La haine gratuite

by Rony Blog


Selon la tradition, la destruction du Premier Temple fut provoquée par la violation des trois fautes les plus rudement condamnées dans le judaïsme: le meurtre, l’idolâtrie et la débauche. Ce sont en effet des crimes pour lesquelles la Tora nous ordonne précisément: «Vous mourrez mais vous ne les enfreindrez point». En revanche, c’est à cause d’une seule faute, la haine gratuite, que le Second Temple a été ruiné par les armées romaines.
On pourrait donc penser qu’à l’époque de la seconde destruction, le comportement des Juifs était peut-être moins condamnable. Mais le Talmud rejette cette approche et propose de juger ces deux tragédies en fonction de leurs conséquences pour Israël dans le temps.
Le Talmud comprend que la faute de la haine gratuite, devenue si courante à l’époque du Second Temple, était nettement plus grave que les trois interdits précédemment cités. Selon lui, en cette époque troublée, le peuple juif savait en effet respecter la Thora et les mitzvot, et pratiquait la bienfaisance envers autrui, mais en même temps, il était capable de se laisser aller à une haine destructive et arbitraire. Comment comprendre un tel paradoxe? Comment le peuple juif pouvait-il en même temps étudier la Thora et dispenser cette haine? S’il agissait ainsi, était-ce en raison de carences dans son étude? Comment pouvait-on respecter les mitzvot tout en haïssant l’autre? N’est-il pas écrit: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même»? Le peuple avait-il donc omis d’étudier ce commandement? Et lorsqu’il est question de générosité, comment concilier ce trait de caractère avec la haine gratuite?
 En fait, les Juifs de l’époque percevaient la mitzva d’aimer son prochain à leur façon: ils prétendaient que leurs prochains dont la Tora parle n’étaient que leurs «proches», les gens de leur milieu, de leur groupe, et certainement pas l’ensemble du peuple. Ils croyaient ainsi détenir la science infuse, tandis que les autres étaient dans l’erreur et méritaient la mort. Pour ces leaders de clans, le monde était divisé en deux parties: les «bons» qui faisaient partie de leur entourage, et les autres qui étaient haïs et détestés uniquement parce qu’ils ne se rangeaient pas à leur avis. Ils disaient ainsi: «Quiconque est différent de moi est mon ennemi». «Etre semblable à moi ou ne pas être», pourrait-on dire en paraphrasant Hamlet. Or la haine gratuite, c’est précisément cette négation de l’autre.
Mais que signifie «haïr gratuitement»? Lorsque c’est le comportement pernicieux du prochain qui la motive, elle n’est donc pas vraiment gratuite et sans raison. Mais elle n’en demeure pas moins interdite. Au lieu d’haïr notre prochain, essayons de le reprendre et surmontons notre ressentiment qui est malsain pour tout le monde.
Toute autre est la haine gratuite. Dans son introduction à son commentaire sur la Tora intitulé Hamek Davar, le Natziv, Rabbi Naphtali Tzvi Yehouda Berlin, estime que la haine gratuite est l’excrétion de personnes différentes de soi ou appartenant à un autre courant de pensée que le sien: on ne hait pas de haine gratuite une personne spécifique, mais on peut haïr un groupe de personnes. Pourtant, chaque être humain est différent de l’autre et ce droit à la différence est essentiel.
A l’époque du Second Temple, cette haine, justement des hommes de loi et de foi, était au « nom du Ciel ». Car à chaque fois que l’on se réclame d’une quelconque cause, on fait tout pour la justifier et la travestir d’une reconnaissance éminente. «L’enfer est pavé de bonnes intentions», dit le proverbe. Cette haine avait donc des fondements idéalistes. Il y avait bel et bien des Justes et des sages mais, ceux là, n’avaient nul égard envers autrui.
En fait, nous remarquons que le laps de temps du premier exil a été trop court pour permettre au tempérament de l’homme de se modifier. Le peuple n’a pas pu reconnaître son méfait et lui trouver une thérapeutique: il a conservé sa nature païenne, violente et débauchée qui l’avait déjà précipité dans la  forfaiture.
En effet, à l’époque du Premier Temple, les fautes étaient «à découvert»: tout le monde pouvait constater les meurtres ou les actes de débauche. Dans le traité talmudique Yoma (p. 9b), on nous explique ainsi: «Les premiers, leurs fautes étaient à découvert c’est pourquoi leur délivrance de l’exil a été rapide. Mais les derniers, leurs fautes n’étaient pas visibles, c’est pourquoi leur exil se poursuit encore». Il ne faut donc pas se fier aux apparences. Les transgressions de l’époque du Premier Temple semblaient beaucoup plus graves que celles du Second, car au Second Temple, les mitzvot y étaient respectées… Mais la perception de nos Sages a toujours été plus profonde: ils ont compris que la situation du peuple à l’époque du Second Temple était en fait plus grave. Le célèbre historien Flavius Josèphe décrit parfaitement bien l’état d’esprit qui régnait alors: «Pendant la journée, nous luttions contre les Romains et pendant la nuit, nous luttions les uns contre les autres.» Est-il capital d’être un grand dirigeant pour appréhender que la volonté du peuple a se défigurer au devant de son histoire, amèneraient les Romains a une victoire et a une reddition sans conditions ?
A notre époque, nous semblons avoir fait de très net progrès en matière d’histoire générale: Dieu soit loué, il n’existe pas de guerre civile entre Juifs, même si de sérieuses différences d’opinion continuent de partager notre société.
On distingue ainsi trois courants essentiels au sein du peuple juif: les religieux, les nationalistes et les laïques. Le courant religieux reste préoccupé par la seule étude de la Tora et sa pratique. Le mouvement nationaliste attache une importance primordiale à rétablir une souveraineté juive sur cette terre. Quant au courant humaniste ou laïque, il accorde la priorité aux valeurs humaines, ainsi qu’aux idéaux de la culture et de la moralité, sans tenir compte des préceptes religieux, ni même parfois, du nationalisme juif.
Nous pourrions dire que ces trois courants détiennent tous une parcelle de vérité, mais chacun d’eux croit posséder la Vérité absolue et unique. Chaque courant tente donc, parfois violemment, de convaincre l’autre de la justesse de ses thèses au lieu de s’imprégner des éléments positifs de l’autre.
Malheureusement, des relents de cette inimitié arbitraire envers ceux qui sont différents de nous subsistent encore. Nul n’est parfait, nous avons tout un chacun la responsabilité d’examiner les tares qui sont en nous, de les fustiger et d’y remédier, tout en révélant et en appréhendons les qualités que possèdent autrui. C’est le cas au niveau individuel et également sur le plan collectif: les nationalistes doivent comprendre le rôle essentiel des mitzvot et les religieux doivent admettre l’importance de l’Etat.
Chacun doit conserver sa spécificité. Le patriarche Jacob avait douze fils dont chacun reçut une bénédiction différente et appropriée. Ensuite, Moïse a entériné ces différences au niveau des tribus qui toutes ensemble, allaient construire la Nation juive unifiée. Nous sommes cependant convaincus que la haine gratuite disparaîtra totalement. Le Rav Kook estimait qu’aucune collectivité à l’intérieur du peuple juif ne pouvait être parfaite, c’est pourquoi il ne se réclamait d’aucun courant spécifique. Il appartenait à tous les courants et tendances du peuple juif. Nous aussi, nous devrions pouvoir nous reconnaître au travers tout ce qui est positif dans tout mouvement, quel qu’il soit, au sein de notre société.
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