Qu’est-ce que les femmes sont prêtes à faire pour avoir un enfant ?
Jusqu’où sont-elles prêtes à aller ?
La prostitution ?
La fraude ?
Voler des graines ?
Et de l’autre côté – ou peut-être du même côté – à quel point un père serait-il prêt à enfreindre la loi et à blesser une autre personne – pour protéger ses enfants ?
Dans le livre de la Genèse, dans la séquence d’histoires sur Yossef, détesté par ses frères et aimé par son père, se cache une histoire moins célèbre.
L’histoire de Yehuda – le quatrième fils de Léa et le futur chef des tribus, d’où sortira la semence du royaume de la maison de David et de Tamar.
Il lui cache son troisième fils de peur qu’elle ne le tue aussi, selon lui.
Elle, déguisée en prostituée et attendant Yehuda à l’intersection.
Contre quoi luttent-ils tous les deux, en fait ?
En bref, quelle est l’histoire ?
Et non moins intéressant, pourquoi est-elle coincée entre les paragraphes concernant les turpitudes de Yossef ?
Pourquoi sortir du contexte ?
Yehuda aurait eu trois fils. Le premier, épousa Tamar et mourut. Selon la loi du lévirat le prochain frère doit avoir un rapport avec la veuve de son frère afin de perpétuer et commémorer le nom de son frère décédé. C’est-à-dire que le fils à naître portera le nom du frère disparu. Ce deuxième fils Onan, comme son nom l’indique, préfèrera se masturber que donner sa semence à sa belle-sœur, lui, sera puni de mort.
Yehuda commence à percevoir ici, une épouse, comment dire, problématique, et n’est pas vraiment pressé de lui permettre d’épouser son dernier fils.
Il le lui promet mais c’est une entourloupe !
Le temps passe, Tamar attend chez son père.
Le temps passe – et la femme de Yehuda meurt.
Il sort avec un ami pour rassembler son troupeau et l’emmener à la tonte. Tamar en entend parler et décide d’agir. Elle a un plan… nul ne la laissera à la maison sans enfants, sans descendance…
Elle atteint le carrefour où Yehuda passera obligatoirement. Un endroit appelé « yeux ouverts ». Savez-vous où est-ce ?
Les sages ont également recherché l’endroit… ils ont relu toute la Bible et n’ont point trouvé d’endroit appelé « yeux ouverts ». L’ouverture des yeux signifie comment Tamar attacha son regard à ce point de passage où tout se concentre, source de sa prière : « Mon dieu que ta volonté soit faite et que tu ne laisses plus ma maison vide. »
Tamar ôte ses vêtements de veuve et se couvre d’un voile, ce qui ne traduit probablement pas un accès de pudeur mais bien au contraire, prostitution, et… attente.
Et maintenant, concentrez-vous, nous arrivons à un moment poignant, exposé au réel, sans déguisements ni compromis.
Concentrez-vous, non pas à cause de ses aspects érotiques, mais grâce à la sincérité de Tamar, la vérité de son corps et de son esprit, si émouvants.
Yehuda arrive au passage et aperçoit une femme considérée comme une prostituée car elle a le visage voilé. Il s’en approche, lui parle certainement, ne s’enfuit guère, bien au contraire, il se penche vers elle et l’accompagne vers…
Les sages essaient de modérer l’histoire, un ange l’aurait persuadé de s’écarter du chemin, contraste frappant et fumeux d’avec la volonté de Yehuda.
Ils essaient aussi de dulcifier le dialogue où Yehuda essaierait de savoir, de discuter et d’éviter vraiment d’avoir des relations sexuelles avec Tamar. Mais l’Histoire biblique est incisive et difficile face à une telle déclaration d’intention: « Laisse-moi venir à toi »
Tamar prend son rôle très au sérieux, sans aucune arrière-pensée :
Tamar : Que vas-tu me donner pour mes services ?
Yehuda : Je vais te donner une chèvre, mais désolé, je n’ai pas de feuilles de chèvre en liquide.
Tamar : Pas de problème, donne-moi une garantie
Yehuda : Prends le sceau, le bâton et les mèches.
A cette époque, le sceau et les mèches, sont comme une carte d’identité. Il est impossible de cacher l’identité du propriétaire… Il les lui donne et couche avec elle. Suite à leur relation, Tamar tombera enceinte. En attendant chacun reprend son chemin. Yehuda, homme d’honneur, envoie un messager avec la chèvre pour récupérer sa caution mais, pour une raison quelconque, la prostituée a disparu et personne ne l’a vue…
Trois mois passent et… la rumeur arrive aux oreilles de Yehuda ! Tamar, sa bru, censée attendre son troisième fils…. est enceinte !!! Sacrebleu, quelle effrontée ! Sortez-la et brûlez-la ! Ordonne Yehuda.
Pas de précipitation !
Tamar brandit son assurance vie, le sceau et les mèches, et interpelle les bourreaux : le propriétaire de ces objets est le seul responsable de ma grossesse !!
Bien entendu, nul ne peut l’ignorer.
Alors qui a raison ? !
D’un côté, Yehuda a enfreint la Loi et n’a pas laissé Tamar devenir mère.
Mais d’un autre côté,Tamar… une femme fatale… a menti sur son identité … a volé du sperme… Et enfin, a fait honte à Yehuda en public ! !
Néanmoins l’inclination biblique est clairement en faveur de Tamar.
Comment puis-je le savoir ?
Eh bien, Yehuda avoue : la vérité est du côté de Tamar. De plus, de cette relation sexuelle, unique, naitra l’ascendance du roi David… donc tout baigne !
Je vous avais promis de répondre à la question de savoir pourquoi ce récit est entre deux dans le texte.
Le même « reconnais s’il te plait », cynique et cruel, que le texte jette à la face de Yehuda, se retrouve plusieurs fois dans ces chapitres comme un élément vectoriel plein de sens. Après tout, tu es aussi un père, tu as pris soin de ton fils, penses un instant à ce que tu as fait à papa.
Comment as-tu pu blesser ainsi Tamar ?
Comment as-tu échoué ton rôle de leader, proposé de vendre Yossef jeté dans la fosse, n’est-ce pas suffisant, mon frère ?
« Reconnais s’il te plait » les attentes te concernant, comme chef, comme fils, comme frère, comme père.
« Reconnais s’il te plait » un instant les difficultés d’autrui, pas seulement tes besoins, le désir d’un enfant, la complexité d’une situation humaine et familiale.
« Reconnais s’il te plait » un instant, ton identité, ton sceau, ta mèche et ton bâton, comprends-tu ?
« Reconnais s’il te plait » tes capacités, ce que tu mérites d’être et ce que tu mérites de devenir.
Ce point de rupture rencontre Yehuda dans une grande vulnérabilité, c’est pourtant là que son identité de leader des frères va se constituer. C’est lui qui mènera les négociations avec le représentant du roi d’Egypte, Tzfanat Pachnea (un certain Yossef), c’est lui qui s’occupera de Benjamin, c’est lui qui parlera sereinement avec le patriarche Yaakov.
Peut-être, Yehuda, comme beaucoup d’entre nous, avait-il besoin de ce temps négatif, de la gêne, des coups, pour prendre conscience… et de là grandir et devenir.
En termes modernes, la situation difficile de Tamar avertit les femmes d’aujourd’hui de ne pas abdiquer leur sécurité financière au profit des autres. Elles doivent être conscientes et impliquées dans les décisions du ménage concernant les plans de retraite, les hypothèques et les impôts. Trop de veuves sortent du deuil pour découvrir des problèmes financiers dont elles ignoraient l’existence et, en dehors de toute crise monétaire qui pourrait s’ensuivre, se retrouvent avec un souvenir entaché de leur proche et une colère qui s’ensuit difficile à résoudre.
Sur une note moins grave, entrer dans le veuvage de nos jours n’est peut-être pas dangereux, mais il peut être effrayant d’affronter la vie de célibataire après des années de partenariat. Le courage de Tamar, face à une véritable adversité, sert de modèle à celles qui craignent d’entrer seules dans une situation sociale pour la première fois, et cela peut aider à réduire cette peur à des proportions réalistes.
Après tout, aujourd’hui, personne n’essaiera de les brûler pour avoir quitté la maison de leurs pères, même si elles tombaient enceintes.
Les veuves d’aujourd’hui devraient se rappeler qu’elles ne sont pas vraiment seules.
Tout comme Tamar pourrait se rabattre sur sa famille d’origine, les personnes endeuillées ne doivent pas éviter de se tourner vers leurs réseaux de soutien familial et amical. Si ceux-ci n’existent pas ou sont inadéquates, il existe bien d’autres ressources, de nouveaux intérêts et de personnes à explorer.
Tamar finit par sortir de son deuil et répond à sa perte en prenant des mesures qui donneront un sens à sa vie. Produire un héritier n’est pas le seul moyen de créer un héritage. Nombreux sont les veuves et les veufs qui ont répondu à leur perte par le travail bénévole et l’engagement communautaire. Victor Frankl, dans son ouvrage «l’homme en quête de sens » (1959), enseigne que même si nous n’avons aucun contrôle sur les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, nous avons une liberté totale dans la façon dont nous réagissons à ces circonstances, même si ce n’est que dans l’attitude que nous choisissons d’assumer en réponse.
Tamar nous apprend à ne pas rester immobilisés, transis par la perte.
Pleurez, mais ensuite, bougez, donnez-vous un sens, trouvez un but et soyez persévérant.