Je suis chez moi sur terre, et sur terre j'ai ma terre !

by Rony Blog

 

Nous fumes de tout temps stupéfaits de découvrir chez certains juifs, au demeurant extrêmement pieux et consciencieux dans le respect des six cent treize commandements, un très net fossé dans les rapports qu’ils conservaient avec la Terre d’Israël ainsi qu’avec l’étendu des préceptes qui lui sont pourtant attachés.
Déjà dans le Livre du Kouzari de Rabbi Yéhouda Halévi, l’interlocuteur du Sage s’était étonné qu’après avoir psalmodié les plus fabuleuses liturgies et prononcé les intentions les plus saintes et les plus respectueuses des prières relatives à la Terre d’Israël, le peuple juif demeurait toujours en exil. Visiblement pris de court par un tel reproche, le Sage avait alors reconnu son incapacité à le réfuter: « Tu me fais honte roi des Khazars » (Kouzari, II, 24).
Ces propos démontrent une reelle incompréhension ainsi que de profondes lacunes quant à la vitalité du lien qui unit le peuple d’Israël à sa terre. Or ce rapport conflictuel et ambivalent prend sa source bien avant l’histoire contée dans le Kouzari.  
Ce n’est pas un hasard si la première épreuve d’Abraham fut celle du déracinement absolu : « Lekh Lekha ! » – « Va pour toi, quitte ton pays, ta patrie, la maison de ton père, vers le pays que Je t’indiquerai », (Genèse, XVIII, 2).
La Tora nous enseigne que les précurseurs de cette relation complexe entre le peuple juif et sa terre furent en fait les « explorateurs ».
Après avoir fait sortir le peuple juif d’Egypte pour le conduire vers la Terre d’Israël, Moïse accepta d’envoyer douze investigateurs afin de rendre compte de l’état de ce pays. Or leur verdict est des plus rigoureux: c’est une terre qui dévore ses habitants et ses occupants sont gigantesques.
Tout cela ne correspondait pas à l’idée que le peuple se faisait de ce pays « où coulent le lait et le miel ». Dans leur for intérieur, les enfants d’Israël considéraient ce défi comme une régression par rapport à leur situation antérieure. Réaction apeurée de ces princes-explorateurs, lesquels représentaient pourtant aux yeux du peuple le pouvoir et le summum de l’échelle sociale, une assemblée composée de gens sages et honorables et qui formait un Sanhédrin. Or comment des personnes d’une telle envergure avaient-elles pu douter ainsi et échouer le projet divin dans sa finalité?
« Et toute l’assemblée éleva la voix et ils pleurèrent cette nuit ».
La faute des explorateurs permet donc de discerner deux déficiences de base: elle montre comment le peuple n’a pas su se détacher de ses entraves matérielles pour répondre à la parole divine. Elle prouve aussi que les enfants d’Israël ont mal compris et mal interprété le sens de leur fonction et de leur mission tout au long des siècles.
Leurs propos pessimistes nous instruisent sur la difficulté du peuple juif à se mesurer avec les épreuves qui se manifestent inopinément. Dans le désert, la vie était relativement calme, sereine et précisément réglée : les enfants d’Israël mangeaient de la manne, un pain miraculeux qui venait du ciel, la nuit, la colonne de feu les protégeait et le jour, ils bénéficiaient de la présence permanente et rassurante d’une colonne de fumée.
Le célèbre ouvrage d’édification morale Messilat Yesharim (Le sentier de la Rectitude) croit pouvoir avancer que ce leadership de la nation avait été victime d’une grave défaillance psychologique : ces gens-là, ces princes, étaient persuadés que leur arrivée en Israël s’accompagnerait d’une inévitable dégradation dans leur statut social. Il dévoile clairement les origines de la médisance des explorateurs à l’égard de la Terre d’Israël: « La nature humaine est faible. Le cœur est entaché de toutes sortes de désirs et, pour les satisfaire, il s’autorise des arguments fallacieux » (Messilat Yesharim, X). Les explorateurs savaient fort bien que leur position de chefs valait uniquement pour la période de transition du désert. Ils craignaient, peut-être inconsciemment, que leur honneur ne soit bafoué une fois arrivés en Eretz Israël. Et c’est pour le préserver qu’ils n’ont donc pas hésité à mentir et à effrayer le peuple. Ce faisant, ils ont entraîné leur propre mort et celle de toute leur génération : « Car là-bas ils ne seraient plus princes d’Israël et d’autres le seraient à leur place » (ibid., Il).
Rabbi Moshé Haïm Luzzato, l’auteur du Messilat Yesharim, tire ses sources de textes ésotériques comme le Zohar : « Dans le désert, ils [les explorateurs] étaient les premiers, mais en Terre d’Israël, ils deviendraient comme tout un chacun » (Zohar, III, 158/a).
Lorsque nos ancêtres ont pleuré lors de cette nuit du Neuf Av, nos Sages ont déclaré que ces pleurs étaient vains et ont dit : « Vous avez pleuré en vain, Eh bien, vous pleurerez un jour tout au long des générations 1 » (Tahanit, 29/a).
C’est en effet le neuvième jour du mois de Av (Ticha beAv) que les explorateurs ont exposé leur récit et entraîné le peuple dans ce tourbillon de désespoir. Et plus tard, c’est bien à Ticha beav que les deux Temples successifs de Jérusalem ont été détruits.
Dans son ensemble, le peuple redoutait évidemment les difficultés d’intégration et d’acclimatation devant lesquelles il risquait de se trouver confronté en Terre d’Israël. Car il n’est pas évident de s’extraire d’un entourage dans lequel on a vécu plusieurs décennies – a fortiori des siècles – surtout pour venir résider dans un lieu dangereux.
Dieu soit loué, cette faute bimillénaire a été surmontée au cours de notre génération : notre peuple répare aujourd’hui cette faille due au dédain de la précieuse terre que Dieu nous a confiée. Qui plus est, l’amour de la Terre d’Israël s’est éveillé au cours des dernières décennies, le peuple juif afflue encore et toujours vers sa « Matrie » aux seules fins de la  refleurir, de l’embellir, de lui rendre grâce et honneur. Il se consacre de nouveau à la construction de sa terre, de son Etat, de son armée et ce, pour mieux accomplir son devenir spirituel et réaliser ce pourquoi il accepta d’être élu.
 
 

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