L’éclat du règne de Salomon (environ 40 ans) à commencé sous les meilleurs auspices et s’est très mal terminé. Cet homme aux qualités humaines indéniables, dont la sagesse reste encore « proverbiale », a fini par perdre sa légitimité.
Autant sa royauté fut entourée de gloire et de faste, autant furent dramatiques les crises qui l’agitèrent et qui encouragèrent, dès la mort de Salomon, la scission au sein de son Empire et la déchirure définitive entre l’Israël du Nord et celui du Sud.
Crises de natures différentes.
Les unes, d’origine politique et militaire, tiennent à l’étendue de l’Empire, à l’impossibilité de contrôler toutes les frontières, au jeu diplomatique de certaines puissances voisines, en particulier de l’Egypte.
Les autres, d’ordre économique et social, sont la contrepartie d’une mutation trop rapide qui avait fait d’une communauté, encore souvent patriarcale et paysanne, un état féodal et absolutiste, et, d’une petite province, un empire aux proportions mondiales.
Pourquoi?
La tradition donne de nombreuses réponses à cette question. J’en développerai une en priorité : il a échoué dans le domaine qui lui est propre, celui de la justice. Non pas qu’il n’ait pas désiré la justice, mais il a été incapable de l’instaurer sur le plan intérieur, c’est-à-dire de passer de la justice individuelle à la justice sociale.
Or c’est celle-ci, la justice sociale, qui est déterminante quand on occupe la place d’un roi. Si on l’oublie, on est incapable de perpétuer son œuvre principale, qui, dans le cas de Salomon, est la paix fondée sur la justice. Salomon a perdu sa légitimité parce qu’il a échoué dans la pratique de la justice. Il faut donc soutenir l’idée que c’est son incapacité à pratiquer la justice sociale qui a condamné Salomon.
Une troisième série de crises, enfin, de nature religieuse et morale, a ses sources dans un changement étonnant et imprévu du caractère de Salomon.
Ce roi-prophète, référence de sagesse et de dévotion, s’embourbe peu à peu dans un polythéisme sensuel et un scepticisme désabusé qui élèveront contre lui les éléments religieux demeurés fidèles, en Israël, à la tradition du monothéisme moral.
La conséquence ultime de sa politique fut la décomposition de son Empire et la dissociation de son système d’alliances. Bilan négatif, que des sujets non-politiques rendirent absolument catastrophique.
Parmi ces éléments, il faut mentionner, en tout premier lieu, le malaise économique et social dont l’ampleur fut telle qu’elle anéantit presque totalement les suites heureuses de la puissance salomonienne.
Les quarante années de sa souveraineté offrent le spectacle d’une évolution qui correspondrait, en France, à celle d’un siècle et demi. Les lumières et les ombres du régime absolu, réparties en France sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI, se retrouvent, avec leurs conséquences contradictoires, dans le seul règne de Salomon, et aboutissent, comme en France, à une véritable révolution.
Les sources de cette crise se perçoivent, et c’est une association de plus avec la situation en France, dans le problème financier.
Les obligations de l’état, soudain accrues dans une proportion ahurissante (constructions militaires et civiles, fortifications des frontières, flotte, location d’équipages et de main-d’œuvre étrangère, frais de l’administration) dépassaient de beaucoup les revenus nationaux.
Pour construire des bâtiments, des ouvrages hydrauliques et des routes, il faut deux choses : de l’argent et de la main d’œuvre. L’argent provenait de l’échange des produits agricoles et de la vassalisation de certains peuples.
Mais pour construire, l’argent ne suffit pas, il faut encore de la main d’œuvre : ouvriers qualifiés ou non qualifiés, chefs de chantiers et travailleurs de force. La tâche la plus urgente et la plus quotidienne était d’équilibrer le budget national. Salomon s’y emploie avec constance, mais, dans chacun des domaines où s’exerce son génie inventif, surgissent des difficultés qu’il n’arrivera finalement plus à surmonter.
Le premier domaine, le plus naturel, était celui des courtages commerciaux.
Salomon l’exploite à fond, et nous avons vu comment Israël s’est transformé en plaque tournante du Moyen-Orient.
Mais la vigilance de la concurrence étrangère (celle de l’Egypte surtout), l’arrivée de plus en plus manifeste de classes improductives (les courtisans, les chevaliers de la capitale, les femmes de Salomon : toute une masse humaine vivant, sans contrepartie, des libéralités du souverain), tout cela pesa à tel point sur la balance économique, que le seul jeu du commerce et des échanges ne parvient plus à pallier au déficit.
Salomon a recours, dès lors, aux impôts.
C’est déjà un procédé moins naturel, une solution de commodité, qu’un gouvernement équitable et juste peut néanmoins rendre efficace. Mais, dans le domaine des impôts, Salomon est très vite prisonnier de l’ordre administratif qu’il avait conçu.
Les fermiers généraux s’octroient à eux-mêmes les revenus qui auraient dû rejoindre normalement le trésor national. Ils bâtissent une fortune personnelle sur l’exploitation graduelle des citoyens taxables et sur la spoliation du trésor royal.
Autre erreur de Salomon : il s’est conduit exactement comme tout roi. Il a multiplié les marques extérieures de richesse.
Je cite ici la bible (I. Rois 10,23-28) : «Le roi Salomon surpassa tous les rois de la terre en opulence et en sagesse. De partout on venait rendre visite à Salomon, pour jouir de la sagesse que D.ieu avait mise en son cœur. Et chacun lui offrait, comme hommage, des objets d’argent ou d’or, des vêtements, des armes, des aromates, des chevaux, des mulets, et cela chaque année. Salomon eut une collection de chars et de cavaliers – quatorze cents chars, douze mille cavaliers, – les fit diriger vers les dépôts de chars et en garda près de lui à Jérusalem. Le roi rendit l’argent, à Jérusalem, aussi commun que les pierres et les cèdres aussi nombreux que les sycomores de la vallée ».
Or, cette accumulation de richesses est explicitement interdite par la tradition hébraïque.
C’est une des nouveautés introduites par le Deutéronome.
Un roi ne doit pas être riche, il doit rester aussi proche que possible de ses sujets, c’est-à-dire pauvre lui-même.
Je cite : (Dt 17, 16) (à propos d’un roi d’Israël) : «Il doit se garder d’entretenir beaucoup de chevaux, et ne pas ramener le peuple en Egypte pour en augmenter le nombre, l’Eternel vous ayant déclaré que vous ne reprendrez plus ce chemin-là désormais. Il ne doit pas non plus avoir beaucoup de femmes, de crainte que son cœur ne s’égare; même de l’argent et de l’or, il n’en amassera pas outre mesure ».
Or, quand il occupera le siège royal, il écrira pour son usage, dans un livre, une copie de cette Doctrine, en s’inspirant des pontifes descendants de Lévi. Elle restera par-devers lui, car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il s’habitue à révérer l’Eternel, son D.ieu, qu’il respecte et exécute tout le contenu de cette Doctrine et les présents statuts; afin que son cœur ne s’enorgueillisse point à l’égard de ses frères, et qu’il ne s’écarte de la Loi ni à droite ni à gauche. De la sorte, il conservera longtemps sa royauté, lui ainsi que ses fils, au milieu d’Israël.
Le Deutéronome ressemble à une description détaillée de ce qui peut fonder la légitimité d’un roi, c’est-à-dire de tout ce que Salomon n’a pas fait. Comment a-t-il pu entrer en contradiction aussi évidente avec la Loi?
Dans le secteur des corvées, la situation devient plus grave encore.
Les services dus à l’Etat sans contrepartie, n’existaient en Israël, jusqu’à Salomon, que sur le plan militaire : chaque citoyen redevait à la communauté un temps de service dans l’armée. Salomon crée maintenant la corvée civile.
En effet, les nécessités pour une politique de construction sont si énormes, qu’il faut y assigner une main d’œuvre obligatoire. Au début, Salomon, percevant sans doute ce qu’il y avait d’arbitraire et d’insolite dans cette nouvelle forme de corvée, ne fait appel qu’à de la main-d’œuvre étrangère : les Cananéens indigènes fournissent les premiers éléments permanents d’un servage national.
Mais bientôt Salomon a recours à la main-d’œuvre nationale: les Israélites doivent au roi des périodes de travail non rétribué. Les conditions de travail restent, au début, en accord avec la législation sociale de la Torah : les travailleurs ne sont astreints aux corvées qu’un mois sur trois, à tour de rôle.
Mais, au fur et à mesure de l’accroissement des besoins, il n’est plus tenu le moindre compte des volontés de la Torah : les exigences royales priment tout critère moral et religieux.
Les travailleurs israélites sont soumis souvent, dans des conditions pénibles, à des corvées permanentes.
De citoyens libres qu’ils étaient, certains Israélites sont réduits au rang de serfs royaux, une population de nomades récemment sédentarisée, fière et indépendante, dont la religion était fondée sur le refus de toute subordination du travail, s’est trouvée obligée de se soumettre à une condition sociale qui ressemblait à celle naguère imposée par les Egyptiens.
Ces mesures furent insuffisantes pour sauver la crise économique.
A un certain moment, pour s’acquitter des dettes provoquées par l’emploi des matières premières et de la main-d’œuvre phéniciennes, Salomon a recours à un moyen désespéré, que les rois de France ont également utilisé lorsque la crise atteignait son comble : la cession des terres nationales (1 R. 9, 10-14).
Les vingt villes de la Galilée cédées par Salomon à Hiram sont soustraites au domaine national : la Phénicie possède dorénavant, en territoire israélite, une enclave.
Ce sont des procédés politiques auxquels un gouvernement n’a recours qu’à la veille de la banqueroute. Autre trait regrettable: Salomon a essayé d’abuser Hiram, et les villes qu’il lui offre ne représentent de loin pas l’équivalent de la dette contractée par Israël à l’égard de la Phénicie.
A l’attitude de renoncement au territoire national s’additionne donc l’intention sournoise de duper l’associé.
Ainsi se gâtent, pour la première fois, les relations entre Israël et la Phénicie: suite déplorable d’une politique financière menée sans discernement et sans opiniâtreté.
Il nous faut maintenant décrire l’affaire dite du Millo, qui est racontée dans la bible.
De quoi s’agit-il?
Le Millo est un palais que Salomon fit construire pour sa première épouse, la fille de Pharaon, Il était à l’origine un terrain collectif, communautaire, où les Israélites pouvaient se rassembler lors des pèlerinages ou en d’autres occasions. Il était situé dans le prolongement de la muraille qui entourait Jérusalem, mais en un lieu laissé vide. A cet endroit, on trouvait une brèche dans la muraille, que David avait laissée soigneusement ouverte car elle manifestait la proximité du peuple et du roi.
Par cette brèche, tout le monde pouvait entrer librement dans Jérusalem et accéder au parvis sur lequel avaient lieu les sacrifices (là où Tsadoq officiait à l’époque de Salomon), et de l’autre côté au palais de justice (là où Salomon lui-même officiait).
Sachant que la brèche débouchait exactement entre le temple et le palais de justice, Tsadoq et Salomon étaient accessibles à n’importe quel Israélite.
La construction du palais de la première épouse de Salomon à cet endroit eut pour conséquence :
– de fermer l’accès aux lieux de culte et aux lieux de justice (atteinte à la volonté de David, suppression du libre passage du peuple devant Salomon). Les pèlerins ne peuvent plus se rendre librement au temple.
– de supprimer un lieu traditionnel de campement (atteinte au bien-être collectif, restriction des avantages communs). Le peuple devient une masse informe et anonyme.
– et même, si l’on en croit la rumeur, d’interdire complètement l’entrée de Jérusalem aux pauvres, car Salomon aurait été jusqu’à instituer un péage, une taxe de passage, à l’emplacement de l’ancienne brèche, et aurait décidé que le produit de cette taxe serait versé dans les caisses privées de sa première épouse.
Bref, Salomon permet à des fins égoïstes ce que David a interdit pour le bien public. Il abjure l’éthique politique qui avait fait sa gloire.
Mais un enchaînement plus fatal de la crise économique va bientôt être ressenti dans le domaine social.
L’idéal d’un peuple, appréciant le fruit de son labeur, qui sous la vigne, qui sous son olivier, deviendra de plus en plus une image utopique, sans concordance avec la réalité beaucoup plus complexe.
La famille d’Israël se divise, sous Salomon, d’une manière déshonorante. Une caste protégée se forme et se compose de courtisans, de chevaliers, des fermiers-généraux, des prévôts des corvées, des commerçants et des trafiquants: noblesse d’épée et d’argent, qui n’éprouve rien d’autre que jouissance.
En face, à l’opposé, un fossé se creuse de jour en jour, une autre caste, de plus en plus misérable: celle des travailleurs privés d’indépendance, assujettis, abusés ; celle aussi des paysans, que des charges serviles de plus en plus abondantes arrachent à la glèbe pendant de longs mois de l’année.
Enrichissement donc d’une classe sociale aux dépens d’une autre, affaiblie et dépouillée. Il en résulte un clivage inéluctable au sein de la communauté. On ne peut plus, à partir de ce moment, parler d’un esprit social hébraïque: il y en a plusieurs, deux, au moins, qui cèdent à des lois morales et à des élans très distincts les uns des autres.
Pour l’instant, au moment où la crise commence sous Salomon, la horde des privilégiés s’abandonne aux affres du pouvoir avant de recourir à la fameuse maxime que l’on retrouvera ailleurs, dans des circonstances analogues : « Après moi, le déluge »
Quant à la classe exploitée, on perçoit en elle une colère qui fulmine avec une puissance de plus en plus grande, avec une volonté de révolte.
Qu’il y ait eu des mouvements de sédition sociale et de soulèvement dès le vivant de Salomon, l’exemple de Jéroboam est là pour en témoigner.
L’histoire de ce jeune ouvrier hébreu, originaire de la tribu d’Ephraïm, et élevé, par ses qualités personnels, au rang important de surveillant général des corvées, ne nous est pas entièrement connue. Nous ignorons les raisons exactes qui lui valurent d’abord la confiance de Salomon, puis, d’une manière aussi absolue, sa défiance et son inimitié.
On peut accepter que Jéroboam fût une belle âme, qui n’avait pas abjuré ses origines sociales modestes en gravissant les échelons de la hiérarchie sociale; que dans les chantiers de Jérusalem, il remarquait avec effroi l’indignité de ses associés à l’administration royale, il déplorait la misère des serfs indigènes et étrangers.
Tel un Villars, un Vauban, sous Louis XIV, il avait peut-être tenté de révéler à son roi la rage qu’il endurait à la vue de ces malheurs, et se faire l’interprète de la rancœur croissante des masses. Salomon reçut fort mal ces critiques. Il destitua Jéroboam, qui ne dut son salut qu’à une fuite hâtive vers l’Egypte. Salomon fit condamner Jéroboam à mort par contumace.
La sévérité du jugement paraît indiquer que Jéroboam n’était pas seul. Le roi craignait sans doute le prélude d’une révolte générale qu’il voulait endiguer à la source en faisant un exemple.
L’avertisseur le plus certain de l’épuisement d’un pouvoir, c’est lorsqu’il n’a plus d’autre support que la force.
Les mesures répressives arbitraires et violentes à l’égard de Jéroboam montrent que Salomon n’était plus le souverain juste et sûr de lui-même que nous connaissions jusqu’ici.
La tradition, discerne la source de cette déchéance dans une sorte de pari criminel. Salomon, dit-on (et l’on trouve la confidence de cette tentative dans l’Ecclésiaste) a lancé un défi à la nature humaine, à l’existence, à la destinée, dont il a voulu sonder toutes les possibilités jusqu’aux extrêmes limites.
Il voulait éprouver jusqu’où pouvait aller la jouissance, le scepticisme, le péché, et se croyait suffisamment libre et lucide pour conserver le contrôle de soi durant le pari.
Son aventure audacieuse l’a éloigné à tel point de la sagesse et de l’équilibre, qu’il s’est égaré définitivement dans l’erreur sans plus retrouver le chemin du retour. Le défaut de Salomon, la faille personnelle qui l’a perdu, c’est la confiance en soi. Il a perdu conscience de ses limites. C’est cette perte de lucidité qui creuse l’écart entre celui qu’il fut et celui qu’il devint. Ce qu’il fut: sagesse et Torah, ce qu’il devint: abdication et défection. Entre les deux : la fracture maximale.
L’ambition de Salomon, une révolution éthique destinée à proscrire l’iniquité, est excessive. Elle ne peut pas être portée par un être humain, même pas par un roi de la lignée de David. Salomon croit que le Royaume pourra venir au monde de son propre fait à lui, en réalité, le royaume ne vient au monde que porté par le peuple.
A cause de cette erreur sur les limites, les intuitions de Salomon se transforment en leur contraire.
Au nom de la tolérance, au nom de l’amour, il autorise l’idolâtrie qui portera la guerre.
Au nom de la paix, il altère le principe monothéiste autour duquel devrait être construit son « royaume de justice ».
Salomon est l’homme qui pense pouvoir aller au-delà des limites humaines, et lui-même, ses descendants et le peuple hébreu, qui n’ont jamais vraiment réussi à se départir de cette idée, la paieront très cher.
L’instinct de puissance et de jouissance des aristocrates et des parvenus trouve un plaisir opportun dans les cultes d’idoles grossières et immorales.
En revanche, la pulsion de révolte des masses opprimées ne s’insurge pas seulement contre l’exploitation sociale, mais aussi contre l’infidélité religieuse.
La révolte, lorsqu’elle éclatera, aura donc un objectif double : elle tendra à résoudre, à la fois, la crise sociale et la crise morale, en exigeant l’arrêt simultané du régime d’oppression et de la décadence religieuse.
Ce qu’il faut en retenir, pour l’instant, c’est la rencontre des forces vives de l’opposition. Les révoltés sociaux et les révoltés religieux concluent un pacte clandestin. Il ne pouvait en être autrement.
Ce n’est pas l’idolâtrie seulement qui bafoue l’idéal de la Torah; celle-ci était violée dès que n’étaient plus observés les principes de la charte sociale de la communauté d’Israël.
L’intervention d’Ahya le prophète coïncide avec l’essence même du prophétisme hébreu, qui s’exprime conjointement en tant que conscience religieuse et sociale, les deux étant inséparablement attachées dans la révélation de la Torah.
Précisons encore ici, comme à l’époque de Samuel, la déficience de la prêtrise. Il n’est pas établi, certes, que les prêtres-lévites de Jérusalem aient approuvé l’infidélité de Salomon. Du moins n’est-il pas fait mention de leur résistance active. Il appartenait au prophète d’intervenir là où le prêtre était défaillant. Le sacerdoce, inséré dans les rouages administratifs du royaume, avait choisi la prudence et peut-être le compromis. Le prophète, lui, avait opté pour le risque. Lorsque s’achève le règne de Salomon, l’Empire a deux faces.
L’une, la plus voyante, est celle de l’opulence et de la jouissance, de l’indifférence morale et de l’infidélité religieuse.
L’autre, obscure, cachée, mais plus réelle parce que plus farouche, est celle de la volonté de résistance et de révolte. Le lourd appareil gouvernemental et administratif recouvre l’une des faces. L’autre manifeste la présence d’une masse populaire groupée autour d’un prophète courageux et d’un révolutionnaire en exil.
En définitif, le personnage de Salomon est moderne. Les problèmes qui se sont posés à lui se posent encore. Comment articuler liberté, justice, équité, amour, bonheur, avec l’autorité du Prince et le respect du peuple? S’appuyant sur l’éthique hébraïque naissante, Salomon a tenté de mettre en pratique ce questionnement. Mais il ne disposait ni des concepts ni des moyens lui permettant de leur trouver une solution stable. Salomon est le premier “gouvernant” contemporain, c’est-à-dire le premier à devoir répondre devant son peuple de la question de la justice sociale, mais où son échec, malgré tout ces efforts malheureux, entrainera le schisme entre le nord et le sud suivi d’une guerre civile sans précédent..
En ce sens, il a anticipé de manière extraordinaire les problèmes de notre époque. Il n’a pas résolu la question de la légitimité du pouvoir, il l’a simplement posée, ce qui était radicalement nouveau pour son temps.
C’est cela son génie, et sa profonde actualité; c’est cela que nous ne pouvons commencer à comprendre qu’aujourd’hui, après 3000 ans.