Le professeur Yeshayahou Leibowitz, né à Riga en Lettonie le 29 janvier 1903, décède le 18 août 1994 à Jérusalem.
Chimiste, historien de la science, philosophe, moraliste israélien, Talmudiste et Sage juif, il est considéré comme l’un des intellectuels les plus marquants de la société israélienne, l’une de ses personnalités les plus controversées pour ses avis tranchés sur la morale, l’éthique, la politique, et la religion. Il fut rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque. Parmi ses articles bien connus et célèbres, se trouve, entre autres, son article sur la prière, dans lequel il analyse l’essence religieuse de la prière parallèlement à sa transformation en un outil psychologique pour le fidèle.
Résumons les principaux points:
la prière est l’œuvre de Dieu et non l’œuvre de l’homme, donc la direction de la prière doit être de bas en haut et non l’inverse.
Elle ressemble à cet homme offrant un sacrifice, c’est-à-dire une totale remise en question, à une action envers Dieu, en clair, à travers sa Création, sans jamais rien attendre en retour.
En d’autres termes, la prière n’est pas un moyen de parler avec Dieu, ni parler de ses problèmes ou de le louer, ce que l’homme ne peut pas faire.
Le professeur Yeshayahou Leibowitz a déclaré que seule la crédulité de ceux qui agissent ainsi les sauve du blasphème, car l’homme ne doit point faire connaitre à Dieu ses besoins, mais doit juste Le servir, réaliser le monde projeté par Dieu.
C’est pourquoi nous prions de la même manière que nous mettons les Téfilines, prenons le Loulav en main ou observons le Shabbat. Nous devons prononcer les mots de la prière, dans le sens où l’homme concrétise la volonté Divine. Obtiendrons-nous quelque chose en retour, ou non ?
Le Ciel nous répondra-t-il?
Ces questions minent le système religieux.
Il appréciait particulièrement la prière de clôture de Yom Kippour, où il est dit « qu’il n’y a guère de supériorité pour l’homme sur la bête, etc… Mais Tu distingues l’homme et le reconnait debout devant Toi ».
Quand l’homme se tient devant Dieu, et uniquement, il devient différent de l’animal. Le fait que j’ai mal à la tête et que mon fils soit malade sont intéressants d’un point de vue humain, mais pas au niveau théologique de la foi.
Cette déclaration de Yeshayahou Leibowitz est apparemment une abolition de deux mille ans de conduite dans d’innombrables communautés juives à travers le monde, ceux convaincus que les prières devraient, et pourraient, exprimer les desseins qui leur sont attachés, de même, les besoins de la personne elle-même.
En effet, une telle approche a, de toujours, été très courante. Il ne prétend pas que cela ne s’est pas produit, mais affirme que cela ne correspond point à la Mitsva de la prière dans le Judaïsme.
Autrement dit, la pensée religieuse incarne ce qu’une personne fait pour honorer Dieu au travers de Ses créatures et de Sa création. Les gens veulent sentir Dieu prendre soin d’eux et agir pour eux, c’est une évidence, mais cela nécessite de différencier le sacré du profane, de distinguer entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme.
Quand je prie en tant que serviteur de Dieu, c’est une chose, quand je prie pour être en bonne santé, c’en est une autre.
Certes, une personne est autorisée à prier pour la paix du royaume ou l’établissement de l’État d’Israël, pour la paix des soldats de Tsahal ou la médecine, mais ces propos n’ont aucune signification religieuse. Il y a une raison et un sens à exprimer le libellé établi par les Sages et suivre les instructions de la prière.
L’observance de la Halacha et l’observance des Mitsvot sont ainsi appelées: Service Divin.
De très nombreuses communautés ont traité le sujet de manières différentes et apparemment Pr. Leibowitz a décidé de ne pas s’en préoccuper, mais ces dernières ignorent le fait que les Juifs prient et parfois reçoivent une réponse, parfois non, nous n’avons pas trouvé de règle en la matière, créant de très graves crises de Foi.
C’est ainsi qu’il s’est exprimé dans ce célèbre article lorsqu’il a souligné que les mêmes dix-huit bénédictions qu’un homme prononce avant d’entrer sous le dais nuptial sont celles prononcées après les funérailles de son amour de jeunesse.
Comment peut-il prier la même prière?
Si nous comprenons que la prière n’est pas censée refléter un état mental.
Comment ces choses s’ordonnent-elles face aux déclarations des grands Maitres autorisant l’ajout, au modèle familier de la prière, d’une supplique du prieur adorateur pour ses besoins personnels?
« Il n’y a guère d’interdiction à ce sujet », répond le professeur Leibowitz.
Avec ses mots, ne pourrions-nous pas aller plus loin et prétendre que réclamer et solliciter Dieu pour soi-même, c’est s’idolâtrer et, à Dieu ne plaise, transformer le Tout-Puissant en un outil consacré à sa propre personne, acte inconcevable, en fait!
La verité, il fait une distinction entre les valeurs et les intérêts.
La valeur est la chose pour laquelle j’agis sans aucun bénéfice personnel,
L’intérêt est l’action en vue de ce bénéfice personnel.
Le monde religieux, à ses yeux, est un monde de valeurs et non d’intérêt personnel.
Par conséquent, si une personne prie pour le succès ou la guérison, elle prend soin de ses propres intérêts!
Dire de cet individu qu’il est un idolâtre, serait-ce une allégation trop pesante?
Il ne dit pas que c’est l’adoration des idoles, mais l’adoration, pour elle-même, de Dieu car le Rambam enseigne dans sa préface au chapitre « H’eleq » du traité de Sanhedrin:
« Et les sages ont déjà mis en garde à ce sujet également, ce qui signifie qu’une personne ne devrait pas se fixer pour objectif d’adorer Dieu et d’accomplir la ‘mitsva’ pour aucune de ces choses…
« Antiguonous de So’ho reçut [la Loi orale] de Shimon le Juste. Il disait: « Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître en vue de recevoir une récompense, mais soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans chercher à recevoir une récompense; et que la crainte des Cieux soit sur vous. » (pirkei avot ch1 michna 3)
En effet, il voulait dire qu’il croyait vraiment en la vérité au nom de la Vérité, raison pour laquelle ils le nommèrent « serviteur de l’Amour ».
« Et les sages, que leur souvenir soit béni, déclarèrent dans le traité de ‘avoda zara’ – idolâtrie 19a: «Heureux l’homme qui craint l’Eternel, qui prend grand plaisir à ses commandements!» (Psaumes 112, 1). Rabbi Eliezer a dit : « au nom de ses commandements » et non point pour une rétribution. Comme cette évidence est profonde, comme elle est lumineuse! »
Le professeur Leibowitz suit le chemin conquis par Rambam, en cela il se considérait comme un Rambamiste complet.
Si tel est bien le visage des choses, pour quelle raison la prière a-t-elle été formulée sous la forme d’une demande de besoins divers, d’avis, de récolte dans les champs, de médecine, de juges décents, etc…?
Était-ce une erreur de formuler la prière comme un mantra dénué de sens à partir duquel une personne se connecterait à son moi devant son Créateur, sans aucun intérêt?
La réponse leibowitzienne à cela est qu’elle s’adresse aux masses. Les Sages, n’ayant pas abandonné l’idée de la Foi pour elle-même, ont déclaré qu’il s’agissait là d’un sentiment légitime mais relevant d’un instinct primaire.
La ‘religion’ concernait, en général, les masses avides de croire aux causes, aux raisons, elle ne pouvait se réduire à la Foi de ses seuls enfants avides de savoir et d’entendement, de connaissance et de discernement. Ils seraient si peu nombreux que la possibilité de ‘prier’, pour son propre bien être ou celui de ses proches, fut acceptée comme légitime même si cela témoignait d’une relation défaillante vis-à-vis de l’œuvre de Dieu.
Les opinions religieuses du Prof. Leibowitz sont très difficiles à digérer, mais elles fournissent au croyant une chose essentielle: un miroir source de remise en question grâce à un esprit critique (analytique). Il est important de connaître différents concepts, mais son miroir dit à la personne: ta prière, les yeux fermés, devant Dieu afin de solliciter pour ton seul « Toi », n’est qu’adoration de toi-même. Maintenant, Dieu serait devenu ton outil et toi devenu la finalité par excellence.
Question : cette perception de la prière ne pourrait-elle pas conduire de nombreux croyants à s’éloigner de la foi?
Réponse : les Prophètes d’Israël ont aussi dit la Vérité et personne ne voulut les écouter. Les Sages ont certes dit nombre de choses qui finalement seront entendues, car le peuple d’Israël les a beaucoup plus écoutées.
En ce sens, la méthode de Leibowitz est celle d’un prophète, sans jamais prétendre l’être.
Il a exprimé sa vérité, celle qui lui semblait être la seule et unique vérité, dans de nombreux endroits où beaucoup n’était pas prêts à entendre, ni même à écouter, ses leçons, surtout lorsqu’elles étaient difficiles à assimiler.
A mon sens, il était comme un prophète mais pas si sage que ça….
Beaucoup de ses élèves ayant lu l’article en question eurent des sautes d’humeur en première lecture, par la suite, la plupart de ces bouleversés déclarèrent avoir pris conscience d’un autre aspect des choses et en fin de compte avoir, d’une certaine manière, été sauvé de « la foi du charbonnier ».
J’en connais beaucoup dont le monde religieux s’était effondré et furent sauvés, grâce à cette approche.
Elle présente un concept plus complexe et plus mature des lacunes existantes dans une foi simpliste et mystique, dans l’intime conviction, certes erronée, que si nous prions Dieu celui-ci nous répondra et condescendra à nos demandes. Quand nos convictions s’évanouissent entre nos mains, Leibowitz arrive et déclare qu’il existe un autre langage religieux, une autre perception, à son humble avis. Il serait, je pense, très utile de connaître la Torah éducative et la conception religieuse selon le Professeur Leibowitz, ce sera certainement beaucoup plus réalisable aujourd’hui que par le passé, en raison de la distance et du temps passé depuis ses célèbres déclarations tonitruantes et provocatrices.
Ce serait un immense bienfait si l’éducation toranique introduisait tout du moins sa pensée religieuse à travers sa cohérence philosophique et la complexité des savoirs dans le courant dominant du Beit Midrash conformiste.