Le terme « Mishpatim » signifie « lois » ou « ordonnances » et vient d’une racine signifiant juge ou loi. Cette section contient des lois civiles, des lois sur la responsabilité, des lois pénales, des lois rituelles, des lois financières et des lois familiales. La Torah ne semble pas faire les mêmes distinctions que nous entre la législation civile et pénale, religieuse et laïque. Vers la fin de la parasha, les fêtes sont passées en revue, et Dieu réitère la promesse d’amener le peuple au pays de Canaan. Moïse fait un sacrifice devant tous les dirigeants d’Israël, et ils ont une merveilleuse vision de Dieu. Moïse remonte sur la montagne et reste là dans la nuée pour recevoir la Torah.
« N’outrage point l’autorité suprême et ne maudis point le chef de ton peuple. » (Exode 22:28)
Le chapitre 22 contient un mélange de différents types de lois, concernant tout, de la responsabilité pour avoir blessé des animaux aux interdictions sexuelles, en passant par les lois alimentaires. Dans ce contexte, peut-être que cette loi, qui traite de la malédiction des juges et des dirigeants, est liée aux autres lois. Chacun accepte certaines restrictions à sa liberté pour que la société puisse fonctionner. Sans une compréhension commune des coutumes de propriété, de la vie de famille, de la sexualité, etc., il peut être difficile de vivre ensemble en tant que peuple. De même, si les gens n’acceptent pas une certaine forme de leadership, la société tombera dans l’anarchie, ce qui est contraire à la culture de la Bible. Pour de nombreux commentateurs, c’est un commandement combiné, car ils considèrent que le leadership est l’accomplissement de la parole de Dieu. L’idée d’accepter des restrictions à la liberté individuelle afin de permettre à la société de fonctionner apparaît également dans diverses approches philosophiques. Elle est particulièrement exprimée chez Thomas Hobbes, par exemple, qui soutient dans son livre « Léviathan » que l’homme cède des pouvoirs à un système gouvernemental pour éviter le chaos d’un état naturel où chacun est libre d’agir à sa guise. John Locke propose une idée similaire en parlant de droits naturels et du devoir du gouvernement de protéger ces droits, ainsi que du consentement du public à conférer certains pouvoirs au gouvernement. Jean-Jacques Rousseau met l’accent sur le concept de « contrat social », dans lequel les individus acceptent de compromettre leur liberté personnelle en échange d’une vie dans une société réformée et saine.
Ainsi, celui qui maudit le dirigeant ou le juge rejette implicitement l’autorité de Dieu, dont le dirigeant édicte les lois (du moins en théorie). Cependant, le commandement de ne pas maudire un dirigeant n’est pas un commandement de devoir les accepter manifestement imparfaits – la Bible regorge d’exemples positifs de personnes critiquant leurs dirigeants. Un exemple subtil vient de la section précédente (Exode 18 : 1-20). Jéthro, le beau-père de Moïse, lui adresse une critique constructive pour avoir pris trop de responsabilités, puis lui conseille de déléguer une grande partie de celles-ci (Exode 18).
Un exemple plus fort de critique du chef du peuple est la célèbre réprimande du prophète Nathan au roi David. Après que David a commis l’adultère avec Bath-Shéva et ensuite tué son mari sur le champ de bataille pour pouvoir l’épouser (2 Samuel 11-12), Nathan le réprimande. Nathan se rendit directement auprès du roi et lui demanda même d’avouer à quel point ses actions étaient mauvaises : David ne pouvait pas simplement s’en tirer avec cette corruption parce qu’il était roi. En fait, les livres historiques et prophétiques de la Bible regorgent d’exemples de dirigeants qui ont mal agi et qui se sont fait dénoncer pour cela.
Alors pourquoi la Torah nous dit-elle de ne pas maudire « un chef du peuple » ? Une différence subtile, mais cruciale, existe peut-être entre critiquer et maudire. Si certaines critiques sont simplement des plaintes inutiles, le type de critique que les prophètes ont formulé avait toujours pour but d’aider les gens à changer et à améliorer leur comportement. Nathan a affronté David non pas pour renverser son royaume, mais pour l’amener à confesser ses péchés et à se repentir.
On doit comparer cela à la colère passive que beaucoup ressentent aujourd’hui envers le système politique. La participation électorale est souvent faible lors des élections en Occident et en Israël – les gens adorent maudire les dirigeants, mais cela ne signifie pas qu’ils s’engagent dans un changement positif. Maïmonide note que la « malédiction » est une forme de colère, qu’il considère comme une émotion destructrice, du moins lorsqu’elle n’est pas liée à une action constructive.
Une observation intéressante est celle du rabbin italien du XIVe siècle Menachem Recanati. Il note que la malédiction du leadership, même si elle n’a aucun effet physique, peut convaincre les gens que la politique est une tâche ingrate et les décourager d’assumer des rôles de service public. On a soulevé ce point précis dans d’innombrables articles en Occident récemment, en particulier dans les médias. Les partis d’opposition sont engagés dans ce que beaucoup appellent une «Politique de destruction de la personnalité ». Aristote soutient que la vie politique fait partie de la vie humaine et que l’homme est une « créature politique » qui s’épanouit au sein de la société. Il parle des vertus et de l’importance de l’action morale pour le bien commun, soulignant que la justice et la vitalité sont les fondements d’une bonne société. Je crois que la Torah encourage – et même exige – que le leadership soit assujetti aux normes morales et juridiques les plus élevées. Personne, pas même le roi David, n’est au-dessus de la loi. Pourtant, trop souvent, nous nous contentons de maudire le système sans y participer, ce qui ne sert à rien et ne change rien. Toute cette section de la Torah véhicule un message fondamental : une société prospère dépend de la participation et de la responsabilité morale de chaque individu. Critiquer les dirigeants est facile, mais travailler ensemble pour créer une meilleure communauté l’est davantage.
Emmanuel Kant souligne le principe moral du respect de chaque personne. Il affirme que la responsabilité morale est un devoir fondamental pour chaque individu et que chacun doit agir de manière à faire en sorte que la société perçoive ses actions comme si elles constituaient une loi universelle. Essentiellement, la Torah et la philosophie suggèrent que nous examinions le potentiel moral de chaque individu dans la société. La participation active ainsi que la responsabilité morale sont les clés de l’établissement d’une société juste et équitable. Tout le monde s’accorde à dire que le danger de l’irresponsabilité, du manque d’implication ou de l’indifférence peut conduire à l’effondrement moral de la société dans son ensemble.