TAISEZ VOUS, JUIFS, VOUS N’ETES PAS NOUS! par Rony Akrich

by Rony Akrich
TAISEZ VOUS, JUIFS, VOUS N’ETES PAS NOUS! par Rony Akrich

Ah, les voilà, nos stratèges de salon ! Ils descendent des avions, brushing impeccable, le bagage léger – la seule chose vraiment lourde, c’est leur parole. Dès leur arrivée sur le tarmac, ils se précipitent vers les conférences feutrées, munis de présentations PowerPoint et d’une nostalgie congelée, prêts à nous expliquer comment vivre en Israël. Nous, nous persistons à l’expérimenter réellement. Eux n’ont jamais expérimenté la sueur d’une guerre ni compté les jours dans un abri. Mais qu’importe ! Leur expertise est inversement proportionnelle à leur implication. Ils s’adonnent à la collecte de débats, tout comme certains collectionnent des miles : de Paris à Tel-Aviv, en passant par divers symposiums, tout en s’assurant de ne jamais assumer la moindre responsabilité. Leur bravoure? Venir « réfléchir » sur Israël entre deux brunchs, avant de repartir sous les applaudissements de leurs pairs, rassurés d’avoir contribué, sans la moindre égratignure, au destin du peuple juif. Le seul conflit qu’ils connaissent est la lutte du micro contre le silence ; la seule identité qu’ils revendiquent est celle du commentaire.

En bref, vous êtes des touristes de la cause et des bénévoles de la solidarité virtuelle. Vous êtes convaincus que parler d’Israël, c’est déjà l’habiter, à condition de ne pas s’en approcher de trop près.

Vous vous réunissez entre deux coupes de champagne et trois conférences feutrées pour discuter doctement d’Israël. Le pays est en feu ? Vous en débattez. Le peuple se bat-il ? Dans ce cas, vous écrivez un manifeste. Est-ce que les familles pleurent ou célèbrent ? Vous, vous observez de loin, derrière vos passeports étrangers et vos existences sans danger.

Mais, qui donc vous a conféré cette autorité ? Pourriez-vous discuter d’Israël sans avoir expérimenté la poussière de la terre, sans avoir ressenti la douleur du deuil national, la fatigue de la mobilisation, l’anxiété de l’avenir ? Émile Durkheim vous aurait rappelé : « La solidarité ne se décrète pas, elle se construit dans l’action commune, dans l’effort partagé. » (De la division du travail social, 1893) Or, vous n’êtes pas des participants, mais seulement des observateurs de l’histoire, vous refusez de monter sur sa scène. Léon Bourgeois disait : « La solidarité n’est pas une charité lointaine. Elle est l’obligation de s’impliquer, de prendre des responsabilités et d’être présent là où l’histoire se déroule. » (Solidarité, 1896). Le sionisme n’a pas émergé dans les salons parisiens, mais sur le terrain, dans l’audace et l’engagement collectif. Herzl n’a jamais appelé à une conférence, mais à l’édification : « Ceux qui veulent vraiment un État juif devront s’engager à le bâtir, pas à en discuter de loin. » (L’État des Juifs, 1896).

La responsabilité ne consiste pas à se donner bonne conscience entre deux interventions. Elle se mesure à l’aune de la contribution réelle, du nombre d’efforts consentis, des épreuves partagées et des responsabilités assumées. Emmanuel Levinas l’énonce sans détour : « Être responsable, c’est être responsable de l’autre, en répondant de lui même pour ce que je n’ai pas fait. » (Totalité et infini, 1961). Pas question ici de se draper dans la vertu à distance ni de jouer les justes du bout du monde. La responsabilité, chez Levinas, n’est pas une opinion à débattre, mais une charge à assumer, une inquiétude pour autrui qui ne se négocie pas derrière une table ronde. Assumer la responsabilité, c’est accepter de se lier, d’accepter qu’on nous dérange, qu’on nous mette en demeure, qu’on nous oblige par l’existence même de l’autre ; ce n’est pas réciter un texte sur la fraternité universelle tout en refusant de payer le prix du réel. Ceux qui préfèrent la posture à la présence, le verbe à l’acte, trahissent le sens même de la solidarité et de la responsabilité lévinassiennes : elles ne s’exercent que là où l’on s’engage pour de vrai, là où l’on ne peut pas s’excuser de n’avoir rien à voir avec la tragédie ou l’espérance d’autrui. Or, vous, de quoi répondez-vous ? D’une distance soigneusement entretenue, de réflexions théoriques, d’un confort qui ne risque rien.

David Ben Gourion, que vous brandissez comme un totem, vous aurait certainement rabroués : « Ceux qui vivent ici, qui construisent, qui défendent, qui assument les risques, ce sont eux qui décideront de l’avenir du peuple juif. » (Discours à la Knesset, 1950). La véritable solidarité et la véritable responsabilité ne consistent pas à s’adresser à un auditoire qui a décidé de payer le prix de la réalité, de l’intégration, du service, du deuil et du travail. Non, la solidarité n’est pas une émotion insipide ni une simple figure de style : c’est une présence, un acte de bravoure, une décision.

En d’autres mots, Israël se moque bien des commentateurs de l’extérieur. Il réclame des acteurs, des compagnons, des bâtisseurs. Une solidarité qui n’est pas concrétisée n’est qu’une façade ; une responsabilité qui n’est pas assumée n’est qu’un rôle.

Pour avoir accès à la parole, on doit assumer ses responsabilités. Ceux qui souhaitent critiquer doivent s’engager, tandis que ceux qui désirent être écoutés doivent contribuer. Les colloques ne construisent pas de nations. Ce sont plutôt les événements réels, la sueur et le sang qui permettent d’exprimer son opinion. Les autres, qu’ils se taisent, ou qu’ils rejoignent enfin l’aventure ! Pour en finir avec la logorrhée de ces irresponsables, je citerais Mr Jean Monnet : « Deux catégories d’hommes existent : ceux qui veulent être quelqu’un et ceux qui veulent faire quelque chose, les premiers font du bruit, les seconds font l’histoire ! »

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