma réflexion incessamment sous peu!